France. « L’islam est devenu un problème en soi », déplore Tariq Ramadan

(Crédit photo : DR)

Le professeur d’études islamiques Tariq Ramadan, invité au congrès de l’UOIF qui s’est ouvert vendredi, fustige la « stigmatisation permanente » des musulmans.

Quatre prédicateurs ont été jugés indésirables au congrès de l’UOIF au Bourget. Votre réaction ?

– On peut ne pas être d’accord avec certaines de leurs positions. Mais ces hommes, très connus du monde musulman, sont déjà venus en France. Ils ont fermement condamné les tueries perpétrées à Toulouse et Montauban. On aurait pu tirer parti de leur présence. Au lieu de cela, à partir de la dérive d’un jeune, on entretient, par cette décision plus symbolique que raisonnée et légitime, l’amalgame entre la violence et des savants, dont certains sont conservateurs, mais qui tous condamnent le meurtre des innocents.

 

Vous-même n’êtes pas le bienvenu en France…

– On m’explique que si je n’avais été suisse, on m’aurait empêché d’y assister. J’aimerais qu’on me dise où et quand je me suis montré antirépublicain. Cinq invitations dans des institutions académiques françaises viennent d’être annulées après l’intervention des ministères : c’est sidérant et inacceptable. La France est le seul pays au monde où je n’ai pas le droit de m’exprimer dans les universités. C’est cela qui est antirépublicain : empêcher la critique, diaboliser la parole qui affirme que le problème n’est pas l’islam, mais l’incurie des politiques, de droite comme de gauche, vis-à-vis de la question sociale et de l’égalité des droits.

 

Comment interprétez-vous le geste « djihadiste » de Mohamed Merah ?

– Les interprétations extrêmes de l’islam existent et il faut les condamner. Au-delà des zones d’ombre relatives au parcours de Mohamed Merah, il est clair qu’il a subi des frustrations et déplacé son mal-être sur la religion. En 2005, à la suite des attentats de Londres, j’avais dit que le terrorisme était l’enfant de deux parents. Les interprétations extrêmes de l’islam et la fracture sociale sont coresponsables, comme les deux parents doivent également répondre des dérives de leurs enfants. Merah est un enfant de la France qui doit se regarder en face avec lucidité.

 

L’UOIF est accusée de radicalisme. Que représente cette fédération ?

– L’UOIF est un courant bien installé en France. Ses membres incarnent un islam français conservateur en évolution. Parmi eux, on trouve des membres de l’UMP, du PS, du MoDem… Sur le plan politique, l’organisation est hétéroclite et n’a pas de ligne déterminée. On accuse l’UOIF d’être en lien avec l’étranger, alors que le CFCM, dès le début, a été géré depuis les ambassades algérienne et marocaine. C’est le double discours de l’Etat qui ne veut pas, somme toute, d’un islam français autonome et libre, mais d’un islam sous contrôle… Au point même d’accepter qu’un de ses représentants désignés, Hassan Chalghoumi, imam de Drancy (qui n’a aucune formation ni légitimité), en parle mal la langue.

 

Comment analysez-vous l’attitude du gouvernement vis-à-vis de la communauté musulmane ?

– Le discours du gouvernement est de plus en plus populiste. La stigmatisation et la surenchère sont permanentes. L’islam est devenu un problème en soi. Le président de la République n’a pas envie qu’on parle de son bilan économique. Il préfère montrer qu’il tape du poing sur la table. Les autres candidats à la présidentielle sont, quant à eux, tétanisés. Et c’est le Front national qui est le grand gagnant. Le parti a réussi son opération : ses propos sont désormais normalisés par l’UMP et certains membres du PS. Aujourd’hui, tenir un discours sécuritaire, de méfiance, c’est s’assurer des voix. Le débat politique est déserté. Il n’est question que d’émotion et de symboles. Le climat est délétère.

Interview de Tariq Ramadan, professeur d’études islamiques à l’université d’Oxford, auteur de « l’Islam et le réveil arabe » (nov. 2011, Presses du Châtelet), par Bérénice Rocfort-Giovanni

Source : Le Nouvel Observateur le 08/04/2012

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