Bendje et Murakami

(Crédit photo : Arnaud Contreras)

Cela existe bien une journée internationale de la diversité culturelle. Et cela a même été fêté ici, cela a même été l’objet d’un beau discours d’un fonctionnaire de la Culture.

J’ai appris tout cela dans un tout petit entrefilet de notre quotidien « national ».Une journée internationale de la culture, mais c’est formidable! Et même que la journée c’était seulement il y a deux jours .Bien sûr cela n’a pas fait la une des médias, il y a tellement de unes plus alléchantes : la Syrie, le Yémen, l’OTAN à Chicago; les premiers pas présidentiels de M Hollande, l’extrême droite au pouvoir en Serbie et aux premières loges partout. Cela ne pouvait valoir la une des médias, vous voyez bien, une journée de la diversité culturelle. D’ailleurs même la mort de Carlos Fuentes n’a pas fait les grands titres des médias, la culture c’est toujours en page s intérieures, et quand il n’ y a vraiment rien de vraiment alléchant
Moi, quand j’entend diversité culturelle, je vois avant tout une image, celle de ce village d’Amazonie, coupé de la « civilisation « depuis des millénaires et photographié de haut par une équipe de chercheurs. Je vois cet homme dont on ne distingue pas le visage et qui semble tourner vers l’hélicoptère- un oiseau géant, doit il imaginer – ses flèches. Que doit t il penser de nous tous, ces hommes qui ont déserté la « civilisation » depuis des centenaires ? Je crois bien qu’ils nous prendraient pour des sauvages incultes. Et ils auraient certainement raison. Car ils emprunteront alors l’image que tous les peuples qui se croient civilisés ont de l’autre, de celui qui est différent : un sauvage inculte. Je me rappelle bien aussi de ce nomade, devenu goumier, récitant « les poèmes suspendus » de l’âge d’or de la littérature arabe et jetant un regard plein d’aristocratique mépris à cet officier français sorti de Saint Cyr et portant en lui toutes les valeurs hautaines de l’Occident conquérant.
Je crois que découvrir l’humain c’est d’abord de penser que ce « sauvage » de l’Amazonie porte en lui un trésor, que le nomade du Sahara a autant de raisons d’être fier de sa culture que le brillant officier d’Occident, et que l’humanité c’est simplement de découvrir ce qu’il y a d’humain donc de beau en chacun de nous. Cela n’a rien avec les gratte-ciel ni Wall-street, ni même le prix Nobel de physique. Le plus important, c’est ce qu’il y a en nous tous : l’esprit humain et la manière de l’exprimer.
A Akjoujt, j’assistais ces derniers jours à un festival culturel. Il y avait le « med’h’ il y’ avait Bendje, il y avait la poésie hassaniya, mais aussi la musique peulh. J’avais un livre à la main, et une vieille femme venue chanter « Bendje » (une musique et une danse propres aux anciens esclaves) m’a demandé ce que c’était. Et pour m’amuser je me suis mis à lui raconter la belle histoire si bien imaginée par Haruki Murakami. Et cette femme âgée, n’ayant jamais entendu parler d’un écrivain quel qu’il soit m’a écouté, ravie, narrer une histoire créée par un écrivain japonais. Alors je me suis demandé : les cultures sont t elle après tout si diverses ?

Beyrouk

Source  :  Beyrouk.com (blog) le 22/05/2012

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