De l’aveu même de la Banque mondiale, cela pourrait devenir le fléau du 21e siècle. En attente d’un mode de régulation internationale, le phénomène de l’accaparement des terres nuit gravement aux agriculteurs africains. En cause : la hausse des prix des produits alimentaires et la demande croissante en bio-carburants.
Le phénomène n’est pas nouveau. Accentué par la crise économique et la flambée des prix alimentaires en 2008, l’achat de terres arables a atteint des proportions gigantesques en Afrique. En dix ans, sur la totalité du continent, les superficies concernées atteignent la taille du Kenya. Un exemple frappant : quelque 30% des terres du Liberia ont été attribués sous forme de concessions à des investisseurs étrangers !« Les transactions foncières ont triplé lors de la crise des prix alimentaires en 2008 et 2009 », note Oxfam, dans un rapport paru au début d’octobre. En cause : le prix du blé, notamment, qui avait atteint un record absolu le 9 mars 2008, à 295 euros la tonne sur le marché européen. Et le scénario pourrait se répéter. Les cours ont une nouvelle fois flambé en août 2012 et les perspectives déficitaires en céréales pour l’année sont inquiétantes. Oxfam réclame donc des « mesures urgentes pour désamorcer la menace d’une nouvelle vague d’accaparements de terres ».
La Banque mondiale en ligne de mire
Des mesures pourraient être mises en place par la Banque mondiale, selon l’organisation humanitaire. Oxfam a ainsi demandé, en marge d’un sommet Banque mondiale/FMI à Tokyo, le 10 août, un gel de tous les investissements agricoles, afin de mettre en place les mécanismes de surveillances et de transparence.
La Banque mondiale a cependant aussitôt refusé. Et pour cause, l’institution de Washington joue un rôle de conseiller auprès des pays en développement mais surtout celui d’investisseur foncier : ses prises de participation dans l’agriculture ont augmenté de 200% ces dix dernières années. « Prendre une telle mesure [le gel des investissements, NDLR] n’aiderait pas à réduire les cas de pratiques abusives et dissuaderait vraisemblablement les investisseurs d’appliquer des normes élevées », justifie la banque, qui reconnaît que des « politiques de sauvegarde environnementales et sociales » devraient cependant être mises en place.
Expropriations
Mais le temps risque de manquer. Alors que la flambée des prix alimentaires s’accentue, les mesures décidées en mai par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale, issu de la FAO, qui visent à encadrer davantage les investissements, ne sont pas encore en état de fonctionner. Les pouvoirs africains ont toutefois tout intérêt à ne pas laisser ces projets se transformer en vœux pieux.
Entre 2007 et 2011, selon la société Trendeo, 45 millions d’hectares ont fait l’objet d’une transaction en Afrique subsaharienne. Dont deux-tiers l’ont été suite à des achats de terres destinées au secteur du bio-carburant. Or ces acquisitions ne sont pas sans conséquence sur les populations d’Afrique.
Au Mali, l’État, faute de moyens, a cédé quelque 100 000 hectares à la Libye, dans le cadre du projet Malibya en 2008, au sud-est du pays. Bamako fournit les terres et Tripoli apporte les capitaux pour les aménager et les mettre en valeur. Un projet gagnant-gagnant donc. Mais uniquement en apparence. Depuis, les associations de défense des paysans ont dénoncé des expulsions forcées et non indemnisées (voir le reportage vidéo ci-dessous). Sans contrôles efficaces, dans les investissements étrangers, ce sont presque toujours les paysans qui paient le prix fort.
Mathieu Olivier
Source : Jeune Afrique le 15/10/2012{jcomments on}
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