Vatwa d’un théologien mauritanien : les actes de Biram ne sont ni apostasie ni hérésie (Cheikh Ahmed Elhady, Erudit et Théologien mauritanien)

incineration-livres-biramDans une Fatwa publiée hier (texte et vidéo) sur le site d’information en ligne Akhlam, le théologien et érudit mauritanien, Cheikh Ahmed Elhady, revient sur la qualification, du point de vue de l’Islam, de l’autodafé des livres de jurisprudence malékite organisé par Biram Ould Abeid le vendredi 28 avril 2012 à Ryad, dans la banlieu sud de Nouakchott.

Pour Cheikh Ahmed Elhady, les ouvrages incinérés ne sont absolument pas sacrés pour les musulmans. Ce sont des ouvrages qui ont été écrits à une époque éloignée et ont été abandonnés y compris par les peuples pour lesquels ils avaient été écrits. Ces livres ont été remis en causes par nombre d’Ouléma de Mauritanie parmi lesquels Cheikh Sidi El Mokhtar El Kounti et l’Imam Bouddah Ould El Bouceyri.

Par ailleurs, le théologien rappelle, exemples à l’appui, que la destruction de livres par le feu, par le délavage (destruction par l’eau) ou par l’enfouissement est une pratique très connue dans l’histoire de l’Islam. Parfois ce sont des extrémistes ou sectaires qui brûlent, délavent ou enfouissent les œuvres de leurs adversaires. D’autre fois ce sont les auteurs eux-mêmes qui demandent dans leur testament de faire disparaitre leurs œuvres de peur que leurs adeptes ne s’en servent comme référence à la place du Coran ou de la Sunna (dires et gestes du Prophète (psl). Jamais ces actes ne furent qualifiés d’apostasie ni d’hérésie.

 

Voici une traduction de cette Fetwa :

Louange à Allah, Paix sur ceux qu’Il a élus ;

Ce que Biram a fait, vendredi dernier concernant la destruction par le feu d’un groupe de manuels de jurisprudence islamique ne peut être qualifié ni de mécréance, ni d’apostasie, ni d’hérésie, ni de déviance. Surtout quand on sait que les livres détruits sont l’objet d’importantes controverses dans les milieux scientifiques et au sein des universités de droit musulman. Nombreux sont les Ouléma qui doutent de la filiation réelle de la « Moudawana » à l’Imam Malik. On sait juste qu’Achbeh avait consigné une partie de ce qu’il avait entendu de Malik. Ce fut aussi le cas d’Ibn El Ghacem. C’est la « Moudawana » de Sahnoun, connue sous le nom de « Moudawana mère », qui est accréditée dans le rite malikite. Or il est très probable qu’elle ne soit pas de Sahnoun mais plutôt de Assad Inb El Varat. Ni Assed Ibn El Varta ni Sahnounu n’avaient vu ou entendu directement Malik et la querelle sur la paternité de la «Moudawana mère » ne fut pas particulièrement glorieuse.

Quant au traité d’Ibn Achr, il est de notoriété publique que le rite malikite n’en représente que le tiers. Abdel Wahid Ibn Achr lui-même affirme que  son livre traite de la jurisprudence malikite et non du rite de Malik.

Nombreux sont les Ouléma qui émirent des réserves sur « l’Abrégé de Khlil ». Ils considèrent que cet ouvrage traite plus des Fatwa (consultations) que des questions consensuelles de tous les jours. Or la Fatwa est tributaire des conditions dans laquelle elle a été produite mais aussi par celui qui la produit.

Parmi ces Ouléma qui sont réservés sur l’Abrégé de Khlil ont peut citer Cheikh Sidi El Mokhtar El Kounty qui émit, à ce propos, sa maxime célèbre : « … le texte de Khlil recèle de perles et de pacotilles » (au sens où on y trouve tout et n’importe quoi, ndlr).

Parmi ces mêmes Ouléma qui émirent des doutes sur la valeur réelle de l’Abrégé de Khlil et de ses exégètes on cite aussi le Cheikh Beddah Ibn El Bouçayri, le Mufti du pays de Chenguity et son Imam incontesté qui ne cesse de répéter que celui qui s’en tient au consensuel ne risque pas de s’éloigner du rite de Malik sous-entendant que le recours aux exceptions objet des Fatwa (comme en regorge l’Abrégé de Khlil, ndlr) n’est pas opportun.

Nombre de respectables Oulema, parmi ceux qui rechignent à dire la vérité ces derniers jours, avaient affirmé que l’Abrégé de Khlil ne descend, certainement pas, d’Allah pour cause de la multiplication d’incertitudes, de zones d’ombre…

Sachant que les ouvrages consumés par le feu sont tout sauf sacrés, qu’ils ne sont ni le Coran ni la Sunna, qu’ils ont été imaginés par des personnes qui les ont écrits de leurs propres mains et que parmi eux il y’en avait qui ne connaissent que peu de chose du Livre ;

Sachant que ces livres ont été rédigés à une époque différente de la nôtre, destinés à des peuples qui différent de nous et que ces mêmes peuples les avaient abandonnés et jetés aux oubliettes ;

Sachant tout cela, il nous est possible de discuter maintenant de l’autodafé de ces livres ou de leur destruction par enfouissement…

Il est connu que l’effacement, l’enfouissement et l’incinération ne sont nullement considérés comme étant une offense car le Prophète (PSL) dit : « celui qui a consigné de moi autre chose que le Coran doit l’effacer. Ne consignez de moi que le Coran ».

L’histoire de l’Islam nous livre de nombreux exemples d’autodafés d’ouvrages rituels, brûlés pour sauvegarder la pureté et l’authenticité du Livre et de la Sunna ou pour soutenir des rites concurrents. Personne n’a jamais été jugé pour hérésie ou apostasie pour de tels faits.

C’est ce qui arriva aux ouvrages d’Ebi Mohamed Ibn Hazm  El andaloussy (456 de l’Hégire). Suite à la controverse qui l’opposa aux Ouléma malikites, il vit  l’ensemble de ses livres partir en fumées, brûlés par ses adversaires. El Andaloussy eut cette réflexion mémorable : « qu’ils brûlent le papier mais ce que portait le papier reste enfoui dans mon cœur ».

C’est aussi ce qui arriva aux livres de Hejet El Islam Ibn Hamed Elghazaly sur ordre du Sultan  Aly Ibn Youssouf et en exécution d’une Fetwa du juge Ayadh.

C’est aussi ce qui arriva aux livres de jurisprudence en général et ceux du rite malikite en particulier sous le règne des Mouwahidine qui intimèrent l’ordre aux croyants d’abandonner l’application des quatre rites musulmans et particulièrement le rite malikite au profit  de la seule Sunna.

L’autodafé, dans l’histoire de l’Islam, ne fut pas du fait exclusif des extrémistes ou autres sectaires… Nombres de’Oulema avaient confié à leur testament leur volonté de voir l’ensemble de leurs œuvres détruites par incinération ou par enfouissement et ce en dépit de leur valeur inestimable. Le but ici fut d’éviter que les adeptes de l’érudit défunt n’adoptent ses écrits comme référence à la place du Coran. Parmi ces Ouléma on site Choubetta Ibn El Hajaj qui était considéré comme étant l’une des sommités dans l’exégèse de la parole du Prophète (PSL). Son fils, Saad Ibn Choubetta Ibn El Hajaj, disait de lui : « Mon père m’avait demandé de délaver ses ouvrages après sa mort et je les ai délavés ».

El Havedh Eddehebi disait, dans son ouvrage « Syyer Aalam Enoubela » : « Cela avait été fait par plus qu’un par délavage, par incinération et par enfouissement ».

Je dis : sachant tout cela, on sait que l’incinération de livres, autre que le Coran, n’est autre chose qu’un balancement entre l’erreur et la vérité. Cela ne rentre en rien dans le domaine de la mécréance ou de la piété. Probablement d’ailleurs, cela pourrait être de l’ordre des bonnes grâces dans la mesure où ces livres faisaient écran entre les croyants et le Saint Coran.

Cheikh Ahmed Elmehdy, Théologien et Alem mauritanien

Source : Akhlam via Mohamed Baba Said

 

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