Bilan du régime de Mohamed Ould Abdel Aziz : la Mauritanie des Uns et la Mauritanie des Autres

(Crédit photo : anonyme)

Le parti présidentiel, l’Union Pour la République (UPR) a profité d’une soirée débat organisée lundi 1er octobre dernier pour dresser le bilan de trois années de mandat du président Mohamed Ould Abdel Aziz.

 

 

Des moments solennels, marqués par la mobilisation sans précédent de tous ceux qui font la Mauritanie depuis plus de trois décennies, toujours les mêmes, ces sempiternels abonnés aux ombres rafraîchissantes du pouvoir politique, l’administration caporalisée et les hommes d’affaires domestiqués. Tout y a été dit. Les 70% du programme présidentiel réalisés, les diatribes contre une opposition « apostolique, envieuse et déboussolée », les résultats du dialogue avec l’opposition dialoguiste, le nécessaire renouvellement de la classe politique, et enfin, le Paradis terrestre mauritanien sous la clairvoyance de son « Sauveur ». Une Mauritanie idyllique qui semble s’opposer à une autre, moins lumineuse et plus dramatique.

 

 

Le parti-Etat, l’Union Pour la République (UPR), cette formation officieuse de Mohamed Ould Abdel Aziz (puisque la Constitution lui interdit en principe d’en avoir une), a rameuté tous ses thuriféraires, ses jeunes pousses et ses antiquités, pour gloser sur un bilan présidentiel dont il compte tirer toutes les dividendes. Parce que l’UPR, en fait, c’est Ould Abdel Aziz. Les faits d’armes du parti se confondent à ceux du Mentor, car n’ayant lui-même aucun autre argument à faire prévaloir pour engranger les suffrages autres que celui du Maître. D’où ce bilan-programme autour duquel les bras séculiers du système se sont enivrés entre le 1er et le 2 octobre derniers. Organisée sous le thème « le mandat du Président de la République : moisson et perspectives », la rencontre initiée par l’UPR fut une agréable occasion d’ouvrir un feu nourri sur l’opposition dite radicale, tout en se félicitant des 70% du programme électif de Mohamed Ould Abdel Aziz déjà réalisés, à mi-mandat. L’occasion pour le président du parti, Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Lemine d’allumer tous les voyants du pays au vert. Le pacte social qui lie le président de la République au peuple mauritanien a été largement respecté, dira-t-il en substance, avant d’être relayé au perchoir par les tribuns du parti.

La Mauritanie du clan présidentiel

La Mauritanie, vue sous l’angle du pouvoir, serait devenue un pays idéal, où tout va dans le meilleur des mondes possibles. D’où un programme futur où les 30% restant des promesses sont sensés se bâtir sur les acquis déjà réalisés. Il fut beaucoup question du dialogue inclusif que l’UPR déclare n’avoir jamais occulté, n’eût été la mauvaise foi, selon le parti, du camp adverse, se félicitant de la clairvoyance et du « sens élevé de patriotisme  » des partis de l’opposition qui ont accepté de s’asseoir à la table des négociations. Les résultats obtenus constitueraient ainsi, selon les participants dont la totalité des membres du gouvernement, un acquis pour la démocratie mauritanienne. L’UPR a appelé à l’organisation des élections législatives et municipales, conviant toute la classe politique à y prendre parti. Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Lemine a cependant souligné que les portes du dialogue avec l’opposition dite radicale restent ouvertes, sans préciser l’étendue de l’offre ; cette éventualité a toujours pourtant été récusée par le clan présidentiel, qui semble se rendre compte que la mise hors jeu d’une partie non négligeable de la classe politique ne résoudrait nullement le contentieux national. Le discours du président de l’UPR semblait cependant privilégier le consensus, appelant à des des élections où chaque partie devra se satisfera de ses résultats, dans le but de dépasser les divergences du passé, d’ouvrir une nouvelle page et de se poser en modèle démocratique dans la région.

Sur le renouvellement de la classe politique, le président de l’UPR tiendra à souligner que la vision de son parti par rapport cette question dépasse les schémas qui l’entrevoient sous la bannière d’un simple changement de fanion entre nouvelle et ancienne génération. Selon lui, il s’agit plutôt d’une complémentarité entre l’expérience et la sagesse des vieux d’une part et d’autre part, le dynamisme et le sens du sacrifice des jeunes.

L’intervention de Mohamed Mahmoud Ould Jaafar, cadre du parti, a été plus virulente vis-à-vis de l’opposition qui selon lui constitue un danger aussi bien pour le pays, son armée que pour la démocratie et l’Etat de droit. Selon lui, l’opposition est déboussolée et fébrile, qualifiant le discours des leaders de l’opposition d’offensante pour le peuple mauritanien et pour son armée. Lui, sa Mauritanie, est celle des libertés, de la révolution accomplie dans tous les domaines, celle des grandes réformes politiques et institutionnelles. Un univers merveilleux dans lequel baignera le ministre des Affaires économiques, Sidi Ould Tah qui parlera de « réalisations du gouvernement à mi-mandat du président de la République dépassant toutes les prévisions ». Il évoquera la situation sécuritaire qui serait partie, selon lui, d’un « état lamentable, surtout dans l’armée » à un état privilégié aussi bien dans la formation des hommes que dans l’armement et la logistique militaire. Il n’oubliera pas la situation de déliquescence dans laquelle se trouvait l’état-civil et les solutions de pointe initiées aujourd’hui, l’importante avancée enregistrée dans le domaine de la décentralisation, les chantiers de développement dans toutes les régions du pays (santé, routes, électricité, eau, formation professionnelle et ressources humaines…), l’overdose de liberté dans laquelle vit la Mauritanie, les avancées diplomatiques et la crédibilité internationale retrouvée.

La Mauritanie des Autres ou le revers de la médaille

Vu sous l’angle de l’opposition dite radicale, la Mauritanie serait au bout du gouffre, prise en otage par une oligarchie militaro-affairiste qui aurait bradé ses richesses, appauvri son économie et son peuple, consacré le déni de droit et prostitué sa diplomatie. Pour toutes ces raisons, le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz devra partir, selon la Coordination de l’opposition démocratique (COD), fer de lance de la contestation politique en Mauritanie. Et le plus tôt serait mieux pour la pérennité du pays. Pour Mohamed Jemil Ould Mansour, président du parti islamiste Tawassoul, la « politique aveugle  » du pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz a transformé le peuple mauritanien en prolétaires, dénonçant le recul enregistré dans le domaine des libertés avec les répressions qui contre les manifestations, accusant le régime actuel de faire blocus contre toute résolution d’une crise politique dont il nie d’ailleurs l’existence. Pour Ould Mansour, le dialogue politique initié avec une partie de l’opposition a été un échec et la politique sécuritaire suivie défaillante. Pour Mohamed Ould Maouloud, le rôle joué par la Mauritanie dans la crise malienne est néfaste pour sa sécurité et sa stabilité, accusant le pouvoir d’avoir mis le feu dans ce pays pour des considérations purement communautaires. Parlant de la crise politique, il dira que la « Mauritanie n’est plus dirigée par des institutions légales », mais par des institutions sans légitimité, incapable de faire face aux défis.

A ses yeux, le régime actuel serait entrain de détourner le processus démocratique et électoral en Mauritanie. Il faut dire que depuis le déclenchement des Printemps arabes il y a un an, les leaders de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) ont initié des marches et des sit-in, mettant la barre haute. Désormais, tout le programme de la COD tourne autour du départ du régime de Mohamed Ould Abdel Aziz. Tous les arguments sont déployés pour entraîner l’opinion dans sa logique avec un succès jusque-là mitigés. Son brandis, l’incapacité du pouvoir actuel à satisfaire les besoins, la cherté de la vie, le bradage des ressources nationales, la gabegie qui profite à un cercle restreint de l’entourage du pouvoir, les aventures armées du pays à l’extérieur de ses frontières et ses guerres par procuration, la gestion catastrophique de ses relations internationales, la concentration du pouvoir entre les mains du Chef de l’Etat, la crise de l’enseignement et de la santé, le chômage.

Entre la Mauritanie des Uns et la Mauritanie des Autres, celles de la classe politique, se trouve la Mauritanie du citoyen lambda qui ne voit le pays nullement sous la forme d’une poire à se partager, mais sous la banalité d’une vie peu exigeante, un toit sous lequel dormir, un pain quotidien, une éducation pour les enfants, des centres normaux pour se soigner, un emploi stable et une justice équitable.

Cheikh Aïdara

Source  :  L’Authentique le 07/10/2012{jcomments on}

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