« La Mauritanie doit être le seul pays au monde à ne pas reconnaître ses filles et fils de valeur. Cela nous freine, car les énergies créatrices ne sont pas libérées »

(Crédit photo : MLK / Noor Info)

Entretien avec Fatmat Mint Sid’Ahmed Mogueya.

Fatmat Mint Sid’Ahmed Mogueya est présidente de l’union mauritanienne des femmes entrepreneures et commerçantes (UMAFEC).

Elle est aussi membre du bureau exécutif de la chambre de commerce et de celui du patronat. Femme d’affaires, elle a commencé ce métier il y a trente ans à Nouakchott, dans l’import-export. Dans le circuit touristique également, elle était représentante du rallye Paris/Dakar. Elle évoque sa carrière, ses convictions, et la Mauritanie qu’elle rêve de voir émerger.

L’UMAFEC existe depuis de longues années. Quels objectifs aviez-vous au départ et où en est cette initiative aujourd’hui?

L’UMAFEC a été créé en mars 1993. En ce temps il fallait s’organiser et créer une structure pour défendre les intérêts matériels et moraux des femmes entrepreneures. L’assemblée générale de l’époque à partir de statistiques qu’on avait recueillies, constatait que les marchés étaient remplis de femmes, mais pas propriétaires de leurs boutiques et étalages. J’avais pensé convaincre l’état de nous attribuer un terrain. Dans ce cadre j’ai fait des pieds et des mains pour rencontrer Ould Taya. J’avais vu dans son programme qu’il accordait une place à l’émancipation féminine. Je suis donc entrée directement en contact avec lui.

Le plus important était d’avoir un terrain pour un centre commercial exclusivement féminin. On ne pouvait pas parler d’émancipation féminine sans donner aux femmes les moyens d’être indépendantes matériellement, et leur laisser dépendre des contingences masculines.

Il a compris, et nous a attribué un terrain. Ce ne fut pas facile, car deux ans après une première demande, le dossier était toujours bloqué. À la deuxième séance, les choses ont été accélérées. On a opté pour payer le terrain au trésor public. Dans les années 90 les femmes étaient escroquées littéralement au marché de la Capitale. Illettrées pour la plupart, le potentiel d’être arnaquée était important et a été effectif.

Aujourd’hui l’UMAFEC regroupe 247 femmes entrepreneures. Personne ne nous a aidé à monter cette structure, même notre mutuelle d’épargne et de crédit qui y est adossée. Ce centre commercial et la mutuelle sont au final une réussite. 61% de l’apport l’a été par les femmes, et les 39% restant par la GBM. Nous l’avons intégralement payé en 2004. Le marché appartient totalement à ses femmes à présent.

Avez-vous le sentiment que la femme mauritanienne est plus impliquée dans l’entreprenariat aujourd’hui?

La femme dans l’esprit mauritanien est un genre qui ne sait faire que du commerce. Mais cela change. La femme est dans le domaine de l’entreprise, des activités publiques de marché. L’homme en Mauritanie veut travailler exclusivement avec son égal masculin, pas avec la femme. Nous avons fait nos preuves et nous avons droit au chapitre maintenant.

La politique et vous?

J’ai toujours été apolitique jusqu’en 2006 ; même si j’ai toujours supporté Ould Taya. En 2006, j’ai été sollicitée par différents partis, durant la période de la transition. J’ai été tentée alors par les promesses que cette transition offrait à la démocratie mauritanienne. Le programme du RFD m’a enthousiasmé et l’engagement de son président Ahmed Ould Daddah m’a marqué. Depuis je ne l’ai pas quitté.

Imaginez-vous une présidente de la république de Mauritanie un jour?

Dans les décennies à venir pourquoi ! Mais sans véritable démocratie, c’est un rêve pieux. On représente 53% de la population, donc on aura nos chances dans un cadre démocratique. C’est pour cela que, je le répète encore, rien de durable ne sera fait, surtout pour les femmes, sans la démocratie.

Comment imaginez-vous la Mauritanie dans 20 ans?

Dieu seul le sait! Mais je veux voir ce pays stable, démocratique. Je veux voir les communautés réunies, de la justice sociale. On en est encore loin ! Il faut le reconnaitre.

Tant que chaque corps armé, social, politique, économique, culturel, ne s’occupe pas à développer son cadre professionnel et placer l’intérêt de la nation au-dessus de tout, le pays n’avancera pas.

Les militaires doivent s’occuper de leur métier de sécurité et de protection. Pas d’autre chose. Tant que les militaires seront au pouvoir le pays n’avancera pas.

La conscience politique du citoyen mauritanien, surtout en tant que mauritanien avant toute origine tribale ou ethnique, n’est pas encore développée. Et la division qu’engendrent les militaires n’y aide pas.

Au-delà, la Mauritanie doit être le seul pays au monde à ne pas reconnaître ses filles et fils de valeur. Cela nous freine, car les énergies créatrices ne sont pas libérées.

On parle de crise de valeurs en Mauritanie…

Et c’est tout à fait justifié. On a placé le matériel, la belle voiture, la belle maison au-dessus de tout. En oubliant que l’éducation est le meilleur héritage que vous puissiez léguer à vos enfants. J’ai commencé le commerce presque en même temps que j’ai eu mes premiers enfants. J’ai tout fait pour eux. Ce n’était pas évident de concilier les deux mais dieu merci j’ai réussi. Je n’ai pas fait d’études. J’ai juste fait mon entrée en sixième. J’ai donc fait le maximum pour qu’ils aient une éducation intellectuelle épanouie.

Et de ce fait, si il y a une chose que j’ai essayé d’inculquer à mes enfants c’est le sens du travail, sans renier ses obligations morales envers sa famille.

Propos recueillis par MLK

Source  :  Noor Info le 15/05/2012

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