Exploitation minière en Mauritanie : Des odeurs de souffre, d’argent et de mort

(Crédit photo : anonyme)

Le développement des mines, fouetté ces dernières années par l’arrivée sur le marché mauritanien de grandes multinationales venant du Canada, d’Australie, d’Angleterre, et même de l’Inde et du Pakistan, pour ne citer que ceux-là, avait ouvert des horizons inespérés pour l’économie mauritanienne jusque-là dépendante du fer de la Snim, de la pêche ou des ressources animales.

Mais au lieu de créer des Eldorado d’opulence pour ses 3 Millions d’habitants, les richesses minières mauritaniennes sont en train de devenir une malédiction où dominent des odeurs de souffre, de cupidité et de mort.

Le boom dans le secteur des mines et des hydrocarbures, notamment au début de la décennie 2000, augurait d’un avenir radieux pour les Mauritaniens, bien que cinquante ans d’exploitation des mines de fer du Tiris Zemmour et des richesses halieutiques incommensurables ne soient jamais parvenu à hisser la Mauritanie un cran au dessus de pays moins dépourvus par Dame nature, comme le Sénégal et le Mali, à titre d’exemple, ou encore la Guinée ou le Burkina Faso. Pire, Nouakchott s’enfonce d’année en année dans la pauvreté, la misère et le sous-équipement urbain, au moment où des capitales comme Bamako ou Ouaga, qu’elle damait pourtant dans les années 70, la dépassent aujourd’hui de plusieurs coudées. En 2000, l’exploitation du pétrole, ponctuée par l’arrivée des Australiens de Woodside et du ballet endiablé à Nouakchott des puissances de l’or noir, comme Dana Petrolum, Petronas, BGP, Total, Mobil entre autres, et tous ces pétrodollars tout frais, constituaient autant d’espérance pour les 3 Millions de Mauritaniens. Même sans une grande équité dans la distribution des richesses, ils espéraient au moins, avec la retombée de toutes ces mannes, améliorer leurs conditions de vie. Mais malgré toutes ces richesses ouvertes sur terre et sur mer, la situation des citoyens ne s’améliora guère. Il devient pire, avec des revenus en baisse et des prix des produits de première nécessité de jour en jour hors de leur portée. Le chômage s’accentua et la pauvreté connut des bonds exceptionnels. Pourtant, le boom dans le secteur minier ouvrait des opportunités nouvelles. Des dizaines de Mauritaniens furent certes recrutés, mais la plupart dans des emplois de seconde main, ou par l’intermédiaire de bataillons de tâcherons qui inaugurèrent l’ère de la sous-traitance des travailleurs. Un deal chapeauté par l’Etat et qui arrangeait aussi bien les multinationales étrangères qui ne devaient plus s’occuper de la « racaille » que des intermédiaires nationaux, véritables négriers des temps modernes qui, en contrepartie d’un salaire normal de 600.000 UM mensuel par ouvrier, n’en versait en réalité que le dixième. Résultat, à travail égal, les travailleurs de l’informel recevaient des miettes par rapport aux détenteurs de contrat direct avec les sociétés exploitantes. D’où les frustrations nées de traitements inégaux et de situations différentes pour le même boulot. Pourtant, plusieurs organisations syndicales et même professionnelles n’ont jamais cessé de réclamer la fin du système des tâcherons. Ainsi, selon la Coalition mauritanienne « Publiez ce que vous payez  » sur les 475 travailleurs de la société des Mines de cuivre de Mauritanie (MCM), la moitié est recrutée à travers des officines de traite humaine, appartenant pour la plupart à des apparatchiks de l’appareil d’Etat ou à des cadres travaillant au sein de l’entreprise.

Le développement des industries extractives en Mauritanie s’est ainsi accompagné très tôt de l’irrespect des droits des travailleurs et de ceux des communautés locales. Contre la garantie d’être épargnées de la gestion des ressources humaines, celle notamment des armées d’ouvrier, les multinationales se sont plus à ce transfert de compétence à des intermédiaires. Ces derniers, forts de leurs influences au niveau de l’appareil d’Etat, qu’ils arrosent au passage dans le cadre d’un conglomérat d’intérêt, avaient ainsi la possibilité de mater les grèves par puissance publique interposée.

Encadré :

Mines de cuivre de Mauritanie (MCM) : L’exploitation va-t-elle s’arrêter ?

Des habitants d’Akjoujt, l’air jovial. Des unités de forces de l’ordre autour des bâtiments de la société MCM. Tel est le tableau que les revenants d’Akjoujt déclarent avoir laissé derrière eux, alors qu’une seule interrogation revient dans les conversations « MCM va-t-il s’arrêter ? »

Petit à petit, la cité minière d’Akjoujt, 250 kilomètres au Nord Est de Nouakchott, se réveille de son cauchemar et quitte ses habits de deuil après les funérailles de Mohamed Machdhoufi, l’ouvrier tué dimanche 15 juillet dernier lors d’une offensive de la garde nationale contre une manifestation syndicale. La ville reprend ainsi son calme légendaire. L’usine de MCM, véritable poumon nourricier de la cité est pour le moment fermée. Les travailleurs ont suspendu le travail et les employés expatriés, évacués dans le feu de la contestation ouvrière qui avait marqué les journées précédentes, ne sont pas encore revenus. Seuls en postes aux alentours des installations industrielles, des cordons de policiers et de gardes. Pendant ce temps, les conversations roulent sur de fortes probabilités que les Canadiens se retirent et que l’usine ferme définitivement ses portes. Une perspective qui fait planer au sein des travailleurs, une pincée d’anxiété. Alors qu’ils réclamaient quelques subsides de plus pour améliorer leurs conditions de travail, ils se retrouvent devant la probabilité du néant. Un chômage endémique que la fermeture de l’usine va indubitablement entraîner dans une cité dont la seule source de survie est la mine.

 

C’est cette image de cité frappée par l’inquiétude que les visiteurs ont laissé derrière eux à Akjoujt. Des rassemblements épars ici et là dans les rues semi désertes, aux alentours de la Wilaya. Les agents de sécurité qui faisaient partie du décor de la ville ont été remplacés par des unités de la garde qui veillent à 5 kilomètres hors de la ville, sur la sécurité des installations. La gendarmerie nationale a quant elle investi le Club soft du MCM ainsi que le parking, tandis que la police scrute les va-et-vient à l’intérieur de la cité, tout en veillant sur les domiciles des cadres nationaux de la société.

Ce qui est sûr, la ville d’Akjoujt souffre terriblement de cet arrêt de travail dans les mines de MCM. La cité vit une crise économique et sociale asphyxiante. Il faut souligner que MCM, c’était 3000 opportunités de travail offertes à la jeunesse locale, de l’eau potable et des prises en charge médicale. Maintenant que la colère qui assombrissait les esprits s’est estompée, les habitants se mettent à énumérer les réalisations de MCM à Akjoujt, notamment la réfection de l’hôpital régional, la construction de 9 kilomètres de bitume à l’intérieur de la ville, sans compter les 100 kilomètres de réfection sur le tronçon Nouakchott-Akjoujt. Aujourd’hui, la peur de voir l’usine fermer ses portes, constitue la seule appréhension des habitants.

Le drame qui a eu lieu le dimanche 15 juillet dernier n’est qu’une facette de cette injustice devenue monnaie courant dans la gestion des ressources humaines au niveau du secteur des mines. Heureusement qu’entre ce conglomérat des puissances de l’argent et les armées vulnérables de travailleurs, il existe la société civile et les syndicats qui veillent au grain et savent user de leur contre pouvoir. Curieux tout de même que les évènements d’Akjoujt de 2012 puissent rappeler aussi intensément d’autres évènements survenus en 1968, quand pour défendre les mines de la Miferma sous contrôle français, l’armée ouvrit le feu sur un rassemblement de travailleurs qui réclamaient, tout comme ceux de MCM sous contrôle canadien, l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail. L’avenir des travailleurs du cuivre et de l’or en Mauritanie semble ainsi tanguer entre une mort lente à l’intérieur des fosses aux cyanures ou une exécution pour trouble à la quiétude des pilleurs légitimes. Ainsi va l’existence des miniers, au fil du rasoir. Ces désespérés qui acceptent de humer le poison des mines en contrepartie du prix du pain pour leur famille n’ont même pas le droit, dans leur propre pays et sous l’ombre d’une constitution qui leur garantit des droits, de dire Non à l’exploitation ! Se taire dans le déshonneur ou mourir sous le coup de matraque des gardiens du temple, semble ainsi le seul choix qui est offert à ces damnés du Désert. Pendant ce temps, la manne s’en va quelque part ailleurs, avec des miettes dans les poches des intermédiaires locaux. Et rien pour ceux qui vont au turbin. La mort de Mohamed Ould Machdhoufi que le Wali de l’Inchiri, Diallo Oumar Amadou a qualifié quelque part d’évitable si les travailleurs s’étaient tus sur leur malheur, n’est que le mort visible. Combien de Mohamed Machdhoufi sont morts dans leur lit d’hôpital, atteints de silicose ou de poisons humées dans les entrailles de la terre pour extraire des roches pour le compte des employeurs ? Aucune statique n’a été tenue sur ce plan et rarement, quelques entrefilets les évoquent, avant qu’ils ne basculent dans l’ordinaire oubli. Comme une fatalité, les Mauritaniens doivent apprendre à vivre avec leurs richesses minières avec le même naturel que les odeurs de souffre, côtoient les odeurs d’argent et de mort.

Cheikh Aïdara

Source  :  L’Authentique le 23/07/2012

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page