Vendredi 27 avril. Biram Ould Abeid, président de l’organisation « non reconnue », Initiative de Résurgence Abolitionniste (IRA) supervise, après une prière organisée en dehors des mosquées, l’incinération de quelques traités islamiques du rite malékite qui consacreraient et légaliseraient, selon le leader harratine, la pratique de l’esclavage.
L’opération provoque une levée de boucliers et une vague de manifestations à travers tout le pays. Les protestataires en colère demandent la tête du jeune homme. De fait, l’action de vendredi semble constituer la goutte qui a fait déborder le vase, mettant fin à la relative patience des pouvoirs publics qui envoient, sous la pression de la rue, un peloton de plusieurs centaines de policiers arrêter, violemment, l’intrépide, au fond de sa maison de Riyad. Plusieurs autres personnalités de son organisation sont également interpellées.Un acte condamnable
Incontestablement, l’acte de Biram est condamnable, à tout point de vue. Il dénote, d’une part, une méconnaissance, incompréhensible, de la société où il mène son combat ; accessoirement et plus compréhensible, celle des textes qu’il a, si hâtivement, incriminés ; et, d’autre part, d’une surprenante naïveté à s’en prendre, sans réfléchir, à des manuels autour desquels tout le landernau savant tisse sa foi et ses enseignements. Or, tout bon défenseur d’une cause – aussi juste, du reste, que l’éradication totale de l’esclavage – devrait savoir, à tout moment de son combat, quel discours tenir, quel acte entreprendre, en fonction de l’évolution des mentalités ? Sans frustration, ni provocation, ni risque. L’ampleur de la réaction populaire démontre à quel point Birame, qui bénéficiait d’une bonne dose de sympathie, y compris dans les milieux des anciens maîtres, s’est mis tout le monde à dos, jusqu’à ceux pour qui il entend mener combat. Malheureusement, sa jeunesse, sa fougue et son inexpérience lui ont joué un mauvais tour. Une bataille est perdue mais la guerre continue.
Instrumentalisation et manipulation
La gravité de l’acte, dans un pays adepte du rite malékite, n’a d’égale que l’ampleur, voire l’exagération que lui ont données le régime et ses thuriféraires. Walis et notables régionaux auraient été contactés, pour superviser l’organisation de marches de condamnation, à travers tout le pays. Les organisations de la société civile et les associations de jeunes, mobilisées, pour réclamer la mort de l’« apostat ». Les médias officiels, mis à profit, pour couvrir toutes les actions de condamnation, expressions de rejet et de consternation. Avec ses fréquents déplacements à l’étranger et ses régulières sorties contre le pouvoir en place, Birame et son organisation gênaient énormément. Les tentatives de déstabilisation interne, avec le débauchage et la dissidence de quelques-uns de ses principaux lieutenants, comme Houssein Dieng, il y a quelques mois, et Lehbouss, il y a quelques semaines, ne semblaient pas avoir suffi. C’est alors que l’option de le manipuler de l’extérieur aurait été envisagée. Réputé très influençable, le président de l’IRA qui entretient beaucoup de liens avec des mauritaniens nantis d’un « glorieux » passé avec les renseignements généraux, aurait été victime d’une lâche manipulation qui l’a fait tomber, naïf, dans les mailles d’un piège machiavélique tissé à travers toute l’Europe. Finalement, l’instinct à foncer tête baissée, la maladresse d’entretenir des rapports avec des organisations qui opèrent en dehors du pays, et l’imprudence d’écouter les conseils de personnalités rompues à la manipulation, à la compromission et à la recherche d’argent sous couvert de grands principes humanitaires, sinon à l’exploitation de ceux-ci à des fins islamophobes, ont constitué l’autel sur lequel le combat de Birame a été sacrifié.
Une cause juste
L’esclavage, nonobstant l’approche politique qu’en font certains milieux, est une pratique qui existe encore en Mauritanie. Rien ne sert de rappeler qu’il y est constitutionnellement aboli. Mais la loi 0048 de 2007 qui le criminalise et le procès de Yarg et Saïd, en 2011, sont, à eux seuls, des preuves suffisantes de son existence.
Cependant, l’heure n’est pas à la polémique. Et ce n’est pas parce que de vertueux oulémas le nient, pour ne pas choquer le pouvoir, que les centaines de milliers voire le million de Mauritaniens qui en souffrent encore, plus ou moins directement, en soient, miraculeusement, débarrassés. Certes, l’esclavage n’existe plus dans ses formes traditionnelles : Corde au cou, vente publique dans les marchés, cadeau de naissance de petits esclaves ou déplacement de la nouvelle mariée avec sa petite Mbeirka ou Hanna… Mais il existe, bel et bien, des gens qui souffrent, encore, de rapports issus d’un esclavage d’ascendance et d’une mauvaise interprétation d’anciens traités malékites qui permettent, à leurs maîtres, d’user et d’abuser de leurs mères, de leurs sœurs et de leurs femmes, dans un silence, assourdissant, des oulémas et faqihs qui n’ont pas le courage de prendre leurs responsabilités, craignant déplaire ou choquer, et refusent d’accepter de larges débats où seraient conviés savants, politiques, sociologues, chercheurs, organisations des droits humains et presse, sur la question de l’esclavage. Tôt ou tard, pourtant, il leur faudra organiser des sessions, nationales, de relecture, toilettage et épuration de ces vénérables textes, en vue de l’adaptation du fiqh au nouveau contexte social et sociétal de la Mauritanie. L’esclavage y fut, longtemps, un de ses soubassements économiques, intellectuels et psychologiques. Il continue, sous le boisseau, à perturber nos relations. Les anciens esclaves et personnes issues de milieux défavorisés doivent bénéficier, à ce titre, d’attentions particulières, à travers des programmes et stratégies d’intégration, englobant ces trois dimensions.
Aussi odieux soit-il, l’acte de Birame est une occasion de reposer la problématique avec plus de sérieux et de courage ; de creuser, profondément, pour trouver, au-delà de l’instrumentalisation politique et des considérations égoïstes, les véritables raisons d’une telle erreur qui n’est pas, seulement, celle d’un homme mais, aussi et, peut-être, bien plus, symptomatique de maux collectifs.
A qui profite le « crime » ?
Incontestablement, au pouvoir d’Ould Abdel Aziz. La profanation des livres du rite malékite a constitué une véritable bouée de sauvetage à un régime aux abois qui ne savait plus quoi faire, tant la pression de la rue l’étouffait. Elle a permis, aussi, de mettre hors d’état de nuire un jeune militant tonitruant qui menait une dure campagne de dénigrement du régime, à travers toute l’Europe, et dont l’arrestation, en dehors de telles circonstances, aurait, certainement, suscité des problèmes supplémentaires, au pouvoir d’Ould Abdel Aziz. D’où la plausible thèse de la manipulation que certaines informations commencent à corroborer. D’abord, l’implication, dans l’affaire, de certaines personnalités proches du pouvoir, comme ce docker, très connu, du port, qui fit, souvent, le déplacement dans les plus grandes délégations du gouvernement (Bruxelles et autres missions d’explication du « coup d’Etat » du 6 août). Ensuite, l’intense instrumentalisation politique et médiatique de l’évènement par le pouvoir, afin de détourner les Mauritaniens de leurs vrais problèmes quotidiens. Enfin, la mise en scène orchestrée par les services de renseignements qui ont, systématiquement, pris soin de canaliser chaque manifestation vers le palais présidentiel où le Président sortait les recevoir et leur promettait, avant même que la justice ne se prononce, que des mesures seraient prises à l’encontre des profanateurs.
Sneïba El Kory
Source : Le Calame le 07/05/2012
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