Islamisme, misère et autoritarisme, un pays maghrébin en difficulté :la Mauritanie inquiéte pour son avenir

(Crédit photo : AFP)

Depuis trois semaines, c’est la prohibition en Mauritanie. Les services du gouvernement ont perquisitionné tous les snacks, les restaurants, et ont systématiquement saisi les boissons alcoolisées.

Les propriétaires, souvent des étrangers, sont pris à la gorge et travaillent depuis à perte, et risquent de mettre à la porte leurs employés. La clientèle, des étrangers surtout, qui a l’habitude de fréquenter ses lieux s’abstient et préfère rester chez elle. «Si cela continue, nous serons obligés de fermer boutique et mettre dehors tout nos employés», peste un des propriétaires. «Nouakchott est devenue invivable pour les étrangers», fustige un autre.

Pour beaucoup, l’interdiction est en fait chose normale dans une République estampillée islamique. Mais certaines choses ont été toujours tolérées lorsqu’il s’agit d’étrangers. La décision du gouvernement mauritanien, intervenant dans un contexte où la contestation va crescendo en Mauritanie, s’avère un clin d’œil aux islamistes qui se renforcent de jour en jour. Le parti d’obédience «Frères musulmans», le Regroupement National pour Développement, connu sous le l’appellation Tawassoul qui fait partie de la Coalition de l’opposition démocratique (COD), a commencé à sortir ses griffes après avoir soutenu pendant longtemps les démarches du président Mohamed Ould Abdelaziz. Gonflés par l’arrivée des islamistes au pouvoir en Tunisie, au Maroc et en Egypte, les responsables de ce mouement le plus organisé de la classe politique mauritanienne demande à Ould Abdelaziz et son régime de «dégager».

De l’avis des Mauritaniens rencontrés à Nouakchott, Tawassoul commence réellement à drainer des foules, même si la population est déjà idéologiquement bien servie, puisque, officiellement, la Mauritanie est une République islamique.
Qu’à cela ne tienne, Tawassoul a trouvé la formule en copiant l’activisme de tous les mouvements islamistes dans le monde arabe. Sur le plan médiatique, il possède ses propres supports. Deux journaux électroniques, les plus importants à Nouakchott, et l’un deux est aussi diffusé sur support papier. Il s’agit d’El akhbar et de Sirradj. Tawassoul a investi, par ailleurs, dans l’humanitaire et le caritatif.

Selon un journaliste mauritanien, le parti contrôle et gère plusieurs centres de santé dans le pays.
Il assure un accès aux soins quasi gratuits. Il a son propre réseau associatif. Son appendice, l’association «Bessma et amel» (sourire et espoir) prend en charge les orphelins, offre des repas gratuits durant le mois de Ramadhan, distribue également la zakat, un impôt islamiste. Il a aussi ses propres souks où les pauvres peuvent aller s’approvisionner. Avant le coup  d’Etat contre Maâouiya Ould Sid Ahmed Taya, en 2005, les islamistes de Tawassoul étaient presque tous en prison. Ils étaient frappés d’une interdiction d’activer politiquement. L’argument du président déchu était que la Mauritanie est une République islamique. Pour l’ancien chef de l’Etat, les Mauritaniens n’ont pas besoin d’un parti islamiste.

C’est Mohamed Vall qui les libérera à l’issue de son coup d’Etat. En les élargissant, l’auteur du putsch contre Taya voulait envoyer par ce geste séducteur un signal à la société mauritanienne pour gagner sa sympathie surtout après un tel coup de force.
Les cadres de Tawassoul, à leur tête Mohamed Jamil Ould Mansour, qui a fait ses classes au Soudan auprès de Hassen Tourabi, ont été autorisés à mettre en place leur propre formation politique. Ils ont, selon un journaliste et spécialiste mauritanien de la question Mokhtar Temim, «scellé une sorte de pacte de non agression avec le pouvoir en place».

«Ould Abdelaziz dégage»

Ils ont même été un des importants soutiens du nouveau président, le général Mohamed Ould Abdelaziz. «Très disciplinés et rigoureux, les cadres dirigeants de Tawassoul intégreront le jeu politique en participant, une année après leur sortie de prison, aux premières élections municipales et législatives en 2006 et obtiennent 4,76 % des suffrages». Ce n’était en fait qu’un début. Selon le même spécialiste, «le parti en question a eu le temps de travailler la société en investissant le social et la daâwa, «la prédication». D’où viennent les financements de ses actions ? A Nouakchott, ce n’est un secret pour personne. Des associations caritatives des pays du Golfe, particulièrement d’Arabie-Saoudite et du Koweït offrent des dons sous forme de zakat. Il n’y a pas d’aide directe des Etats, mais il y a des solidarités entre les partis et les associations d’obédience, indique notre interlocuteur. «Les démembrements de Tawassoul s’occupent de la gestion en construisant, entre autres, des centres de santé, financent les aides pendants le Ramadhan, prennent en charge les orphelins. Le parti fait appelle même à ses propres médecins pour soigner les nécessiteux.»

C’est toute une logistique qui nécessite d’énormes finances, et ils semblent avoir trouvé le bon filon. La générosité saoudienne et koweitienne qui, selon des sources bien informées, font la promotion du wahabisme. Le Qatar aussi. Les hommes d’affaires qui lui sont proches mettent également la main à la poche pour financer des opérations de charme envers les Mauritaniens. Avec une organisation sans faille, les islamistes de Tawassoul soutiennent des observateurs de la scène mauritanienne, et avec les développements politiques survenus dans le monde arabe, se mettent alors à rêver. Le pouvoir, qui est plus que jamais à portée de main dans leur pensée, fait tourner la tête aux «frères» de Nouakchott. Après une période de cohabitation, raconte un ancien conseiller à la présidence, ils demandent aujourd’hui à Ould Abdelaziz de «dégager». Ils l’expriment ouvertement. «Le pouvoir en place doit partir.»

Pour les contrecarrer, le régime de Abdelaziz riposte. Il y a un mois, raconte un journaliste rencontré à Nouakchott, «alors que le parti islamiste a appelé à un meeting populaire, le gouvernement mauritanien programme à la même heure une action sociale. Il avait procédé à la distribution de denrées alimentaires. Et au lieu d’aller assister à la manifestation politique de Tawassoul, les citoyens ont préféré faire la queue devant les magasins pour prendre leurs rations». Selon un ancien cadre de l’Etat, «il y a un bras de fer entre le pouvoir et l’opposition. Et c’est un ancien ministre des Affaires étrangères qui fait le ‘’go between’’ ». Il faut dire, le régime de Abdelaziz est contesté à Nouakchott, pas seulement par les partis islamistes. «Il y a un malaise généralisé», soutient un journaliste mauritanien. Il essai alors de séduire sur deux fronts.

«La lutte contre la corruption, pour laquelle il fait tout un matraquage, mais aussi les concessions envers les islamistes, la tendance la plus dure et la plus forte en Mauritanie : les salafistes qui refusent pour l’instant d’intégrer le jeu politique préférant l’action de la daâwa, la prédication. Ceux là, ils sont présents partout dans la société, c’est eux qui règnent sur la morale. Et Mohamed Ould Abdelaziz semble résigné à lancer le dialogue avec eux en s’inspirant des concessions accordées par l’ancien président de la Mauritanie Mohamed Adellahi, au début des années 2000, lorsqu’il a procédé à la construction d’une mosquée au siège de la présidence. Il négocie avec eux. D’ailleurs, une manifestation organisée dans Nouakchott par des dizaines de femmes en niqab, des épouses des détenus salafistes qui revendiquent la libération de leurs maris, ont crié à tue-tête l’instauration d’un Etat islamique, a été tolérée. Pas seulement, des salafistes qui ont, semble-t-il, renoncé à l’action du djihad, ont été graciés, mais d’autres, les plus radicaux, ont, selon des informations recueillies sur place, été déplacés de Nouakchott où ils étaient emprisonnés vers une prison située dans le pays profond.

Said Rabia

Source  :  El Watan le 03/05/2012

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