Ailleurs

(Beyrouk. Crédit photo : Arnaud Contreras)

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– Je vis loin, très loin des autres, dans une oasis éloignée du fracas des machines et des gens, de la fureur des méchants et du contentement béat des simples gens, il n’y a pas de télé chez moi ni Internet, ni de téléphone portable, ni même une radio, rien qui me rappellerait les spasmes inintelligibles d’un monde qui s’écroule et qui ne le sait pas,

rien qui apporterait la déraison et la folie suicidaire dans ma solitude, seulement un vieux magnéto où j’écoute parfois la vieille musique de chez nous, ou la musique arabe des années 60 , et aussi du jazz, et un peu de classique, c’est tout, je suis seul et éloigné de tous et je ferme les oreilles pour ne pas entendre, même de loin, les cris d’orfraie d’un univers sans âme, je ne veux plus entendre parler de Qaida , ni de Nord Mali, ni de Syrie, ni de Palestine, ni de Congo , ni du prix du gas-oil, ni de catastrophes écologiques, ni de FMI, ni de Bourses, ni de ces empires de rien qui gouvernent le monde, ni de ces démocraties braillardes et sans cœur, ni de ces dictatures sanguinaires, je ne suis plus ce mauritanien qui regarde autour de lui un monde qu’il ne connait pas, qui assiste, impuissant, aux chamailleries d’un pouvoir qui ne dit pas ce qu’il veut et d’ une opposition qui ne sait pas ce qu’elle veut ,je ne suis plus cet écrivain qui ne possède que l’orgueil des mots, ni ce vieux journaliste bien dépassé par ses confrères plus « entreprenants », ni ce modeste employé d’une entreprise publique de presse où le patron croit faire de la « politique »alors qu’il recopie les années d’ignorance , je ne suis plus obligé de lire les journaux, ni d’écouter les inepties des hommes politiques ;ni les inconséquences des experts, ,ni les leçons trop savantes de nos trop nombreux savants, je ne suis plus obligé de me pavaner sur les plages de l’ennui, au milieu d’une foule qui ne sait pas nager, je ne vais plus boire du mauvais thé dans un bureau trop climatisé et feindre de m’intéresser aux opinions et aux colères de mes amis, je ne fréquente plus la société, je ne prétend plus avoir des idées pour le pays ni pour le monde, je suis éloigné de tout ça, j’ai dit ; je vis dans une oasis éloignée de tout , je n’écoute que les murmures du vent et le balancement des palmes, j’ai plein, plein de bons livres, et assez de papier pour écrire toute ma vie , je suis ailleurs ; je suis d’ailleurs, je suis donc un homme comblé.
Soudain quelqu’un me pousse du coude :
-Eh, toi, tu es où ?
-Moi ?
-Oui, tu ne dis rien. Tu rêves ou quoi ?
-Je rêve ? Moi ? Non, oui, enfin…Tu peux me passer une cigarette ?

Beyrouk

Source : beyrouk.com le 05/06/2012

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