Mort de Mohamed Machdhoufi : un nécessaire cas d’école

(Crédit photo : anonyme)

L’intransigeance de la famille du défunt Mohamed Ould Machdhoufi, tué dimanche dernier à Akjoujt lors d’une manifestation ouvrière matée par la garde nationale, va-t-elle enfin mettre fin à des décennies d’impunité pour bavures militaires ?

Le refus des proches du disparu d’accepter le prix du sang, 5 Millions d’UM offerts par l’Etat mauritanien, et l’exigence formulée pour qu’une enquête approfondie soit menée afin de déterminer les responsables et punir les bourreaux, constituent une donne sur laquelle l’appareil judiciaire mauritanien doit se fonder pour bâtir les véritables prémisses d’un Etat de droit en Mauritanie.

Le corps du jeune Mohamed Machdhfoufi, mort dimanche dernier lors d’une charge de la garde nationale contre des travailleurs des Mines de cuivre de Mauritanie à Akjoujt, devrait finalement être enterré hier. Auparavant, il avait été transporté à l’hôpital de Nouakchott pour un examen médical qui aurait dû déterminer les causes réelles de sa mort. Seulement, l’assistance nombreuse composée d’amis, collègues de travail, parents et proches du défunt, en plus d’une cohorte de journalistes et de curieux, qui a attendu toute la nuit devant le pavillon de l’hôpital, a été profondément déçue par la déclaration, survenue vers 2 heures du matin, d’un des Substituts du procureur de la République qui annonça l’incapacité de l’équipe médicale à déterminer les causes réelles de la mort. Ainsi, l’équipe de chirurgiens et de spécialistes en examen clinique, n’aurait pas pu dire de quoi le jeune Mohamed Machdhoufi est mort ? Bien curieuse hypothèse qui laisse selon plusieurs observateurs des doutes planer sur la volonté des pouvoirs publics à camoufler une fois de plus, une bavure commise par les forces de l’ordre.

Ce qui est sûr, la secousse provoquée par cet incident a ébranlé la République, du président Mohamed Ould Abdel Aziz à ses ministres, dont deux au moins, celui de l’Intérieur et son collègue des Mines, se sont précipités à Akjoujt pour présenter leurs condoléances aux proches de l’ouvrier tué. Aux dernières informations, ils auraient même offert la bagatelle de 5 Millions d’UM à la mère du défunt qui a repoussé le don, soulignant ne souhaiter qu’une chose, la justice pour son fils et la punition pour les auteurs de sa mort.

Aujourd’hui, les parents et proches de Mohamed Ould Machdhoufi veulent faire du décès de ce dernier un cas d’école pour mettre fin aux séries d’actes impunies qui couvrent depuis plusieurs décennies les crimes commis par les forces de l’ordre. Aussi, ont-ils rejeté la déclaration du Parquet selon laquelle la mort du jeune est naturelle et qu’elle est due à une suffocation et une allergie au gaz lacrymogène. Une thèse rejetée par la mère du jeune défunt, qui soutient que son fils jouissait d’une excellente santé et n’a jamais eu de problème de respiration ni d’asthme, ajoutant que son dossier médical est là pour le prouver. Le dossier de Mohamed Machdhoufi reste ainsi ouvert. Si d’une part, le parquet a déclaré être disponible à diligenter toute contre expertise médicale souhaitée par la famille, l’Etat-major de la garde nationale a mis de son côté en place une commission d’enquête interne pour déterminer le degré de responsabilité de ses éléments dans ce drame. La Confédération générale des travailleurs de Mauritanie (Cgtm), à laquelle le défunt Mohamed Machdhchoufi et l’écrasante majorité des travailleurs de la MCM sont affiliées, a également organisé dimanche soir à son siège, une conférence de presse. Son Secrétaire général, Mohamed Abdallahi Ould Nahah a déclaré au cours de cette rencontre avoir été sollicité par les autorités mauritaniennes pour apaiser la situation et entamer de nouveaux rounds de négociation. En retour, les autorités s’étaient engagées à retirer leurs forces des lieux de rassemblement des travailleurs et à ouvrir une enquête sérieuse sur les évènements du dimanche 15 juillet dernier au cours desquels un travailleur a été tué et six autres blessés.

Dans sa déclaration à la presse, le SG de la Cgtm semble avoir particulièrement accusé l’officier commandant l’unité de la garde qui avait pris d’assaut les travailleurs. En effet, il aurait la veille de l’attaque demandé aux employés de rompre leur sit-in sinon ses éléments allaient s’en charger, dussent-ils utiliser des balles réelles. Ce à quoi les travailleurs auraient répondu « Pacifique ! Pacifique est notre manifestation !  » tout en lui rappelant le fait que leur mouvement était parfaitement légal et garanti par la Constitution. N’empêche, tôt le matin du dimanche, la garde nationale a chargé les travailleurs, faisant pleuvoir sur leurs têtes des nuées de grenades lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Bilan de l’attaque, un mort parmi les travailleurs, en l’occurrence le jeune Mohamed Machdhoufi, retrouvé mort et menotté, la chemise ensanglantée, à côté d’un de ses collègues, selon l’une des versions. Il faut dire que trois autres centrales syndicales avaient pris part à la conférence de presse au cours de laquelle toutes se sont engagées à déclarer jeudi 19 juillet prochain, journée sans travail à la mémoire de leurs collègues de la MCM.

Aujourd’hui, c’est toute la classe politique et la société civile qui crient son indignation face à cette utilisation de plus en plus récurrente de la force pour mater des manifestations publiques. Alors que l’opposition réclame l’ouverture d’une enquête indépendante, accusant d’ores et déjà l’Etat mauritanien d’être le principal responsable du drame, le parti-Etat, l’Union pour la République (UPR) pointe pour sa part du doigt la Cgtm qu’elle accuse d’être l’instigatrice de la fronde ayant provoqué l’incident d’Akjoujt. Le climat reste tendu dans la capitale de l’Inchiri où des renforts de plus en plus nombreux de policiers et de gardes ont été déversés, en provenance de Nouakchott, pour prévenir tout débordement. Alors que les autorités administratives locales semblaient prises d’une frénésie toute inhabituelle, alors qu’elles étaient en conclave avec le ministre de l’Intérieur, Mohamed Ould Boilil, des centaines de travailleurs de la MCM faisaient le pied de grue devant la Région, réclamant une entrevue avec le ministre. Le Wali a beau tenté d’apaiser la vive tension à ses fenêtres, il ne sera pas écouté. La cohorte de manifestants en colères exigeait une rencontre entre le ministre et leurs délégués.

Alors que sur le plan judiciaire, l’affaire de Mohamed Machdhoufi bute encore sur le chemin qui mène vers les prétoires des tribunaux, sur le plan politique, la récupération a déjà commencé avec les jeunes du M23 qui ont observé hier un sit-in devant le ministère de l’Intérieur alors que leurs camarades de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) s’apprête à marcher sur la représentation de la MCM à Nouakchott avant de bifurquer en direction des locaux du ministère de l’Intérieur.

L’intérêt suscité par le drame d’Akjoujt rappelle cependant que les drames se succèdent mais ne se ressemblent pas, tout comme ses victimes n’ont pas le même degré d’influence sur l’opinion. La mort du jeune Lamine Mangane, tué à Maghama lors d’une manifestation par un gendarme, n’a jamais eu une telle ampleur. Aucun examen du corps ni aucune enquête n’a été diligentée pour déterminer les circonstances de ce jeune mort à la fleur de l’âge. A part quelques mini manifs organisés ici et là à Nouakchott, il a vite été happé par l’oubli.

JOB

Source  :  L’Authentique le 19/07/2012

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