Il y a 21 ans: La lettre des cinquante

Crédit photo : anonyme)

Le 10 Avril 1991, devant les atteintes graves aux Droits de l’homme, visant particulièrement la communauté négro-mauritanienne et l’absence de libertés démocratiques, une cinquantaine de cadres décident de saisir le chef de l’Etat de l’époque, le colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Ould Taya pour exiger la mise en place d’une commission d’enquête destinée à faire la lumière sur ces douloureux événements et la prise de mesures urgentes pour créer les conditions garantissant l’avènement d’un Etat de droit.

Ils étaient loin ceux qui brandissent actuellement l’étendard de la lutte pour le règlement du passif humanitaire et s’élèvent contre des propos jugés négationnistes d’Ely Ould Mohamed Vall.
Pour mémoire, Le Calame publie cette semaine la lettre ainsi que la liste de ses signataires.

Lettre ouverte à Son Excellence Monsieur le président du Comite Militaire de Salut National, Chef de l’Etat

‘’Monsieur le Président,
L’annonce de la remise gracieuse des peines au profit des détenus pour atteinte à la sûreté de l’Etat avait fait naître en nous l’espoir de voir enfin s’instaurer un climat de détente, de concorde nationale et de paix civile. Le même espoir nous avait du reste gagnés quand la proclamation fut faite des le lendemain du 12 Décembre 1984 de restaurer un Etat de Droit et de mettre en œuvre un processus démocratique réel.
Mais ces espoirs ont été trahis par la mise en pratique d’une politique de répression, avec la systématisation de la torture, dont nombre de nos concitoyens furent, sans distinction, les victimes.
Nos espoirs sont aussi et surtout trahis par de multiples témoignages révélant, dans toute son horreur, l’ampleur de la répression dont furent frappés civils et militaires négro-africains, durant les dernier mois de 1990. Les traitements inhumains et dégradants infligés à la plupart d’entre eux, plusieurs centaines d’exécutions extrajudiciaires, les inqualifiables atrocités traduites en particulier par des mutilations, et les nombreuses disparitions, tout cela a suscité en nous stupeur et consternation.
De telles atteintes aux droits de l’Homme et du Citoyen sont de nature à conforter un climat de suspicion, de défiance et de tension permanente préjudiciable à la cohésion et à la stabilité de notre pays. Elles sont aussi de nature à porter un rude coup aux nobles valeurs de l’Islam, par excellence, religion de tolérance, de fraternité et de respect de l’être humain. C’est pour ces raisons qu’elles constituent un précédent dangereux et unique dans l’Histoire de notre pays.
La gravité de la situation trouble la conscience de chacun et met les mauritaniens attachés à l’unité et à l’indépendance de leur patrie devant leurs responsabilités.
Monsieur le Président,
Ces douloureux et regrettables événements nous semblent être la suite logique d’une politique de répression qui, de par son aveuglement, ne fait aucune distinction entre le coupable et l’innocent. Ils sont encore la conséquence de l’absence de libertés démocratiques.
C’est conscients des fâcheuses retombées de cette situation et mus par les seuls intérêt de la Nation que nous, signataires de la présent lettre, tenons à affirmer notre réprobation des actes terrifiants décrits plus haut et en appelons à vous pour que justice soit faite et que des garanties de sécurité absolue soient assurées à tous les citoyens.
C’est pour ces motifs que nous nous sentons en devoir de vous demander :
– La constitution d’une commission d’enquête indépendante pour faire toute la lumière sur les crimes et forfaits qui ont été commis, afin d’en déterminer les responsabilités à quelque niveau qu’elles se situent et de prendre les sanctions appropriées.
– La prise de mesures urgentes pour créer toutes les conditions garantissant l’avènement véritable d’un Etat de Droit. Pour ce faire, il nous semble primordial d’organiser un débat libre et large devant conduire à la mise en place d’institutions démocratiques. C’est à notre avis le moyen le plus sûr pour conjurer les périls internes et externes qui nous guettent.
La liberté d’opinion, d’expression et d’association, ainsi visée, représente le meilleur rempart contre toutes atteintes à l’unité nationale et contre la délectation, si funeste, constatée dans le crime.
En tout état de cause, nous nous efforcerons pour ce qui nous concerne d’œuvrer, aux côtés de toutes les bonnes volontés, à la réhabilitation et à la consolidation de l’Unité de notre Peuple ainsi qu’a la pérennité d’une Mauritanie fidèle à sa vocation millénaire de Terre de rencontre des Hommes, de Symbiose de civilisations et de cultures diverses mais mutuellement enrichissantes de point de jonction entre deux MONDES que tout rapproche l’un de l’autre. Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments patriotiques.
Nouakchott, Le 10 Avril 1991

SIGNATAIRES
1. Mohamed Aly Cherif, Ancien secrétaire Général de la présidence de la République
2. Ghali Ould Abdel Hamid, Président de la ligue mauritanienne des droits de l’homme
3. Messaoud Ould Boulkheir, Ancien ministre
4. Daffa Bakary, Ancien ministre
5. Me Diabira Maroufa, Ancien ministre
6. Abdel Weddoud Ould Cheikh, Professeur Université
7. Me Diallo Yacoub, Ancien Bâtonnier
8. Sid’Ahmed Ould Habott, Président de l’Ordre des Experts Comptables, maire de F’DEIRIK
9. Dr Dia Alhousseinou, Psychiatre, ancien président de l’Ordre des médecins
10. Dr Yerou Gandega, Pédiatre
11. Me Mouhamedoune Ould Ichidou, Avocat
12. Me Ahmed Ould Cheikh Sidiya, Avocat
13. Diagana Ousmane Moussa, Professeur Université
14. Mohamed Cissé, Inspecteur de l’enseignement en retraite
15. Sy Mamadou, Ancien Gouverneur
16. Boubacar Messaoud, Architecte
17. Cheikh Saad Bouh Kamara, Professeur Université
18. N’Gaide Ibrahima, Ingénieur
19. Me Brahim Ould Ebetty, Avocat
20. Me Abdallahi Oul Bah, Avocat
21. Me Mine Ould Abdoullah, Avocat
22. Me Ly Saîdou, Avocat
23. Bechir Ould Hacen, Cadre de société
24. Traoré Ladji, Economiste
25. Khallihneh Ould Mohamed Mokhtar, Journaliste
26. Mohamed Salem Ould Merzoug, Professeur Université
27. Abderrahmene Ould Yessa, Cadre
28. Mohamed Mahmoud Ould Moud, Inspecteur d’enseignement
29. Me Diabira Boubacar, Avocat
30. Dr Mohamdi Ould Ahmed Khalifa, Médecin
31. Dr Sy Zeine El Abidine, Médecin
32. Dr Mohamed Ali Ould Bouna Mokhtar, Médecin
33. Me Ishagh Ould Ahmed Miske, Avocat
34. Mohamed Aînina Ould Ahmed El Hady, Instituteur
35. Me Hassen Ould El Mokhtar, Avocat
36. Boubacar Ould Mohamed, Professeur
37. Me Ba Mohamed Bechir, Avocat
38. Me Abdallahi Ould Moussa, Avocat
39. Correra Issagha, Professeur
40. Idoumou Ould Cheikh, Instituteur
41. Me Diabira Boubou, Avocat
42. Abdoul Aziz Niang, Ingénieur statistique
43. Moustapha Ould Barar, Professeur
44. Sy Mamoudou, Journaliste
45. Ahmed Salem Ould Mokhtar, Traducteur
46. Wane Birane, Professeur Université
47. Assane Gaye, Professeur
48. Kane Moustapha, Ingénieur
49. Ahmed Salem Ould Bouna Mokhtar, Armateur
50. Mohamdy Ould Sidaty, Professeur

Source  :  Le Calame le 27/06/2012

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