Mauritanie : Comment rendre la croissance économique plus équitable ?

(Crédit photo : anonyme)

La Mauritanie pourrait réaliser, en 2012, un taux de croissance de 5 %, selon le Fonds Monétaire International (FMI). Elle a été classée en troisième position, dans le monde arabe, après l’Irak et le Qatar. Comment le citoyen lambda perçoit-il la croissance, dans son quotidien ?

Quel est impact de la croissance, sur le bien-être collectif des Mauritaniens ? Un fort taux de croissance est-il une garantie de progrès social ? Enfin, comment rendre la croissance plus solidaire ?

Le Produit Intérieur Brut (PIB) mesure, surtout, la production marchande mais il est, souvent, utilisé pour évaluer le bien-être économique. La confusion entre ces deux notions conduit à des indicateurs trompeurs, sur le niveau de satisfaction de la population. Ce qui pose aussi problème, dans l’appréciation de la croissance dans son ensemble, c’est l’existence d’un hiatus, à peu près universel, entre la mesure des phénomènes socio-économiques et leur perception par les populations, en raison de la croissance des inégalités.

Quand vous dites aux Mauritaniens : « le taux de croissance a été de 5 %, cela suppose que votre revenu a augmenté de 5 % », la relativité de ce sous-entendu est-elle perçue correctement ? On peut très bien avoir un taux de croissance élevé mais qui ne bénéficie qu’à une partie de la population. Partant de ce postulat, certaines personnes peuvent, à raison, se dire : « nous avons constaté que notre revenu a baissé, alors qu’on nous dit que le revenu global a augmenté ».

Ce problème est essentiellement dû à la limite des mesures habituelles de la croissance qui ne prennent pas en compte l’état des inégalités. A cet égard, on a vu monter en puissance, dans la plupart des pays, la part des dépenses publiques. Cela pose plus qu’une interrogation : comment mesurer, par exemple, la production publique, dans le secteur de la santé ? Faute de mieux, on fait la somme des dépenses. Mais cela ne nous dit rien sur la qualité du système de santé.

C’est ainsi qu’on peut avoir des résultats très différents, alors que les dépenses sont similaires. Aux Etats-Unis, les dépenses de santé représentent 15 % du PIB, alors qu’en France, elles sont de l’ordre de 11 %, selon l’OCDE. Cela signifie, en supposant que les Etats-Unis et la France aient le même revenu, que la mesure du PIB nous indiquera que l’Américain moyen est plus riche que le Français moyen. Pourtant, les résultats du système de santé, aux Etats-Unis, sont, et de loin, moins bons que ceux du système de santé, en France.

Pour corriger les mesures habituelles de la croissance, afin de prendre en compte l’état des inégalités et permettre aux Mauritaniens de tirer profit de la distribution de la richesse, il serait nécessaire :

– d’améliorer le système des comptes nationaux pour qu’ils prennent mieux en compte les évolutions des inégalités, entre les riches et les pauvres ;

– de développer des outils permettant de mesurer ce qui importe le plus pour le quotidien des citoyens et la qualité de leur vie. Il ne s’agit pas du bonheur, impalpable, mais des déterminants objectifs et mesurables de la qualité de vie : les revenus, la richesse, le niveau d’éducation, le niveau de la santé ou, encore, le degré de confiance qu’ont les habitants dans leur système judiciaire.
Quant aux déterminants subjectifs de la qualité de la vie, ils sont, tout de même, relativement appréciables. Ainsi, l’état de chômage est, généralement, plus important que le manque à gagner pécuniaire que subissent les chômeurs. Le coup ressenti, par les individus au chômage, leur perte d’identité, leur sentiment d’inutilité, ainsi que leur confrontation aux problèmes quotidiens, constituent, sans aucun doute, une détérioration considérable, voire la précarité même de leur qualité de vie ;

– de se référer au revenu et à la consommation, pour évaluer le bien-être matériel ;

– de privilégier le point de vue des ménages, à travers la prise en compte des impôts, des prestations sociales et des services en nature fournis par l’Etat, comme l’éducation et la santé ;

– d’accorder plus d’importance à la répartition de la richesse ;

– d’élargir les indicateurs aux activités non-marchandes ;

– d’évaluer, de manière exhaustive, les inégalités entre les riches et les pauvres ;

– de favoriser, par une politique sociale bien étudiée, l’émergence d’une classe moyenne, permettant de réduire l’écart entre riches et pauvres ;

– de réaliser des enquêtes, pour comprendre comment les évolutions, dans tel ou tel domaine de qualité de vie, affectent et ont des incidences notables sur les autres domaines ;

– de mettre en place un outil de mesure synthétique de la qualité de vie ;

– d’évaluer la « soutenabilité » du bien-être collectif, c’est-à-dire sa capacité à se maintenir dans le temps.

– Enfin, la généralisation de l’assurance-maladie, accompagnée d’une bonne politique de santé permettant l’accès facile aux soins de qualité à moindre coût, la mise en place d’un système éducatif fiable, la continuité du programme Emel 2012, tout en corrigeant ses imperfections, et la fondation d’emplois pourraient constituer des leviers complémentaires de distribution de la richesse, permettant de réduire les inégalités et l’émergence d’un réel bien-être collectif.

Taghi Ould Cheikhna
Consultant économiste et financier

Source  :  Noor Info le 19/06/2012

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