{jcomments on}Plus de 20 ans après les évènements de 1989, la question des déportations reste vivace, brûlante, sujette à toutes les polémiques et controverses, à toutes les manipulations et les négations.
Entre cécité nationale et urgence d’une mémoire apaisée, sinon réconciliée, les fantômes des morts de 1989 et après, les douleurs de ceux qui furent chassés, les mots oubliés et les souffrances réelles n’en finissent plus de hanter les survivants.
Comme si, chez nous, l’Histoire avait été, un temps, une histoire universelle et commune à tous ces agrégats de sociétés réunies sous la terminologie « mauritanité ». Comme si le leitmotiv d’une unité nationale mainte fois déchirée, maintes fois rapiécée, maintes fois recousue, pouvait servir de mémoire commune.
La seule mémoire commune que nous avons fut celle des idéaux des femmes et des hommes, de moins en moins nombreux aujourd’hui, qui ont rêvé un pays bercé par l’Atlantique à l’Ouest, le Fleuve nourricier au Sud, le Sahara au Nord, le Sahel à l’Est. Cette mémoire politique est la seule que nous ayons. La seule qui nous permet de nous sentir, au travers des déchirures de la mémoire sociale, mauritaniens, passionnément, douloureusement, charnellement.
Quand les peuples se côtoient sans se mélanger, quand les réalités de tous nos racismes nous envahissent, nous nous rattrapons à cette mémoire politique, ardemment défendue par nos anciens des Indépendances.
Et nous regardons ce passé, honteux que nous sommes, où des hommes et des femmes ont eu le courage et le culot de rêver un pays où les citoyens seraient égaux, libres et fiers de se regarder les uns les autres, libres de toutes contingences tribales, sociales, sociologiques, loin des carcans des diktats sociétaux.
Dans ce pays de sable, de marigots, de nomades, d’agriculteurs, d’éleveurs, de pêcheurs, ce pays aux multiples langues, dans ce rêve premier, l’avenir se proposait. Et ne s’imposait pas.
La multiculturalité comme terreau de naissance, la diversité comme prisme, la tolérance comme bataille. 1989 a été la fin de ce grand mythe unificateur, la tâche sombre, indélébile, celle de l’infamie, de l’imposture, du vol, du crime d’Etat, de la mystification, de l’ordure.
20 ans après, nous n’avons toujours pas soldé notre passif.
20 ans après, nous refusons toujours de regarder notre passé en face, droit dans les yeux.
Tous savaient, personne n’est coupable. Tous coupables mais non responsables. Tous criminels aux mains propres.
La mémoire passée à la lessiveuse des vœux pieux, karcher confortable qui permet toutes les manipulations.
La pensée, les mots, font partie d’un immense apartheid des esprits qui voudrait qu’il y ait une pensée de « couleur » : les blancs d’un côté, les noirs de l’autre, les bons, les méchants, les racistes, les non racistes. Même la question d’un autre crime, l’esclavage, est perçue comme histoire de « couleurs » : il y aurait d’un côté les méchants Maures et les gentils Noirs; l’histoire manipulée et commode de l’idée pernicieuse que l’esclavage serait plus condamnable quand il est exercé par des blancs sur des noirs, comme si le fait d’être noir et de posséder des esclaves, par une très bizarre contorsion mentale, constituerait un crime moindre…. La géographie des « couleurs »…Concept qui laisse libre court à tous les racismes et xénophobies, à tous les révisionnismes…
La Mauritanie nouvelle se pense en termes de « couleurs ». La mémoire des victimes est vampirisée, fonds de commerce pour certains, réelle lutte pour d’autres, négations pour d’autres encore, enjeu d’un poker menteur qui, par delà les beaux discours, cache des manipulations odieuses sur le dos du sang des morts et des déportés.
Et, à travers ces luttes de pouvoir (tout est pouvoir n’est ce pas?), s’éloigne l’écho des souffrances.
Les noirs manifestent avec les noirs, les blancs avec les blancs. Les politiques, patiemment, déconstruisent notre mémoire.
L’apartheid des esprits…
La haine comme citoyenneté, le rejet, l’incompréhension comme manière de « vivre ensemble » ou, plutôt, du « désunir ensemble ».
Les politiques et les assoiffés de pouvoir, les constructeurs de nos partitions mentales ont réussi : ils ont communautarisé les souffrances et se sont arrogé des droits : les haratines seuls peuvent parler des haratines, les noirs seuls peuvent parler des noirs, les blancs seuls peuvent parler des blancs.
Dès lors que certains, nonobstant ce fascisme des esprits, osent franchir les lignes, ils sont automatiquement suspectés, attaqués, insultés, diffamés.
La couleur de la peau comme tentation sectaire….
1989 recule dans le temps. Demain nous nous réveillerons et 50 ans auront passé, puis 100 ans….
Et l’Histoire aura perdu. La mémoire se sera diluée dans les batailles politiques, les réécritures….
Puisque nous n’avons pas mis la justice au centre du passif humanitaire, puisque que nous aurons refusé de nous colleter avec nos innommables, nous continuerons à danser sur la tombe des victimes.
Puisque nous cherchons quelques coupables sans voir que tout le monde fut coupable, par delà les couleurs de peau, nous continuerons nos amnésies sanglantes.
Et, quelque part en nous, mauritaniens, restera le souvenir de ces temps de honte où la souffrance a servi de tremplin politique, où les cadavres ont servi de perchoir, où les noms ont servi les appétits de pouvoir.
Là, tout au fond de nous, entendrons nous encore murmurer les noms des disparus, des assassinés, des femmes violées, des déportés, des noyés, des pendus, des martyrisés ?
Tous coupables, aucun responsable…..
Que Dieu ait pitié de nous….
Salut
Mariem mint DERWICH
Source : Le Calame le 21/06/2012
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