La résistible démocratisation de l’Afrique

Après l’Asie, l’Amérique latine, l’Afrique subsaharienne est-elle en passe de devenir le nouvel eldorado, la nouvelle frontière des pays émergents ? Certes, le continent africain a relativement bien résisté à la crise financière. Pourtant ce mouvement est fragile.

Car la résistance économique à la crise est pour nombre de pays africains largement due au mouvement à la hausse des prix des matières premières pour les pays producteurs et à une relative marginalisation du continent par rapport aux grands mouvements financiers de la planète. Depuis cinq ans, en outre, crise mondiale oblige, des pays émergents – Inde, Chine, Singapour -ont tendance à retarder leurs investissements. L’autre bémol, de taille, à l’émergence rapide d’une Afrique trop longtemps oubliée de la croissance mondiale est la difficulté avec laquelle se propage la démocratisation, malgré de réels progrès. L’exemple du Mali est là pour prouver que l’instauration de la démocratie au sud du Sahara est encore un processus fragile.

Certes, trois semaines à peine après un coup d’Etat qui a renversé, le 22 mars, le président Amadou Toumani Touré (ATT), considéré par les capitales occidentales comme un véritable démocrate, un pouvoir civil a été restauré à Bamako. Mais l’organisation d’un nouveau gouvernement et de nouvelles élections n’est qu’une des premières tâches de l’ancien président de l’Assemblée nationale Dioncounda Traoré, investi président par intérim avec le soutien de la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Sa principale mission sera de parvenir à mettre un terme à la sécession au nord en s’efforçant d’ouvrir un dialogue avec les rebelles touareg du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) et du mouvement islamiste d’Ansar Dine appuyé par l’Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique). Une très lourde et difficile tâche.

Et le Mali n’est pas le seul pays en Afrique dans la tourmente. A quelque 1.300 kilomètres plus à l’ouest, la Guinée-Bissau, un des Etats faillis de l’Afrique comme à l’est la Somalie, était, quelques semaines après Bamako, à son tour le théâtre d’un énième coup d’Etat. Cette fois-ci, il s’agit pour les militaires d’empêcher l’accession à la présidence de Carlos Gomes junior. L’ancien Premier ministre qui était largement donné vainqueur, au deuxième tour de l’élection présidentielle, s’était engagé à réduire les effectifs pléthoriques de l’armée.

Au-delà, la réélection de Joseph Kabila, en novembre 2011, en République démocratique du Congo (ex-Zaïre), a été marquée par des violences, des fraudes diverses et des bourrages d’urnes. « Un fiasco total », comme le note l’ancien ambassadeur Pierre Jacquemot, aujour-d’hui chercheur associé à l’Iris (1).

Plus à l’est, à la frontière entre le Soudan avec à sa tête Omar al-Bachir, sous mandat d’arrêt de la Cour pénal internationale, et le Soudan du Sud, qui s’est séparé du nord en juillet dernier aux termes d’un long et sanglant conflit, les incidents armés se poursuivent pour s’emparer des richesses pétrolières.

Un an après le début des révoltes arabes au nord, qui ont conduit à la chute de Ben Ali en Tunisie, de Mouammar Kadhafi en Libye, d’Hosni Moubarak en Egypte, les pays du sud du Sahara donnent donc l’impression d’évoluer à contre-courant.

Selon une ONG qui tient une base de données sur les élections (2), en 2011, sur 47 pays d’Afrique subsaharienne (avant donc la création du Sud-Soudan), 20 avaient adopté des régimes démocratiques électifs, 7 étaient considérées comme des « démocraties émergentes », 2 restaient encore des régimes militaires à Madagascar et au Niger, une monarchie au Swaziland…

Les élections sont, en outre, dans nombre de pays africains, toujours marqués par des irrégularités (3). Selon Pierre Jacquemot : « En Afrique, les élections viennent souvent se plaquer sur des politiques de prébendes qui sont redistribuées par un réseau d’élites. » C’est de plus souvent le moyen de légitimer des places occupées par tel ou tel membre de cette élite.

Mais l’Afrique connaît aussi des éclaircies. Au Sénégal, après douze ans de pouvoir, Abdoulaye Wade, candidat à sa propre succession, a reconnu sa défaite permettant à Macky Sall de devenir, sans incident, président. Ce qui a permis d’éviter un drame comparable à celui connu par la Côte d’Ivoire en 2011 où Laurent Gbagbo n’a quitté le pouvoir qu’à l’issue d’une intervention militaire française. De même au Ghana, il y a maintenant trois ans, l’alternance a fonctionné avec l’élection à la présidence, par une différence de moins de 1 % des voix, de John Atta Mills sur son rival. Ce qui augure bien des élections prévues à la fin de l’année.

Mais le véritable défi, comme le note le politologue américain Robert Kaplan (4), est de savoir comment – et si – « l’impressionnante croissance économique de l’Afrique peut aboutir à la création d’une importante classe moyenne ». Une classe au sens large qui permette de former des politiciens et des fonctionnaires plus efficaces et des militaires « plus professionnels » mais également de réduire les véritables fractures des sociétés africaines. Une vraie course de vitesse dans un continent encore marqué par des zones de pauvreté endémique et par des économies rentières.

Sans oublier que l’Afrique doit lutter contre de nouveaux phénomènes qui la déstabilisent comme la multiplication des trafics en tout genre : cigarettes, drogues, médicaments, ou enlèvements contre rançon au Sahel, au large du Yémen. Au Sahara, selon Pierre Jacquemot, « une véritable économie mafieuse s’est installée » : 27 % de la cocaïne consommée en Europe transite par l’Afrique de l’Ouest, soit environ 40 tonnes, selon des statistiques de 2007 de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime. Une lutte qui est aussi de la responsabilité des pays « riches ». D’autant plus forte que leurs engagements réels en matière d’aide au développement sont toujours très loin de leurs promesses.

(1) http://www.iris-france.org

(2) http://africanelections.tripod.com/

(3) « Afrique : le mirage démocratique », éditions du CNRS

(4) www.stratfor.com

Jacques Hubert-Rodier est éditorialiste de politique internationale aux « Echos »

Source : Les Echos 

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