La machine à s’indigner est de retour. Et chacun d’y aller de sa marche de protestation, de condamnation, quelques uns réclamant carrément la tête du mécréant, de l’impie, de l’apostat, du blasphémateur. Là où les jeunes activistes d’un printemps arabe n’y arrivaient pas, l’autodafé mis en scène par le leader d’IRA a réussi ce que l’on pensait impossible : réunir des milliers de manifestants à travers la Mauritanie.
Le geste stupide et provocateur de Biram Ould Dah Ould Abeid, par delà le suicide politique qu’il représente, vient d’unir les mauritaniens dans une commune dénonciation.
Notre président, quelque peu malmené depuis des mois, se cherchant une majorité plus « combattive », cible d’une contestation politique et sociale, peut remercier Biram.
Le président d’IRA vient de lui donner une occasion en or de reprendre le terrain occupé par l’opposition et se présenter, si ce n’est en Amir el Mouminin, au moins en défenseur acharné de notre religion.
Que s’est-il donc passé dans la tête de l’activiste de la lutte anti esclavage pour aller s’immoler et briser son futur politique?
Comment n’a- t-il pas « senti » qu’en Mauritanie, il y a des lignes rouges à ne pas franchir, non pas parce que nous serions incapables de la moindre critique envers certaines interprétations du Livre Saint, mais parce que l’Islam est la seule chose qui unit les différentes composantes de notre république, la seule. Et que porter atteinte à l’Islam provoque des réactions épidermiques. Passionnelles, basiques souvent, émotionnelles la plupart du temps.
Dans notre monde de l’immédiateté de l’information et du scoop, de l’action « tout de suite et maintenant », point de place au recul.
Les protestataires réclament du sang. Notre président leur en promet.
L’autodafé mis en scène par Biram est stupide. Il est contre productif. Il est réducteur. Il est diviseur.
Il démontre une incapacité à se projetter politiquement dans le futur. Il est dérapage.
Par ce geste insensé, le président de l’IRA a signé sa mort politique, donnant raison à ses détracteurs.
Ses « amis » d’un temps ont tous pris soin de se démarquer de l’homme, comme c’est souvent le cas en politique. Ceux qui le courtisaient le fuient aujourd’hui comme la peste. Oubliant qu’ils l’ont « dragué ».
Mais quand les passions retomberont, que les manifestants se tourneront vers d’autres combats, peut-être sera-t-il temps alors de nous interroger, loin du fanatisme des uns et des autres.
Car ce geste imbécile soulève bien des questions, quoique veulent bien en dire les apôtres du « Vrai Islam » : quelle place pour les interprétations de l’islam dans nos sociétés? Jusqu’où la liberté d’expression peut-elle aller? Quelle contestation, sous quelle forme?
Pendant des siècles, nos oulémas et nos tribus maraboutiques se sont basés sur les livres qui ont été brûlés pour justifier l’esclavage, les castes, les dominations sociales, l’exploitation.
Nous n’entendons pas beaucoup, à l’heure actuelle, les oulémas s’élever contre cet héritage du passé et oser dire « nos ancêtres ont mal agi au nom d’une interprétation religieuse ».
Une partie de nos concitoyens, en 1989, n’a pas eu d’états d’âme pour massacrer nos compatriotes négro mauritaniens en plein mois de Ramadan, « brûlant » ainsi symboliquement notre rite malékite.
Jusqu’à aujourd’hui ils ne sont pas punis. Des hommes ont violé, tué, volé, pillé, déporté, terrorisé des milliers d’hommes et de femmes durant le mois béni du Ramadan.
Pendant des decennies, des commerçants ont pillé la Mauritanie, détourné, affamé…tout en accomplissant leur devoir de musulman.
Jusqu’à aujourd’hui, des hommes et des femmes exploitent d’autres hommes et d’autres femmes, sans être punis par la loi, tout en étant de « pieux » musulmans.
Jusqu’à aujourd’hui de « sages » érudits mènent une croisade pour défendre un soit disant « islam mauritanien » quand il s’agit des mariages précoces et forcés.
Alors, oui, le geste de Biram est stupide et dangereux, fanatique et irréfléchi. Oui il choque. Oui il heurte.
Mais il est le reflet des multiples contradictions de notre société, emmaillotée qu’elle est entre hypocrisies, réalités, faits, impuissance.
Nous avons peut-être oublié, dans le grand tourbillon de la modernité et de l’héritage d’un passé pas si glorieux que ça, pris dans le maëlstrom d’un Islam fantasmé et d’aspirations à la paix, d’aimer Dieu. Tout simplement.
Salut
{jcomments on}
Mariem mint DERWICH
Source : Le Calame le 03/05/2012
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com
Les opinions exprimées dans la rubrique Tribune n’engagent que leurs auteurs. Elles reflètent en aucune manière la position de www.kassataya.com