Les femmes d’Afrique prennent le pouvoir

(Pour la première fois de son histoire, l'Union Africaine est présidée par une femme, la sud africaine Nkosazana Dlamini-Zuma. Crédit photo : anonyme)

Le discret Printemps des Africaines

Les Français connaissent la formule qui fait florès en ce début de mandat du successeur de François Mitterrand: « Quand ça va mal, la gauche arrive ».

« Pour enfoncer le déficit public plus bas que terre avant de se faire déloger par une droite qui excelle davantage dans les conquêtes que dans l’action », prophétise, cynique, un ami bayrouiste de Montréal. À qui je réponds que Hollande a cinq ans pour voir ce qu’il en sera cette fois-ci, lorsque le premier gouvernement totalement paritaire de toute l’histoire de la France nous aura montré de quoi « l’éloge de la normalité » était le nom.

Parlant de parité, les Françaises, on l’a déjà dit ici, ont vu Hollande leur donner l’occasion de prendre leur petite revanche sur ces partis politiques qui sont à la promotion politique féminine ce que la Congrégation pour la doctrine de la foi est à la promotion épiscopale des femmes au sein de l’Église. Mais laissons la Curie de Rome à ses enquêtes judiciaires en cours et la France à ses « Hollandettes ».

Allons donc droit à l’objet de notre propos, à savoir que l’Afrique -qui n’a pas plus que ses anciens colonisateurs de leçon de parité à donner au reste du monde-, assiste depuis peu à ce que j’ose appeler « le Printemps des Africaines ». Un Soft Spring comme on dirait du côté de Johannesburg, un printemps à pas si feutrés à côté de celui enflammé des révolutions, qu’il passe presqu’inaperçu. J’ai essayé de remonter le temps, rivé aux portraits de ces femmes qui, de la dernière saison des Nobel au 19e Sommet de l’Union africaine (UA) qui vient de se clôturer à Addis-Abeba, sont venues bousculer l’ordre -masculin- établi. J’en suis revenu encore plus optimiste sur tous les possibles à venir, en ces temps où les bonnes nouvelles en provenance du continent se font rares.

Juillet 2012 : Une femme nommée à la tête de l’Union africaine

Lorsqu’à l’Union africaine, l’impuissance n’en finit pas d’indigner, de Tripoli à Tananarive en passant par Tombouctou et Goma, qui arrive ? Une Africaine, la Ministre Sud-africaine de l’Intérieur, élue dimanche dernier présidente de la Commission africaine, lors du Sommet des Chefs d’États et de gouvernement.

Si Nkosazana Dlamini-Zuma a été mariée avec le président Jacob Zuma, zulu comme elle, elle ne lui doit pas la stature qui lui a permis de se hisser à la plus prestigieuse des fonctions au sein de l’Union. Car il ne faut pas s’y méprendre: ni ses combats ni ses ambitions ne datent d’hier. Ministre sans interruption depuis l’élection de Nelson Mandela en 1994, c’est un poids lourd du Congrès national africain (ANC). En 2007, lors de la conférence de Polokwane, son nom avait même circulé pour succéder à Thabo Mbeki. Le même Mbeki qui confia en 1998 à cette militante de la renaissance africaine qui venait de divorcer de Zuma, le portefeuille des Affaires étrangères. Ce poste, qu’elle occupera pendant dix ans, a offert à l’intéressée l’occasion de découvrir la maison UA et de s’y faire, au passage, une réputation de bûcheuse et de négociatrice coriace.

À 62 ans, elle s’apprête donc à quitter le portefeuille de l’Intérieur où, après avoir nettoyé les écuries d’Augias, apprend-t-on, elle laisse un bilan plus que flatteur. À la Commission, elle succède au Gabonais Jean Ping, ce qui met un terme à la « guerre des tranchées fratricide » déclenchée en marge du 18e Sommet, lequel n’avait pas réussi à départager anglophones et francophones, solidement campés derrière leurs poulains respectifs.

Si son mandat voit se régler les imbroglios malien et soudano-soudanais, se briser le cercle vicieux des vraies fausses rébellions congolaises « made in Rwanda », Nkozasana Dlamini-Zuma fera vivre le dicton: « Ce que femme veut, l’Afrique le peut ».

Juin 2012 : À la tête du Parquet près la Cour pénale internationale, la gambienne Fatou Bensouda

Lorsque le doute s’installe timidement à La Haye, parce que plusieurs États africains menacent de se retirer du traité de Rome, de créer une « Cour criminelle africaine » pour dénoncer une « justice dirigée contre les seuls Africains », qui débarque à la tête du Parquet ? Une Africaine, Fatou Bensouda, juriste gambienne respectée et rompue aux arcanes du système pénal international.

Ancienne du Tribunal pénal international pour le Rwanda, elle a participé en tant que déléguée de son pays aux travaux de la commission préparatoire à la CPI à New York en 1999. C’est donc logiquement qu’elle intègre la juridiction en 2004. Ceux qui l’ont côtoyée la décrivent comme dotée d’un caractère affirmé, aussi rigoureuse que consciencieuse.

Investie le 15 juin pour un mandat de neuf ans, la successeuse et ex-adjointe de l’argentin Moreno-Ocampo a en face d’elle un défi de taille: réconcilier son continent d’origine avec la juridiction dont elle est désormais le visage. Alors que les quatorze affaires pendantes concernent exclusivement des Africains, l’examen des situations extra-africaines (Colombie, Afghanistan, Honduras, Géorgie, Corée du Sud et Palestine) en cours au sein de son bureau, lui permettra-t-il de rassurer? Clamer son indépendance ne saurait suffire. Si elle parvient à renforcer l’autorité morale de la juridiction internationale nonobstant les nombreux écueils qui se dressent devant elle, cette musulmane pratiquante de 51 ans aura coupé l’herbe sous les pieds de ceux qui lui prédisent un destin de « caution noire pour crimes politiques blancs ».

Avril 2012 : Joyce Banda, deuxième femme à prendre la tête d’un pays africain

Qui, aux chevets d’un Malawi à terre économiquement, déserté par les investisseurs privés étrangers et abandonné par les bailleurs de fonds, tous exaspérés par la corruption, la mauvaise gestion et l’autoritarisme d’un hyper-président? Tâche noble, mais surtout tâche ardue pour l’ancienne vice-présidente Joyce Banda, qui a succédé le 7 avril au président Bingu wa Mutharika, mort d’une attaque cardiaque à 78 ans. Elle est ainsi devenue la deuxième femme à la tête d’un pays africain après l’élection, puis la réélection d’Ellen Johnson Sirleaf au Libéria.

Élue au poste de vice-présidente en 2009, elle a travaillé pendant six ans auprès du défunt président avant d’être exclue du Parti démocratique progressif, en 2010, pour avoir critiqué les dérives autoritaires du vieux dirigeant. Elle a alors fondé son propre parti et est devenue une des principales figures de « l’opposition », tout en restant au sein de l’exécutif ; situation inédite qui en dit long sur le caractère bien trempé de cette féministe de 61 ans. Ses premiers pas s’inscrivent dans la rupture de l’ère Bingu wa Mutharika: reprise du dialogue avec les bailleurs de fonds ; engagement à mettre fin à la criminalisation des actes homosexuels ; refus d’accueillir sur le sol malawite le président soudanais Omar El Béchir, sous mandat d’arrêt international de la CPI, quitte à obliger l’UA à délocaliser son sommet, etc.

Si elle devait se montrer à la hauteur des attentes que les Malawites placent en elle, l’ancienne fondatrice de l’Association des femmes d’affaires du Malawi et lauréate en 1997 du prix Leadership africain aura prouvé « qu’une femme qui lime finit par faire d’une poutre une aiguille ».

A la Banque mondiale, une femme africaine rate le coche de peu

Quelqu’un me dira pourquoi, un beau matin, Américains et Européens ont fait semblant de vouloir dépoussiérer la Banque Mondiale dont ils détiennent les rênes financières, en ouvrant les candidatures à la plus haute charge de cette institution aux « petits pays »? La règle non écrite en la matière est pourtant connue de tous: aux premiers la Banque, aux seconds le FMI où un certain Nicolas Sarkozy a envoyé Christine Lagarde, son ancienne ministre des Finances, dans les circonstances que l’on sait.

Ministre des Finances pour ministre des Finances, celle du Nigéria, qui se présentait en candidate de l’Afrique, aura eu le tort d’y croire. Il a fallu très peu de temps pour constater que la diversion ne pouvait que faire long feu: le 16 avril dernier, l’Américain Jim Yong-Kim, médecin de son état, ne connaissant pas plus les sillages de la Banque que mon grand-père ceux de la Cour suprême du Canada, a été préféré à l’ancienne directrice générale de l’institution.

Il y a cependant lieu de positiver: ceux qui se sont intéressés à cette vraie fausse ouverture des « puissants » ont eu l’occasion de découvrir le visage d’une Africaine qui avait indéniablement le profil du poste et de l’ambition bien chevillée au corps. Comme d’autres, elle a su montrer qu’à l’aune des compétences, il ne devrait plus y avoir pour les Africaines, de « no women’s land », s’agissant de la chasse aux postes à hautes responsabilités à l’échelon mondial.

Une saison inaugurée par « trois femmes puissantes », Prix Nobel de la paix

C’est assurément une belle saison pour les Africaines, depuis le Prix Nobel de la paix attribué conjointement, en octobre dernier, aux libériennes Ellen Johnson Sirleaf et Leymah Gbowee, auxquelles s’ajoutait la Yéménite Tawakkul Karman. Madame Sirleaf a su stabiliser son pays et posé les jalons d’un État de droit sur les ruines d’une longue guerre civile. Leymah Gbowee a été récompensée pour son travail de mobilisation et d’organisation des femmes libériennes de toutes ethnies et de toutes religions pour mettre fin à la guerre et garantir la participation des femmes aux élections. Le destin, parfois, a de drôles de clins d’œil: les deux libériennes ont reçu leur prix un mois après le décès, à Nairobi, de la première Nobel de la paix du continent, la kényane Wangari Maatahi (2004).

La liste pourrait s’enrichir d’autres noms. Toujours est-il que dans ce monde où l’égalité homme-femme reste une cause qui fait couler plus d’encre et de salive qu’elle ne mobilise les volontés, les assauts de ces « femmes puissantes » dans les barricades de la citadelle masculine sont plus qu’un symbole. Ce qu’ils traduisent, c’est que les Africaines peuvent, lorsqu’elles s’en donnent les moyens, aller plus loin que les rêves de leurs aînées. À la jeunesse féminine africaine d’en prendre de la graine.

Blaise Ndala, Juriste des droits de l’Homme

Source  :  Huffington Post le 23/07/2012

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