Maurichronique: Lettres mauritaniennes

(Crédit photo : anonyme)

Mon Président a donné une interview remarquable à un groupe de médias français, de la France. Je l’ai reconnu, mon Président, ce jour-là. C’était bien lui. Dans son jardin présidentiel, en face de trois journalistes français, qui l’assaillaient de questions. L’assaillir. L’attitude de mon président exprimait bien l’assaut. Je me suis dite, en voyant mon Président se démener à répliquer, ils sont des terroristes, ces journalistes français.

Des membres de la Qaida, c’est sûre, me suis-je résolue. Les réponses, fournies par mon Président, me renvoyaient l’image d’un chef de guerre, au cœur d’un champ de bataille.

Ce n’est pas, bien sûr, l’image d’un guerrier tel, l’émérite poète arabe antéislamique, Antarata Ibn Cheddad, Al Abssi, qu’une déferlante de coups de glaives ensanglantés, par son propre sang, ne lui fit oublier sa bien-aimée Abla, disait ce poète, au détour de l’un de ses célèbres poèmes. L’image de mon Président disait, à moi, en tout cas, celle d’un chef de guerre, tout simplement. Non pas celle d’un poète guerrier.

Il était, mon Président, en territoire ennemi. Autour de lui, il n’y avait que des ennemis. Les ennemis étaient, encore beaucoup plus proches. Ils étaient, en lui. Le siège sur lequel, il était perché, était un redoutable ennemi. Ses habits. Il s’habillait, par des vêtements ennemis. Sa cravate était, visiblement, celle qui portait l’étendard-ennemi, au cours de la bataille du jardin présidentielle, ce jour-là.

La cravate était nouée, à la strangulation. Elle empêchait l’homme de parler avec éloquence et intelligibilité. Les mots, qu’il s’efforçait à sortir pour répliquer ‘’aux ennemis-journalistes’’ d’en face, sortaient alanguis, avachis, meurtris et pathétiquement défaits. Des mots blessés, profondément, malmenés, vides, qui ne disent strictement rien. Rien. Que la désolation présidentielle. Celle de l’image d’un chef de guerre qui ne trouve aucun refuge. Même pas, un refuge poétique, lui permettant de voir la guerre, l’adversité qui l’assaillait d’une manière plus poétique, plus esthétique, plus belle. La poésie sert à cela. Aussi. A faire oublier les déboires, les défaites et les mauvaises journées.

Mais, mon Président n’aime pas la poésie, n’aime pas la littéraire. Il pense même, il lui arrive de penser, quand même. Même si c’est pour faire, par exemple, la déclaration qu’il a faite aux journalistes français, en leur révélant que la Mauritanie est un pays d’un million de poètes. Et, que c’est bien cela le mal mauritanien. La littérature et la poésie sont bien les maux de la Mauritanie, dira-t-il, en souriant, triomphalement, pensant avoir assené un coup aux ennemis de la Nation. La littérature et la poésie.

Mon Président a indexé le mal mauritanien. Tous les maux du pays ont pour nom : Littérature. Mon Président n’est pas un homme de lettres. Il n’aime pas les lettres. C’est clair. C’est une adversité, peut-être, que d’aucuns ignoraient. Moi, en tout cas, je le savais. C’est pourquoi, j’ai dit, ci-haut, que j’ai reconnu mon Président, au cours de cet entretien. Je l’ai reconnu. J’ai reconnu l’homme que je me suis investie, tout au long de mes chroniques, à présenter à mes lectrices et lecteurs. Ce jour-là, mon Président, a dit, que j’avais bien raison. Qu’il est un président passionné. Vous vous souvenez de mes premières chroniques, sans doute. Dans cette interview, mon Président, a parlé de ses amours. D’une manière allusive. Il a implicitement pris parti pour tout ce qui n’est pas littérature, en vilipendant celle-ci. Il a rejeté les lettres, dit-on, en se réclamant des chiffres. Un amoureux des chiffres en somme. Et, de tout ce qui se rapporte aux chiffres. Le matériel. La matière.

Celle qui importe pour mon président. Les choses concrètes. Les sous, le foncier, les automobiles. N’est-ce pas, dans sa sortie, il a fait un éloge de la mécanique. Un pays, pour mon Président, se maintient, évolue, progresse, grâce à la mécanique. Il a, peut-être, raison, mon Président. Il sait ce qu’il dit. Jusqu’ici, lui, en tout cas, ça lui marche grâce à la mécanique. Pourquoi donc faire l’éloge des lettres ? Alors qu’il n’est même pas sûr de l’Amour que sauraient lui vouer les lettres. Autant, les haïr, les lettres. Autant engager contre elles une guerre par anticipation. Il est prévenant, mon Président. Il sait, bien, pointer ses véritables ennemis. Les lettres, de leur côté, ne pourront rien dire. Elles savent bien qu’elles n’ont jamais porté mon Président dans leur cœur.

 

Mouna mint Ennass

 

Source  :  MauriChronique le 19/04/2012

 

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