Ely Ould Mohamed Vall, chef de l’Etat entre 2005 et 2007 dans une interview exclusive (Le Calame)

(Crédit photo : Patrick Flouriot/Jeune Afrique)

‘’Une institution présidentielle, fruit d’une rébellion individuelle contre un président démocratiquement élu par 53% des électeurs mauritaniens, ne peut prétendre à la moindre légitimité’’.

 

Le retour sur la scène politique, en ce mois de mars 2012, d’Ely Ould Mohamed Vall, ancien chef de l’Etat, lors de la Transition 2005/2007, a été fort remarqué. Il nous livre, ici, sa conviction, intime, que la conduite autocrate du pays va à contresens de son développement et que c’est au peuple de lui donner, pacifiquement, une alternative durable. Propos sans équivoque d’un démocrate inconditionnel.

Le Calame : Depuis l’élection présidentielle de 2009, vous vous êtes mis en retrait par rapport aux évènements politiques. Mais, lundi dernier, vous avez décidé de sortir de votre réserve en prenant part à la marche de la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD). La situation du pays vous est-elle parue à ce point inquiétant qu’il ne vous a été plus possible de garder le silence ?

– Vous savez, nous avons eu une position très claire, par rapport à la rébellion de 2008 qui a mis fin à l’expérience démocratique que vivait notre pays, fruit de la transition de 2005/2007. Nous avons considéré que tout processus politique visant à faire perdurer cette situation était inacceptable, immoral même et constituait par conséquent une insulte à la conscience des Mauritaniens. Cette position a été largement médiatisée aux niveaux national et international. Malheureusement, la non application de l’accord de Dakar et les élections truquées de juillet 2009 ont entretenu cette détestable situation. Notre conférence de presse, en ce même mois de juillet 2009, alertait la communauté tant internationale que nationale sur les dangers du maintien de cette rébellion : déliquescence de l’Etat, déstabilisation du pays, confrontations sociales ; en bref, implosion de la Mauritanie.

Mais le peuple sortait d’une dure épreuve à savoir l’embargo causé par la rébellion de 2008, et souhaitait vivre, à tout prix, un peu de calme et de sérénité sur la scène politique. Voilà pourquoi différentes tendances nationales ont vu le jour, certaines cherchant à négocier une solution de nature à éviter, au pays, le scénario décrit plus haut, d’autres s’efforçant d’accompagner le système, dans l’espoir de temporiser ou d’influer positivement sur un certain nombre de décisions. Mais, hélas, aucune n’a pu aboutir et ne pourra aboutir au moindre résultat. La scène politique nationale tend inexorablement au rejet total du mode de gouvernance autocrate qui lui est imposé. Un rejet devenu aujourd’hui évident, systématique et général.

Entre 2009 et aujourd’hui, j’ai effectivement pris du recul dans mes activités politiques, tout en continuant à affirmer, au cours de mes différents contacts et de la façon la plus claire qui soit, la conviction que je viens de vous décrire. Mais maintenant que la scène politique s’est éclaircie et que la majorité des Mauritaniens a pris conscience du danger que court le pays, il est devenu nécessaire, urgent même, de nous engager à nouveau afin de l’aider à sortir de l’impasse où il se débat.

– Vous avez déclaré que les institutions politiques actuelles ne sont pas légitimes. Pourquoi ?

– Effectivement, nous considérons que les institutions actuelles ne sont pas légitimes. A double titre. Toute présidence de la République a besoin d’une légitimité morale et d’une légitimité juridique : la nôtre actuellement est dépourvue des deux. Du point de vue moral, vous conviendrez aisément, avec moi, qu’une institution présidentielle, fruit d’une rébellion individuelle contre un président démocratiquement élu par 53% des électeurs mauritaniens, ne peut prétendre à la moindre légitimité, surtout si l’on considère qu’au moment de son éviction, le Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi venait de former un gouvernement de consensus national, réconfortant, si besoin était, sa légitimité.

Quant au juridique, souvenez-vous de ce qui s’est passé, au moment de la proclamation des résultats de l’élection de 2009. Le président de la CENI, seul organe indépendant et donc crédible, pour juger de la validité des élections, avait demandé au ministère de l’Intérieur les procès-verbaux des opérations de vote afin d’examiner les réclamations des différents candidats. Sa requête fut, tout simplement, ignorée, ce qui obligea ledit président à démissionner de ses fonctions, en déclarant, dans une conférence de presse, qu’il ne pouvait pas moralement cautionner des résultats qu’on ne lui permettait pas d’authentifier.

Quelle différence entre cette situation et celle qui a prévalu en Côte d’Ivoire, avec Gbagbo ? Outre la situation de la Présidence, il y a également celle de l’Assemblée nationale. La Constitution est sans équivoque sur cette question. Son article 47 stipule, en effet, que « les députés sont élus pour 5 ans, au suffrage direct ». La loi organique N° 91028, du 7 octobre 1991, dispose, quant à elle que : « les pouvoirs de l’AN expirent à l’ouverture de la session ordinaire du mois de novembre de la cinquième année qui suit son élection » et que « les élections doivent être organisées dans les soixante jours qui précèdent l’ouverture de cette session, pour permettre, aux nouveaux élus, de rentrer en fonction, dès l’ouverture de cette session ». Il est donc clair qu’aucune de ces deux institutions n’est légitime et que le pays est se trouve dans un vide juridique total, avec toutes les conséquences nationales et internationales qui en découlent.

– Et les amendements constitutionnels, alors ?

– Ils sont tout simplement nuls et non avenus, donc non opposables aux Mauritaniens. Comment voulez-vous qu’une Assemblée nationale sans aucune légitimité et dont le mandat a pris fin puisse légiférer ?

– Ne pensez-vous pas qu’il faut plus que des mots, pour faire vaciller un pouvoir qui a, après tout, la reconnaissance de la Communauté internationale ?

– Tout d’abord, entendez bien que toute action humaine commence par des mots. Tant qu’elle n’est pas formulée et exprimée, une idée n’a d’existence que dans le cerveau de celui qui l’a pensée. Quant à la reconnaissance de la Communauté internationale, elle est, certes, très importante mais elle reste, dans une large mesure, tributaire de la légalité nationale – plus, même : de la légitimité que lui accorde le peuple souverain – et évolue proportionnellement à celle-ci. Vous en avez de parfaites illustrations dans le Printemps arabe.

– Si l’on en croit l’opposition, le pays vit une crise sur tous les plans, qui s’aggrave de jour en jour. Quelles solutions envisagez-vous ?

-Cette réalité n’a pas besoin d’être confirmée, elle s’impose, aujourd’hui, à tous les Mauritaniens. J’en avais évoqué la probabilité, lors de ma conférence de presse de juillet 2009, en toute logique et il n’était nullement besoin d’être prophète pour la prévoir. Quant aux solutions, elles passent, toutes et d’abord par l’impératif retour à l’ordre républicain, aux institutions démocratiques légitimes qui, seules, peuvent refonder un Etat sur des bases solides et pérennes.

– Etes-vous d’accord avec ceux qui disent que l’unique solution à nos problèmes serait le retour des militaires dans les casernes ?

– Monsieur, les militaires sont retournés à leurs casernes en 2007 et n’en sont pas ressortis.

– Toujours à propos de cette armée, vous avez affirmé qu’elle n’était pas concernée par le coup de force de 2008. Pouvez-vous éclairer davantage l’opinion mauritanienne ?

– C’est exact ! Ce qui s’est passé, en 2008, s’est déroulé au vu et au su de tout le monde. Un officier, relevé de ses fonctions par un président légitimement élu, dont il avait la charge d’assurer la sécurité s’est parjuré et s’est rebellé sur un coup de tête. Vous connaissez la suite…Vous conviendrez donc avec moi et en toute évidence que l’armée n’était nullement concernée par ce qui s’est passé.

– Cela est-il en rapport avec les récentes prises de position de certains officiers, comme le colonel Ould Boubacar, en faveur de l’opposition ?

– Le colonel Abderrahmane Ould Boubacar, officier intègre et républicain convaincu, illustre en effet la non-implication de l’armée dans les évènements de 2008. Son opposition à la rebellion de 2008 et son engagement aujourd’hui déclaré contre ce qui se passe dans le pays est un témoignage sans équivoque qui interpelle tous les Mauritaniens, quel que soit leur statut.

– Pour continuer le combat contre le régime actuel, dans quel cadre s’inscrira votre action ? Allez-vous rester libre ou travailler avec la COD ?

-La Coordination de l’opposition est un cadre d’action politique qui a prouvé sa viabilité, comme partenaire crédible, ainsi que sa constance et sa détermination, dans la lutte pour sortir la Mauritanie de son impasse actuelle. La tentative de diabolisation injustifiée dont elle fait l’objet, à des fins de propagande, n’altère, en rien, son image de marque auprès des Mauritaniens.

J’ai des contacts réguliers, je ne le cache pas, avec les dirigeants de la COD. Je compte les poursuivre et les renforcer, afin que nous puissions, ensemble, proposer, aux Mauritaniens, une alternative politique crédible à l’actuel déni de Droit et de légitimité qui plombe notre pays. Je dis bien « ensemble », car c’est bien une large mouvance civique et citoyenne qui doit voir le jour, sur la scène politique, afin de permettre à tous les Mauritaniens, quelle que leur appartenance politique ou leurs revendications, de s’unir autour d’actions citoyennes pacifiques et d’imposer le retour à la légalité, en mettant en place des institutions démocratiques et légitimes.

Propos recueiis par Ahmed Ould Cheikh

 

Source  :  Le Calame le 28/03/2012

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