«Une intervention militaire étrangère embraserait toute la sous-région»

(Archives. Moussa Ag Assarid en 2011. Crédit photo : anonyme)

Moussa Ag Assarid. Chargé de la communication du Conseil de transition de l’Etat de l’Azawad.

Le Conseil de transition de l’Etat de l’Azawad qualifie le contenu de la résolution du Conseil de sécurité relative à l’intervention militaire au nord du Mali d’«ambigu» et met en garde contre l’envoi de toute force armée étrangère dans la région de l’Azawad.

Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Moussa Ag Assarid, chargé de la communication, affirme qu’une telle intervention est vouée à l’échec et embraserait toute la sous-région.

– Quelle est la position du Conseil de transition de l’Etat de l’Azawad par rapport à la résolution de l’ONU, ouvrant la voie à une intervention militaire étrangère ?

Avant de vous répondre, je tiens à vous préciser que nous sommes les autochtones de la région de l’Azawad, donc notre position est celle de la population locale. Comme vous le savez, l’Etat malien a failli dans sa mission, ce qui nous a poussés à prendre les armes pour nous réapproprier nos droits à la dignité. Notre combat est légitime et il n’avait aucune couverture religieuse ou idéologique. Nous militons pour le droit de notre peuple à une vie meilleure sur ses terres. Pour nous, la résolution du Conseil de sécurité est très ambiguë. Le Mali a su berner la communauté internationale en défendant et affirmant que le Nord est occupé par les terroristes. Or, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) a chassé l’armée malienne qui composait avec les narco-terroristes parce que pour nous, il ne s’agit pas de terroristes islamistes mais tout simplement de trafiquants de drogue qui ont réussi à s’installer dans le Nord grâce à l’Etat malien. Ce dernier veut ramener des troupes étrangères pour se débarrasser une fois pour toutes des autochtones.

 

– Mais aujourd’hui, la défaite du MNLA est indéniable à partir du moment où ce sont Ançar Eddine, le Mujao et AQMI qui contrôlent les plus grandes villes du Nord, c’est-à-dire Tombouctou, Gao et Kidal…

C’est un mensonge. C’est le Mali qui véhicule ce message à la presse malienne et étrangère. Le MNLA n’a jamais été chassé de ces villes.

 

– Pourtant, ses troupes ne sont plus dans ces villes ; elles ont été contraintes de se retrancher dans les villes frontalières…

Vous oubliez que la quatrième grande ville du Nord, qui est Ménaka, est sous le contrôle du MNLA, tout comme les quatre villes frontalières avec l’Algérie, le Niger, le Burkina Faso et la Mauritanie, où le mouvement détient des campements. Notre combat vise la protection du peuple de l’Azawad et, de ce fait, lorsque notre siège politique de Gao a été attaqué par les islamistes, nous avons préféré nous retirer pour éviter des bains de sang.

 

– Vous avez eu de nombreuses pertes lors des combats avec les groupes intégristes…

Pas aussi importantes que la presse en a fait état. Nous avons enregistré 10 morts et un peu plus de blessés. C’est à partir de là que nous avons pris la décision de quitter les localités où il y a risque d’affrontement pour mieux nous organiser à faire face à ces nouveaux défis.

 

– Ne croyez-vous pas que ce retrait a encouragé ou facilité l’occupation du terrain par les groupes terroristes et Ançar Eddine ?

Cette attaque nous a fait comprendre qu’un complot ourdi par l’Etat malien et certains de ses différents alliés était mis en œuvre contre le projet d’indépendance de l’Azawad. De ce fait, il nous fallait de notre côté nous organiser pour faire face à la déstabilisation en renforçant la coopération avec les pays limitrophes et la communauté internationale, qu’il fallait coûte que coûte sensibiliser et informer sur la situation réelle sur le terrain. Une fois cette mission accomplie, nous pouvions par la suite nous engager dans la lutte. C’est pour vous dire que notre retrait était tactique et que nous n’avons en réalité jamais quitté le territoire de l’Azawad.

 

– Pensez-vous pouvoir combattre les groupes terroristes et Ançar Eddine, dont les capacités se sont renforcées de manière inquiétante ces derniers mois ?

Nous avons d’abord lancé des messages à nos frères à l’intérieur de Ançar Eddine, leur disant que nous n’avons aucune intention de combattre la religion qui est celle de la majorité de la population de l’Azawad. Nous les avons appelés à se joindre à nous pour sécuriser notre peuple et continuer l’édifice érigé en début d’année avec la libération du territoire de l’occupation de l’armée malienne. Nous avons expliqué que le projet de société sera le choix que le peuple fera et non pas celui imposé par les armes. Nous leur avons demandé de faire des propositions que nous soumettrons au peuple.

 

– Comment un mouvement laïc peut-il s’allier avec une organisation religieuse aux objectifs opposés ?

Nous avons tendu la main à nos frères qui se sont retrouvés au sein de cette organisation. Nous leur avons expliqué que nous n’allons jamais combattre la religion et qu’il est nécessaire qu’ils nous rejoignent pour sécuriser la population. Et lorsque la quiétude sera instaurée, ils pourront présenter un projet de société qui sera soumis au peuple dans un climat de sérénité. Ce serait la première étape de la construction de l’Etat de l’Azawad. Nous sommes donc arrivés à un compromis sans que l’un ne renie l’autre. Mais tout de suite après l’accord, Ançar Eddine a radicalisé ses positions en imposant la charia. Nous avons essayé de les raisonner en les mettant en garde, en leur disant que le peuple aspire à plus de tranquillité et de paix du fait qu’il a beaucoup souffert de l’injustice et de la faim. Nous devons nous unir pour lutter contre la pauvreté, l’ignorance et la «mal-gouvernance». Nous voulons construire un Etat de l’Azawad où la religion sera respectée et sa pratique sera modérée, comme elle l’a été durant des siècles. Mais Ançar Eddine a choisi un autre chemin. Lors des réunions avec ce groupe, nous nous sommes mis d’accord pour refuser toute présence étrangère et être contre toute atteinte à l’intégrité du territoire de l’Azawad et celle des personnes qui y vivent, qu’elles soient Touareg, Songai, Arabes, Peuls ou d’autres communautés.
Mais Ançar Eddine a choisi de camper sur ses positions radicales. Aujourd’hui, il n’est pas question pour nous d’avoir un mouvement qui veuille appliquer la charia en commettant des actes qualifiés par la communauté internationale de «crimes contre l’humanité» et de «génocide». Les Azawadiens veulent construire un Etat où le peuple vit en paix et en sécurité. Ançar Eddine a le droit de proposer son projet politique à la population, mais ne peut l’imposer par la violence.

 

– Pensez-vous que l’option militaire puisse régler la crise ?

Aucune armée étrangère ne peut apporter de solution dans l’Azawad. L’histoire nous a montré que toutes les fois où il y a eu recours à l’intervention militaire étrangère, le résultat a été un échec. Nous avons une armée qui a montré ses preuves sur le terrain. Nous sommes prêts à libérer une deuxième fois notre territoire, pour peu que la communauté internationale nous apporte son aide et son soutien. Nous avons été peut-être trop démocrates en acceptant dans nos rangs des groupes religieux. Pourquoi la communauté internationale nous a-t-elle écartés de la solution ? Pourtant, tout le monde sait qu’aucune armée africaine n’est capable d’intervenir sur notre territoire. Les envoyer dans cette région, c’est organiser des massacres collectifs, parce que toute âme qui bouge sera exécutée. Les Africains n’ont aucune connaissance du désert où tous les habitants s’habillent de la même manière et ont les mêmes moyens de vie. Comment peuvent-ils différencier un citoyen d’un narco-terroriste ? Une intervention militaire étrangère serait inévitablement vouée à l’échec et, plus grave, elle embraserait toute la sous-région, avec toutes les conséquences humanitaires désastreuses possibles.

 

– Justement, comment comptez-vous libérer l’Azawad de ces narco-terroristes et de Ançar Eddine, qui ne veulent pas couper leurs liens avec les terroristes ?

Nous ne demandons pas à Ançar Eddine de nous rejoindre, mais nous faisons un travail de sensibilisation auprès des notables et des chefs de tribu pour qu’ils encouragent leurs enfants à se déconnecter des liens avec les narco-terroristes. Nous menons une campagne dans les grands centres où nos appels sont souvent entendus par la communauté dans toute sa diversité. Il y a eu deux meetings à Kidal, deux autres à Gao, à Ménaka, au Léré, etc. Parmi les chefs de tribu, il y en a qui ont déjà demandé à certains groupes armés de quitter l’Azawad et à d’autres de rejoindre les rangs de l’Azawad.

 

– Etes-vous prêts à mettre de côté la question de l’indépendance de l’Azawad que la communauté internationale rejette catégoriquement ?

Cette question ne peut être abordée qu’autour d’une table de négociation. Jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons jamais renoncé à l’indépendance de l’Azawad. Nous disons cependant à Bamako que nous sommes disponibles pour ouvrir un dialogue pour sortir de la crise.

 

– Qu’allez-vous faire maintenant que la résolution de l’ONU ouvre la voie à une intervention militaire ?

D’abord, nous avons rendu public un communiqué dans lequel nous avons clairement exprimé notre position. Nous avons dit que la résolution est ambiguë à partir du moment où elle ne reconnaît pas le MNLA et, en parallèle, fait de l’armée malienne – une armée génocidaire – un interlocuteur. Jamais nous n’accepterons qu’un soldat étranger mette les pieds sur notre territoire. Nous allons nous défendre et protéger notre peuple. Nous sommes prêts à discuter avec tout le monde pour éviter cette situation chaotique. Nous n’allons pas nous allier aux narco-terroristes , mais nous ferons tout pour éviter à nos populations les massacres collectifs. Il ne s’agit pas uniquement de notre avis en tant que Conseil de transition de l’Etat de l’Azawad, mais aussi de celui d’une grande partie de la population. Que fera celle-ci lorsqu’elle recevra les pluies de bombardements au nom de la guerre contre le terrorisme ? Cette guerre ne peut être menée que par ceux qui vivent dans l’Azawad. Nous pouvons la mener. Il nous suffit juste d’avoir les moyens logistiques et de communication.

 

– Que pensez-vous de la position algérienne par rapport à la crise ?

L’Algérie est un pays frère, qui a reçu et aidé nos réfugiés. Elle a bien joué son rôle lorsque nous avons eu besoin d’elle, dans les moments de crise. La position qu’elle défend rejoint la nôtre. Nous espérons que l’Algérie puisse encore une fois peser de son poids et jouer son rôle de voisin, de frère et de connaisseur de la situation dans la région pour éviter à notre peuple le génocide.

Salima Tlemçani

Source  :  El Watan le 16/10/2012{jcomments on}

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