Elles résultent d’une mission d’enquête de dix jours, menée au mois de juillet à Bamako, durant laquelle une délégation de l’ONG, a rencontré l’ensemble des militaires et policiers arrêtés à la suite de la tentative de contre-coup d’État du 30 avril. Ce dernier avait opposé les “bérets rouges” (parachutistes favorables à l’ancien président Amadou Toumani Touré, renversé en mars à la suite d’un putsch militaire dirigé par le capitaine Amadou Aya Sanago) aux “bérets verts” (militaires pro-Sanago).
Bien qu’ayant rendu le pouvoir le 6 avril, les “bérets verts” sont restés très influents dans la capitale malienne où ils ont procédé à l’arrestation de nombreuses personnes considérées comme des proches de l’ex-président. Amnesty rapporte que ces arrestations ont été suivies d’une répression « d’autant plus violente que les militaires et policiers arrêtés n’ont pas été incarcérés dans un lieu de détention officiel mais ont été conduits au camp de Kati (à 20 km de Bamako), siège de la junte, où ils se sont retrouvés livrés, durant plus d’un mois, aux mains, des militaires auxquels ils s’étaient opposés ».
Là-bas, les hommes de troupes ont été séparés des officiers et maintenus enfermés « dans des conditions inhumaines et dégradantes », explique le rapport. Détenus en sous-vêtements dans une cellule exiguë – qui a contenu jusqu’à plus de 80 personnes –, « les prisonniers ont été contraints de faire leurs besoins dans un sac plastique et ont été privés de nourriture pendant les premiers jours ». Un homme a également raconté à l’ONG comment, privé d’eau « pendant les premières soixante-douze heures », il a été contraint, comme ses codétenus, de boire sa propre urine.
Un policier, arrêté le 7 mai, a détaillé à la délégation les séances de tortures subies, durant plusieurs jours, au sein du Groupement mobile de sécurité (GMS) de Bamako où il était incarcéré. L’homme a été roué de coups (de pied, de poing, de bâton, de matraque, de crosse de pistolet…) « tous les soirs du 7 au 10 mai », avant d’être conduit au camp militaire de Kati où il a été victime de sévices sexuels. Un autre détenu du camp a raconté à Amnesty l’épisode suivant :
« Avant d’entrer dans la cellule, nous avons été mis à la disposition d’un sous-officier qui était accompagné de militaires de la garde nationale. Ils étaient menaçants et pointaient leurs armes contre nous. Nous étions au nombre de quatre, ils nous ont demandés de nous déshabiller complètement, ils nous ont ordonnés de nous sodomiser mutuellement, autrement ils nous exécuteraient. Ils pointaient leurs armes contre nous. Ils nous disaient : “Allez, baisez vous maintenant”. X. était mon partenaire, il s’est baissé, je l’ai sodomisé, il en a fait autant avec moi. Le policier Y avait le policier Z. comme partenaire. Durant l’acte, nos gardes hurlaient en nous demandant d’aller plus fort. »
Un témoin a également relaté l’assassinat de deux détenus, tués à leur arrivée au camp de Kati, par un militaire qui « les a transpercés de sa baïonnette ». Parmi les tortures infligées, de nombreux prisonniers ont affirmés « avoir été victimes de brûlures de cigarettes sur différentes parties du corps et ont montré les cicatrices de ces brûlures à la délégation ». Selon le rapport, la torture « visait avant tout à extorquer des aveux », comme en témoigne l’un des hommes rencontrés par l’ONG :
« Ils nous ont demandé d’avouer que nous voulions faire un coup d’État. Ils nous ont fait coucher sur le ventre, ils nous ont menottés les mains dans le dos et les ont liées à nos pieds. L’un des militaires a enfoncé un chiffon à l’aide d’un bâton dans nos bouches. On ne pouvait plus parler et encore moins crier. Parfois, un militaire tirait sur la corde qui liait les menottes à nos pieds, c’est la position connue sous le nom de “nègèsoni”, la bicyclette, en tirant sur la corde, les pieds font un va et vient comme quand on pédale. »
« Où sont-ils ? »
Parmi les dizaines de militaires arrêtés après la tentative de contre-coup d’État, « plus d’une vingtaine ont été victimes de disparitions forcées » (voir sous l’onglet “Prolonger” la liste établie par Amnesty International). Plusieurs détenus ont en effet raconté à la délégation de l’ONG comment ces personnes ont été enlevées dans leur cellule commune de Kati dans la nuit du 2 au 3 mai.
« Vers 2 heures du matin, la porte de notre cellule s’est ouverte. Nos geôliers sont restés devant la porte et ils ont commencé à lire une liste. Un à un, les militaires appelés sont sortis. Parmi eux se trouvaient Samba Diarra, notre chef et Youba Diarra avec qui je m’entraînais à la boxe. Nous n’avons plus revu nos compagnons de cellule depuis cette date », a expliqué l’un des prisonniers.
Un autre militaire, dont le nom apparaissait sur la liste, a raconté à Amnesty comment il avait échappé à cet enlèvement :
« J’ai eu de la chance. J’étais parmi les derniers de la liste à être appelé. On m’a ordonné de m’agenouiller. On m’a mis un bandeau noir sur les yeux et on m’a attaché les mains dans le dos. On m’a fait monter dans le camion. Quelqu’un a déclaré que le nombre était atteint et on m’a fait descendre. »
Des soldats blessés lors des affrontements du 30 avril ont également été enlevés le 1er mai par des membres de la junte militaire, à l’hôpital Gabriel Touré de Bamako où ils étaient soignés. « En dépit de ses demandes, Amnesty International n’a pas pu obtenir la liste de ces militaires ni établir le lieu où ils se trouvent », souligne le rapport, qui évoque aussi la disparition de trois autres militaires, arrêtés mi-juillet et détenus, eux aussi, dans un lieu inconnu.
Le 16 juillet, plus de 300 femmes de “bérets rouges” ont manifesté dans les rues de la capitale malienne pour réclamer la libération de leurs époux et la « vérité » sur ceux qui ont « disparu » (voir vidéo ci-dessous). Foulards rouges noués autour de la tête, plusieurs d’entre elles avaient inscrit sur leur pancarte une question toujours sans réponse à ce jour : « Où sont-ils ? »
Durant sa mission d’enquête, la délégation d’Amnesty s’est entretenue avec le ministre de la justice malienne, Malick Coulibaly, qui lui a indiqué avoir « constaté que les conditions de détention (au camp de Kati) étaient infra humaines » et avoir exigé le transfert des détenus au camp I de la gendarmerie de Bamako. Avant la saisine du ministre de la justice, les militaires et policiers détenus à Kati – certains pendant 46 jours – n’avaient eu accès ni à leurs proches ni à des avocats. Selon les témoignages recueillis par l’ONG, les auditions qui se sont déroulées à ce moment-là ont été réalisées « en dehors de toute procédure légale et de manière expéditive ».
En revanche, Malick Coulibaly a assuré à la délégation « ne pas être au courant des tortures et autres mauvais traitements subis par ces détenus à Kati. En ce qui concerne les allégations d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions, il a précisé que si les proches portaient plainte, une enquête serait ouverte sur ces cas ». Mais aucune enquête n’a été diligentée à la date du 26 juillet, selon le rapport.
Amnesty a également rencontré le procureur général, Souleymane Coulibaly, qui a affirmé avoir « lui-même constaté des cas de tortures », ajoutant que ceux-ci découlaient parfois de « règlements de compte entre policiers ». Promettant qu’« aucune personne coupable ne restera impunie », le procureur n’a cependant pas indiqué quelles mesures il allait prendre pour poursuivre les suspects. Quant aux disparitions forcées, il a dit n’en rien savoir : « Si Amnesty me fournit des éléments par écrit, je pourrai ouvrir une enquête. »
L’ONG espère que son rapport incitera les responsables judiciaires maliens « à ouvrir sans délai des enquêtes sur les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires et les cas de tortures » relatés, conformément à la Convention contre la torture et à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées des Nations unies, que le Mali a ratifiées respectivement en 1999 et en 2009.
source: Mediapart
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