Wikileaks n’a pas épargné l’Afrique

(Crédit photo : anonyme)

Pas sûr qu’une chancellerie africaine aurait accordé l’asile politique à Julian Assange. En dévoilant les secrets des grandes puissances, Wikileaks n’a pas ménagé le continent noir.

On se croirait dans une nouvelle guerre froide avec des relents de conflits géopolitico-diplomatiques. Pas de confrontation est-ouest, cette fois, mais une opposition entre des pays du Nord et des non-alignés du Sud.

D’un côté, la Suède qui demande au Foreign Office britannique d’extrader le fondateur du site “lanceur d’alerte” WikiLeaks, avec l’inavouée bénédiction des Etats-Unis. De l’autre, l’Equateur qui héberge Julian Assange dans son ambassade londonienne, depuis deux mois, et vient d’accepter sa demande d’asile politique, sous le regard plutôt bienveillant de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) et de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba).

Hormis un nouveau casting, tous les ingrédients d’un film d’espionnage des années soixante-dix sont réunis: décor du royaume de sa gracieuse majesté, viol du secret défense sur des documents américains de la plus haute importance, pressions diplomatiques croisées, apocryphes accusations d’agressions sexuelles, dénonciation de persécution politique, suspense et scénarios rocambolesques sur la façon dont Assange pourrait quitter l’ambassade équatorienne tout en échappant aux services secrets britanniques.

Plus besoin de s’offrir une place de cinéma pour aller suivre un film de l’agent secret James Bond. Sur les petits écrans devenus déversoirs d’information en live, l’impertinent de WikiLeaks assure le spectacle au balcon de “son” ambassade.

Si, par principe, nombre de non-alignés du Sud entendent s’opposer —viol ou pas viol—aux visées impérialistes de “l’axe du bien”, il n’est pas sûr qu’une ambassade africaine se serait comportée comme celle d’Amérique latine.

Si les documents publiés par WikiLeakslivraient essentiellement en pâture les grandes puissances occidentales, ils évoquent plus ou moins directement certains régimes du continent noir, notamment via les extraits de la correspondance diplomatique des États-Unis.

Comme le dit l’expression ouest-africaine, les révélations «mettent le cul de l’Afrique dehors». Morceaux choisis qui vont des analyses cruelles de la position de l’Afrique dans le monde à des révélations aussi croustillantes que douteuses…

— Selon WikiLeaks, des diplomates en poste au Burkina Faso décrivaient Blaise Compaoré comme un Raspoutine peu enclin à lutter efficacement contre la corruption quand elle touche son premier cercle.

— Par ailleurs, un trafic d’armes avec le Soudan aurait impliqué l’utilisation d’un avion en rapport avec le Burkina.

Destinées à n’être jamais publiées, les correspondances diplomatiques frisent parfois les potins amateurs.

Selon un ancien chargé d’affaires à l’ambassade de France au Burkina cité par un ancien ambassadeur américain, le président du Faso serait un «séducteur» aux mœurs débridés.

Et de faire des suppositions de violence conjugale, de virus d’immunodéficience ou de cancer de la prostate dissimulé sous couvert d’opération de la cataracte.

— Ami de Compaoré, le «cyclothymique et excentrique» Mouammar Kadhafi, sujet au vertige, aurait été incapable de gravir plus de 35 marches et aurait été sous l’influence de Galina Kolotniska, une infirmière ukrainienne qu’un diplomate américain présentait comme la maîtresse du Guide libyen.

— Les légendaires amazones, elles, n’étaient que du bluff. Les détails fournis par les agents occidentaux vont jusqu’à dévoiler quel membre de quelle famille puissante de quel pays boit du «Coca Light durant les réceptions» mondaines, laissant supposer une volonté de perdre du poids.

Yoweri Museveni serait paranoïaque

— Décrit comme paranoïaque par les télégrammes diplomatiques rendus publics par WikiLeaks, le président ougandais Yoweri Museveni aurait craint que le même Kadhafi n’attente à sa vie en raison de leur différend sur la création des Etats-Unis d’Afrique. Museveni aurait demandé que «les gouvernements américain et ougandais se coordonnent pour accroître la surveillance aérienne lorsqu’il traverse l’espace aérien international».

Joseph Kabila, ne serait, selon les autorités américaines, ni «sérieux» ni«déterminé».

Robert Mugabe serait une honte pour les autres dirigeants des mouvements de libération nationale.

— Les câbles diplomatiques ne sont pas tendres non plus avec Abdelaziz Bouteflika, évoquant son refus de tendre la main à la jeune génération, diffusant des analyses alarmistes sur son état de santé et vantant les qualités d’Abdelkader Bensalah, le président du Conseil de la nation.

Celui-ci apparaît, dans l’esprit des autorités américaines, comme le successeur rêvé du vieux président algérien.

— Dès 2010, Washington décrivait l’armée malienne comme «une armée d’amateurs bien incapable de lutter efficacement contre les salafistes».

— Laurent Gbagbo, qualifié de bavard dans les correspondances diplomatiques américaines aurait confié être intervenu auprès de Jacques Chirac pour faire nommer Dominique de Villepin Premier ministre.

— La corruption était présentée comme largement répandue au sein des pouvoirs d’Afrique de l’Ouest, notamment au Nigeria, notamment dans le domaine des hydrocarbures. Auraient activement participé à ces « systèmes » des sociétés comme le groupe pétrolier Shell ou le géant pharmaceutique Pfizer.

— En 2009, Washington réclamait un nombre invraisemblable d’informations sensibles à propos du Burundi, de la République démocratique du Congo (RDC) et du Rwanda.

A propos des responsables militaires, politiques, religieux ou économiques de l’Afrique des Grands Lacs, il était demandé aux agents américains de recueillir, notamment:«répertoires de téléphones, numéros de cartes de crédit, numéros de cartes de fidélité des compagnies aériennes, informations sur l’état de santé, opinions à propos des États-Unis, sentiments envers la nourriture génétiquement modifiée, appartenance ethnique (tribale et/ou clanique)», mais aussi «empreintes digitales, images faciales, ADN et scanner de l’iris». Il apparaît, en particulier, que Paul Kagame, autrefois enfant chéri parmi les «news leaders» inspire moins confiance à l’Oncle Sam…

— La France et les Etats-Unis auraient joué un rôle dans l’éviction du capitaine guinéen Moussa Dadis Camara du pouvoir.

— WikiLeaks décrit, toujours au travers du regard américain, des clauses secrètes d’accords conclus dans les années 60 entre la France et ses ex-colonies africaines. Des considérations militaires, c’est connu, mais aussi des dispositions qualifiées de «ridicules», accordant à la France le monopole des ressources naturelles dans certains pays.

— Et revoilà la peur du communisme indispensable à tout récit de guerre froide: l’une des obsessions majeures des Etats-Unis, ces dernières années, est incontestablement la présence chinoise en Afrique, véritable menace pour les intérêts américains. Effaré par la quantité de«percements de puits» promis par les Chinois (parfois dix fois plus que les promesses étasuniennes dans les mêmes zones), la diplomatie américaine noie le poisson en évoquant les dangers de «la contrefaçon chinoise» qui «submerge»certains pays comme le Nigeria.

Elle évoque également le don, par le géant asiatique, de gadgets de télécommunication aux services secrets kenyans. Une sorte de coopération déloyale, lesdits services secrets kenyans étant réputés très proches des États-Unis.

Même lorsque les mémos américains s’attardent sur la politique étrangère française récente, c’est encore pour souligner que «les Français accueillent favorablement l’extension de la présence américaine en Afrique comme moyen de contrebalancer l’expansion régionale de la Chine».

A bien y regarder, les Africains apparaissent davantage comme les victimes du regard irrévérencieux et cavalier des diplomates américains que les victimes de Wikileaks.

Par le continent noir aussi, Julian Assange pourrait donc être perçu comme un justicier. Mais quel dirigeant africain a-t-il envie qu’on laisse circuler des rumeurs sur le comportement de son entourage, l’état de sa prostate ou ses accès de paranoïa infantile?

Damien Glez

Source  :  Slate Afrique le 20/08/2012

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