Elégance et rayonnement

(Crédit photo : anonyme)

{jcomments on}Les compétences dans le domaine international ne sont pas que d’apparence ou de docilité au maître du moment. Elles sont rares car elles doivent être autant techniques que personnalisées. La longévité dans des fonctions ministérielles ne mesure pas l’aptitude à faire rayonner un pays dans le monde.

En diplomatie, les critères sont simples : la puissance de travail, l’empathie avec le pays ou l’organisation d’affectation, la capacité à illustrer un pays autant qu’à rendre compte aux autorités de celui-ci des possibilités d’exister et d’obtenir davantage, de se faire respecter.
Mohamed Saleck Ould Mohamed Lemine a fait connaître à ses compatriotes une formation, une profession qu’ils connaissent mal. Il a donné l’analyse que la Mauritanie peut faire du monde contemporain et l’image d’elle-même que lui renvoie ce monde. Il a fourni la chronique des efforts déployés par le président de la courte période démocratique pour attester auprès de ses pairs d’un renouveau mauritanien et de ses propres efforts pour que l’outil diplomatique en soit un. Il révèle des négociations sur les sujets tenant le plus au cœur et à la vie de ses compatriotes : la négociation avec le Sénégal pour le retour des réfugiés, les conditions de l’extradition des coupables présumés de l’attentat sur la route de l’Espoir. Son livre (compte-rendu par Le Calame du 4 Septembre 2012) est donc un outil de travail et témoigne de la qualité que peut donner à ses élèves l’Ecole nationale d’administration mauritanienne. Politiquement, il n’égratigne pas moins le président démocrate renversé que son successeur putschiste légitimé.
Le premier – avec plus que de l’élégance – Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, écrit à son ancien ministre :  » Permettez moi de vous faire part de la grande considération que j’éprouve pour les efforts considérables que vous avez fournis pour mettre à la disposition de ceux qui sont intéressés par notre pays un document particulièrement riche sur la période où vous avez été Ministre des Affaires étrangères et sur les incursions que vous faites dans les périodes antérieure et actuelle. J’ai été frappé, en dépit du fait que je le savais déjà, par le grand amour que avez pour votre pays et par la passion, qui vous habite, de le servir pour faire prévaloir la liberté, la dignité et le bien être de vos compatriotes. J’ai apprécié la précision pour les innombrables noms et dates qui sont donnés, signes d’organisation et de méthode rarement observées avec les nouvelles générations. Les entretiens qui ont lieu avec moi, soit à deux, soit avec des chefs d’Etats ou de hautes personnalités ont été rapportés avec une précision et une exactitude qui vous honorent. Je ne partage pas avec vous certaines des affirmations et des analyses que vous faites. Mais qu’y a-t-il de plus ordinaire ? Je ne vous en parle pas ici. Cela pourra juste un jour faire l’objet d’une discussion entre nous autour d’un thé.. »
Le second – qui n’a probablement pas lu ce précieux compte- rendu ni compris que la charge contre lui valait autant pour les défauts que tout régime militaire a laissé s’accentuer depuis 1978 : tribalisme, corruption, népotisme – n’a pas attendu la publication de l’espérance déçue pour refuser à un diplomate de carrière le passeport diplomatique de droit, et plus encore à un ancien ministre des Affaires Etrangères. Non content d’exclure du champ national des compétences rares et des notoriétés qui auraient pu continuer de servir la Mauritanie indépendamment de tout régime… le général Mohamed Ould Abdel Aziz entend maintenant faire quitter son emploi, dans une instance internationale – à Genève – où jusque-là le pays n’avait guère d’entrée et aucune expérience, à un expert du rayonnement mauritanien. En revanche, un thuriféraire – du fait d’un livre sans mérite que de révéler le maître et son rôle depuis  » toujours  » sous prétexte d’une histoire totale de la Mauritanie contemporaine 2 (compte-rendu par Le Calame Mars 2010) – a décroché le beau poste en Amérique : Mohamed Lemine Ould El Haycen. La renaissance de l’historiographie politique en Mauritanie serait donc empêchée ?
Naguère, Elimane Mamadou Kane, l’un des fondateurs du syndicalisme mauritanien, une des figures les plus belles et sincères de la vallée du Fleuve et du monde enseignant, avait été exclu du Parti à la suite des tristes événements de Février-Mars 1966 – il était alors le très important ministre du Développement. Mais le président Moktar Ould Daddah eut garde d’empêcher son entrée et son ascension au Bureau International du Travail, à Genève aussi. Il s’en était réjoui au contraire. De même, Ahmed Baba Miské, personnalité d’opposition plus fréquemment qu’homme de pouvoir ou d’entourage, quoiqu’il ait été de tout, ne fut pas empêché d’être employé à un haut niveau de l’UNESCO. A sa manière, il avait été, aux Nations Unies entre 1964 et 1966, l’exemple du rayonnement mauritanien sur les questions difficiles (dont celle du Sahara) qu’a manifestement continué Mohamed Saleck, notamment en Commission des droits de l’homme, jusqu’à mettre en garde Koffi Annan à propos d’une organisation nouvelle risquant d’amoindrir cette surveillance internationale.
L’actuel président mauritanien est-il moins beau joueur que ses prédécesseurs démocrates ou non ? Moins soucieux que servent, au besoin à l’étranger s’ils sont peu désirables un moment dans le pays-même, les nationaux qui ont l’expérience de la scène internationale et ce que la Mauritanie peut y faire et en obtenir ? Veut-il que ce genre de chasse aux talents et aux fidélités, déjà peu reluisante sur les rives du lac de Genève, soit un des thèmes de la conversation qu’il espère enfin avoir avec le nouveau président français, François Hollande, à l’occasion du 5+5 qui va se tenir à Malte le 5 Octobre prochain ? A-t-il lu – plus lapidaire que le livre de l’ancien ministre des Affaires Etrangères -, l’engagement de campagne n° 58 de l’élu du 6 Mai 2012 en France :  » Je romprai avec la ‘Françafrique’  » et son commentaire donné à Tulle dès le soir du scrutin :  » Nous ne sommes pas n’importe quel pays, nous sommes la France, la paix, la liberté, le respect, la capacité de donner aux peuples de s’émanciper des dictatures et des règles illégitimes de la corruption. « 

Bertrand Fessard de Foucault, ancien ambassadeur

1 – Mauritanie : l’espérance déçue . 2006-2008 : une démocratie sans lendemain (L’Harmattan . Mai 2012 . 264 pages)
2- La Mauritanie et ses présidents de 1958 à 2008 (Panafrika – bp 16.658 Dakar-Fann www.edpanafrika.com – Silex / Nouvelles du Sud = achevé d’imprimer en Novembre 2009 . 239 pages . conclu le 22 Juillet 2009 soit à la publication des résultats de la récente élection présidentielle)

Source  :  Le Calame le 02/10/2012

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