«Aucun texte du Coran n’interdit de caricaturer le Prophète»

Journaliste à Charlie Hebdo, Zineb el Rhazoui, Franco-Marocaine explique pourquoi elle est favorable à la publication des caricatures du Prophète. Deuxième partie de l’interview.

 

SlateAfrique – Ne craignez-vous pas aussi qu’en acceptant d’être médiatisée, vous soyez plus exposée?

Zineb El Rhazoui – Disons que j’étais dans la rédaction de Charlie et nous avons reçu une déferlante de médias. On s’est partagé le travail. J’ai fait ma part et je ne vois pas pourquoi je cacherais mon visage.

Je ne me montrerais pas si je devais entrer dans une logique de peur ou de psychose pour ne pas énerver les barbus. Je pense que je ne serais même pas allée travailler à Charlie, et qu’il y a belle lurette que je me serais voilée au bled pour leur faire plaisir.

Je ne suis pas du tout dans cette logique et si je reçois des menaces et que je me sens en danger, je ferai le nécessaire pour ne plus l’être. Mais pour le moment, je n’ai pas peur de ces gens.

Il y a eu quelques tentatives. Un jeune de 18 ou 20 ans, qui menaçait sur Facebook, de venir à Paris pour égorger les gens de Charlie Hebdo, mais il a été arrêté à Toulon.

SlateAfrique – Est-ce que vous n’avez pas peur d’être instrumentalisée?

Z.R. – Cela n’a jamais été mon approche. Je suis Française et je me considère comme telle, et le fait que je parle arabe, que je connaisse bien les sociétés arabo-berbères, est un avantage pour moi. Cette double culture m’a toujours rendu service, notamment sur le plan professionnel.

Est-ce cela être l’arabe de service? Est-ce être celle qui lit, écrit et parle arabe? Si c’est cela, je ne cesserai de me sentir comme l’arabe de service que de l’autre côté de la Méditerranée.

Mais qu’est-ce que c’est l’arabe de service? C’est-à-dire la personne qui sert d’antithèse ou d’alibi?

Dans le cas de Charlie, on l’accuse d’être une rédaction islamophobe et raciste. Etre l’arabe de service, c’est démontrer le contraire, simplement par ma présence et ma généalogie?

Je m’exprime sans éléments de langage distribués par Charlie. Je dis ce que je pense et cela ne représente que mon opinion. Je travaille à Charlie, parce que j’estime que c’est une rédaction anticléricale, laïque et athée et antiraciste, ce qui correspond parfaitement à mes principes.

C’est un journal dont je partage les idées, pas toutes, mais l’essentiel. Je suis sensible à certaines causes qu’il défend, moins sensible à d’autres. Et quand je prends la parole pour défendre le fait que Charlie publie ces caricatures, je défends des principes qui sont les miens.

Maintenant, est-ce que je serais instrumentalisée pour dire il y a des arabes à Charlie, et que de ce fait le journal n’est pas raciste ou islamophobe? Je ne vois pas quoi répondre à cela. Le fait que l’on dise qu’il y a une fille d’origine musulmane qui dit que l’islam dérange, cela est mon choix. Je suis athée parce que l’islam ne me convenait pas.

«L’islamophobie est un non-sens»

SlateAfrique– Les risques d’instrumentalisation n’existent ils pas aussi avec d’autres médias dès lors que peu de gens acceptent de critiquer ouvertement l’islam?

Z.R. – C’est certain qu’il y a une hypocrisie par rapport à cela. Mais le problème tel que je le vois de mon côté, c’est que beaucoup se font traiter de racistes ou d’islamophobes, dès qu’ils critiquent l’islam. D’ailleurs pour moi ce mot est un non-sens.

C’est quoi l’islamophobie? Avoir la phobie de l’islam? C’est ridicule. J’ai grandi parmi les musulmans, c’est mon père, c’est ma famille, c’est aussi la majorité de mon entourage. Je refuse d’être qualifiée d’islamophobe parce que je critique cette religion.

Je connais des gens qui développent une critique très rationnelle de l’islam, mais qui ne le critiqueront jamais de peur d’être taxés de racistes. Cela aussi, c’est un racisme à l’envers. Je ne permets à personne de faire un argumentum ad hominem. Lorsque je dis quelque chose, que mon idée soit intelligente ou pas, j’exige que la personne réponde à mon idée et non pas à mes origines.

Zineb el Rhazoui. © Tous droits réservés.

SlateAfrique – Vous vous battez aussi pour la démocratie au Maroc, ne craignez-vous pas que ce débat soit utilisé contre vous pour essayer de vous décrédibiliser?

Z.R. – Cela ne fait pas l’ombre d’un doute que le régime marocain fera feu de tout bois pour décrédibiliser ses opposants. Jouer sur l’ignorance des masses ou instrumentaliser le sentiment religieux ne sont pas des techniques étrangères au Makhzen (Etat marocain).

Que le régime marocain se serve du fait que je défende des caricatures jugées islamophobes, ne m’empêchera pas de dire ce que je pense par rapport à cela.

Je pense que l’Etat marocain, n’a pas de leçons à donner, si on voit le traitement qu’il fait aux chrétiens ou le racisme d’Etat envers les Africains subsahariens. I

l y a eu des rafles de chrétiens, qu’ils soient Marocains ou étrangers soupçonnés d’évangélisation.

Ces dernières années, il y a eu des centaines de personnes qui ont été arrêtées ou expulsées du pays, sans parler des clandestins africains que l’ont relâche à la frontière algérienne, aux confins du Sahara, avec une bouteille d’eau, en les envoyant vers une mort certaine.

L’argument du «respect des religions» n’est pas recevable de la part d’un Etat qui ne protège qu’une seule religion: l’islam.

Le Maroc emprisonne régulièrement des gens sous prétexte qu’ils ont critiqué le Prophète, en revanche, appeler à la persécution de juifs ou de chrétiens au cours du prêche du vendredi n’est passible d’aucune peine.

Je milite pour une République marocaine libre, laïque et démocratique. Je milite pour que la religion soit remise à sa place normale et légitime, c’est-à-dire dans une logique de spiritualité personnelle.

SlateAfrique – Est-ce à cause de cette religion d’Etat que vous avez rejeté votre l’islam?

Z.R. – Dans mon parcours personnel, j’ai rejeté l’islam avant de savoir ce que c’était vraiment l’Etat. J’ai rejeté l’islam pour d’autres raisons. Par exemple, parce que la femme hérite de la moitié de ce dont hérite un homme.

Quand on est petite fille, on se rend compte très vite qu’on n’a pas les mêmes droits que les hommes. Et c’était hors de question d’accepter cela. Pourquoi je devrais bénéficier de la moitié de l’héritage, alors que je paie tout au même prix? Pourquoi les hommes ont-il le droit d’être polygames?

Petite fille, j’ai très vite compris que la religion posait problème, ce qui m’a poussée, plus tard, à entreprendre une quête de recherche, de lecture et de compréhension des textes, à l’issue de laquelle je suis devenue athée.

«Rien n’interdit de dessiner le Prophète»

SlateAfrique – Est-ce que vous pensez que les représentations que l’on fait du Prophète témoignent vraiment de l’image de Mahomet et du message que véhicule l’islam?

Z.R. – Pour avoir lu le Coran et pour avoir appris par cœur une bonne partie du livre, il n’y a aucun texte ni dans le Coran ni dans la Sunna (enseignements du Prophète), qui interdisent de représenter le Prophète ou qui que cela soit. Cela n’existe pas.

Je défie tous les cheikhs et les oulémas (théologiens de l’islam), de n’importe quel centre théologique du monde, de me trouver un seul texte qui interdise de le dessiner. Il y a eu des représentations du Prophète, chez les chiites, des représentations occidentales comme des gravures ou des dessins.

Dans le Coran, on trouve tout. A la fois, des choses extrêmement poétiques et belles que des messages belliqueux. On trouve aussi bien des appels au meurtre que des choses bien, comme le respect des parents. On y trouve aussi des versions contradictoires dans les récits.

On a annoncé pour le 14 décembre prochain la sortie d’un film sur la vie du Prophète. C’est un film d’un iranien qui s’appelle Majid Majidi avec un budget de 30 millions de dollars (plus de 23 millions d’euros).

Les chiites ont le droit de le représenter pourquoi pas Charlie. Il y a eu des représentations du Prophète dans le passé, notamment chez les chiites. Il y a eu des représentations occidentales comme des gravures et des dessins. Il y a eu aussi des biographies extrêmement subversives qui ont analysé les rapports de Mahomet aux femmes, à l’alcool.

Tout ce qu’il traîne comme casseroles dans sa vie et qui laisse douter du caractère céleste de son message. Les plus véhéments et les plus subversifs sont des livres écrits par des musulmans dont la plupart ont une formation théologique.

Un des plus célèbres est cheikh Khalil Abdelkrim, ou Sayyed El Qimni. Ces livres, extrêmement fouillés, se vendent sous le manteau au Caire ou ailleurs. Aujourd’hui si un français écrivait cela, on dirait que c’est de la provocation. Il existe des descriptions du Prophète dans les sources islamiques.

Slate-Afrique – Et aujourd’hui, vous vous sentez prête à tout sacrifier, quitte à mourir au nom de vos idéaux?

R.Z. – Je ne sais pas si je suis courageuse physiquement. Personne n’aime souffrir évidemment, mais s’ils me tuent, je ne serai certainement pas la première à être victime de ces gens. Je préférerai mourir plutôt que de devoir porter le voile et de me soumettre à ces gens. Perdre sa liberté est déjà une mort.

SlateAfrique – Est-ce que cela ne vous gêne pas d’être soutenu par des dirigeants du Front national?

R.Z. – C’est un soutien qui nous faire sourire à Charlie. Marine Le Pen, qui a soutenu sans équivoque la liberté d’expression et pris la défense du journal sur l’affaire des caricatures du Prophète, est actuellement en procès contre Charlie pour une fausse affiche électorale du Front national, où on voit Marine Le Pen en étron fumant, avec le commentaire «la candidate qui vous ressemble».

Elle trouve donc le travail de Charlie nettement moins drôle quand c’est le FN ou sa personne qui sont caricaturés.

En revanche, quand c’est Mahomet, c’est bien plus drôle. Si Marine Le Pen est une pasionaria de la liberté d’expression sans limites, comme on dit charité bien ordonnée commence par soi-même.

Si certains à travers cela pense qu’on est sur la même longueur d’ondes, c’est parce qu’ils ne lisent pas vraiment Charlie.

Propos recueillis par Pierre Cherruau et Lala Ndiaye

 

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