Mauritanie : Brahim Ould Ebetty, un combattant derrière le barreau

(Crédit photo : Jeune Afrique)

Auteur de nombreux rapports incendiaires sur l’état de la justice dans son pays, Me Brahim Ould Ebetty est devenu l’un des poils à gratter du régime de Mohamed Ould Abdelaziz.

En Mauritanie, tout le monde connait son nom. Brahim Ould Ebetty, avocat nouakchottois, a sur son bureau deux des dossiers les plus médiatiques, mais aussi les plus épineux, du moment. Celui de l’ex-commissaire aux droits de l’homme Mohamed Lemine Ould Dadde, condamné en juin à 3 ans de prison pour détournement de fonds publics dans l’exercice de ses fonctions. Et celui du président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie (IRA), Biram Ould Abeid, accusé d’avoir incinéré en avril des ouvrages d’érudits musulmans. Des cas qu’il défend à titre gracieux, en parallèle de ses activités d’avocat d’affaires, parce que, estime-t-il, « leurs droits les plus élémentaires ont été bafoués. » Depuis de nombreuses années en Mauritanie, les dossiers relatifs à la dissolution des partis politiques, la torture ou la détention arbitraire atterrissent en effet bien souvent entre les mains de ce passionné, aussi redoutable, qu’affable. Lequel s’attire forcément autant les foudres que le respect.

Brahim Ould Ebetty, né à Boutilimit en 1953 d’un père éleveur, est un militant de la première heure. Dès l’âge de 15 ans, son activisme politique au sein d’un mouvement d’opposition en Mauritanie, contre Moktar Ould Daddah (au pouvoir de 1960 à 1978), lui vaut d’être jeté deux fois en prison. Une étape qui le forme et fait naître chez lui ce qui l’habite encore aujourd’hui : l’engagement. En 1977, il s’envole pour Dakar pour y suivre des études de droit, après avoir perdu sa bourse d’études pour avoir refusé l’orientation en journalisme que l’on lui imposait. Sa maîtrise de droit des Affaires en poche, il rentre en Mauritanie en 1981, afin de commencer son stage d’avocat auprès d’un ancien bâtonnier. La mémoire aiguisée – aucun nom ni aucune date ne lui échappe -, Brahim Ould Ebetty ponctue son récit d’une multitude d’anecdotes qui en disent long sur sa détermination. Ainsi se souvient-il précisément du jour où, parti demander un prêt à la banque afin d’ouvrir son cabinet, il a assuré sans sourciller que sa seule caution était son savoir-faire. « Le directeur adjoint qui m’avait entendu, m’a assuré que c’était très louable de ma part et m’a délivré mon avance ! » En 1983, inscrit au barreau de Nouakchott, il assiste alors à son premier procès, celui du mouvement baathiste, « un groupe politique, jugé pour son appartenance politique. » Par la suite, chaque année ou presque, il sera présent dans un procès politique.

Plaider les « grandes causes »‘

Son « engagement pour la défense des grandes causes » est né de sa première participation à un congrès d’avocats – l’Union des avocats arabes, lorsqu’un confrère égyptien a présenté devant la Commission des droits de l’homme son rapport sur les tortures en Mauritanie en 1984. Mais Brahim Ould Ebetty se radicalise réellement en 1989 lorsque des milliers de Négro-Mauritaniens sont tués et blessés, et 60 000 d’entre eux poussés à l’exil, après un incident frontalier avec le Sénégal. Après les « exécutions extra-judiciaires » de 1990 et 1991, il prend part à l’imposant collectif d’avocats qui se constitue alors pour la défense des veuves et pour l’abrogation de la loi d’amnistie initiée par le PRDS (Parti républicain démocratique et social) du colonel Maaouiya Ould Taya (1984-2005). Une cause qu’il plaide devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, laquelle reconnaîtra en 2000 les violations massives des droits de l’homme en 1989 et 1990.

Pendant toutes ces années, Brahim Ould Ebetty aura bien sûr reçu son lot de menaces, de tentatives d’intimidations et d’arrestations. « Mieux vaut oublier les risques lorsque l’on s’engage en faveur des droits de l’Homme », soupire-t-il. Ce père de 6 enfants, membre de l’Union internationale des avocats et féru de lecture – presse, romans, Coran qu’il s’exerce à réciter- n’a pourtant lâché prise à aucun moment. Il ne milite dans aucun parti, mais il veut continuer à croire qu’il est possible de vaincre les maux qui gangrènent selon lui la justice dans son pays : le manque de volonté politique, mais aussi d’hommes qui croient en leur mission de juge. Décidément fidèle à lui-même, il rappelle qu’il faut « toujours se battre et surtout, ne jamais courber l’échine devant l’injustice. »

Justine Spiegel

Source  :  Jeune Afrique le 03/09/2012

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