Entretien avec Housseïn Dieng, secrétaire général de l’IRA :

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«Le mode opératoire en vigueur se confondant avec les ambitions personnelles et les humeurs du président a abouti à la personnification de l’action de notre organisation.

Cet état de fait, qui a certainement entaché la transparence de la gestion de l’Ira et fait peser de sérieux risques sur sa crédibilité, se devait de l’imploser un jour eu égard au peu de scrupule observé dans le respect des instances et des stratégies mises en place collégialement par un Bureau exécutif. »

Au lendemain d’un retour de Genève où il prenait part à la 19ème session du Conseil des droits de l’Homme des Nations-Unies, nous avons rencontré le secrétaire général de l’Ira, Houssein Dieng, qui a accepté de nous livrer ses explications sur les raisons de la dissidence engagée au sein de l’Ira et sa lecture de ce qu’il considère comme étant les « dérives dans la gestion et les ambitions» de son président.

Le Quotidien de Nouakchott : Monsieur Houssein Dieng, vous étiez naguère encore Secrétaire général de l’Ira. Vous venez d’initier une dissidence contre Biram Ould Labeid. Peut-on savoir comment en êtes-vous arrivés à ce
stade d’incompatibilité?
Houssein Dieng : Ce n’est certainement pas le fruit du hasard qu’on en arrive comme vous dîtes à ce point de non retour. Mais je tiens à corriger les propos sous-entendus dans votre question. Je suis toujours secrétaire général de l’Ira, jusqu’à preuve du contraire. Ceci et pour répondre à votre question, la réalité est que depuis bientôt deux ans, un malaise traverse notre organisation commune. Le mode opératoire en vigueur, se confondant avec les ambitions personnelles et les humeurs du président, a abouti à la personnification de l’action de notre organisation. Cet état de fait, qui a certainement entaché la transparence de la gestion de l’Ira et fait peser de sérieux risques sur sa crédibilité, se devait de l’imploser un jour eu égard au peu de scrupule observé dans le respect des instances et des stratégies mises en place collégialement par un Bureau exécutif. Le président a impliqué le mouvement dans sa disgrâce au sein de la commission nationale des droits de l’homme d’où il avait été déboulonné. Nous espérions que la dernière Assemblée générale, tenue en 2010, devait permettre de corriger cette tendance préjudiciable à la bonne cause qui nous rassemblait et permettre d’asseoir une structure qui regroupe des hommes et des femmes capables de porter le discours du mouvement. Malheureusement, l’aveuglément et l’entêtement du président qui entendait continuer gérer à sa manière l’organisation comme auparavant et sans rendre compte au bureau exécutif et à l’ensemble des militants ne pouvaient conduire inexorablement que vers la déchirure à laquelle vous faites allusion. Ajouter à cette atmosphère de suspicion, un non bilan et vous avez les ingrédients d’une séparation inévitable. L’ira a été orientée –je dirai même désorientée- par le simple vouloir de son président, en quête d’une perpétuelle confrontation purement politique avec l’Autorité, reléguant ainsi au second plan les questions d’essence même pour l’organisation que sont les Droits de l’Homme. De fil en aiguilles, notre mouvement, fixé sur des questions de Droits de l’Homme, a subi de plein fouet des tentatives de détournement, en raison d’accointances politiques personnelles de son président, en une mouvance politique comme en témoigne éloquemment d’ailleurs l’annonce faite par lui-même, de la mise en place d’un conseil national de transition, édifiant tous les esprits avertis sur ses visées politiques. Cette confusion des rôles et la gestion opaque de l’organisation nous ont convaincus de renier de tels agissements intolérables et de prendre nos distances d’une telle vision. Exemple de gestion opaque : Aucun compte rendu financier n’a été fait aux militants sur le projet d’Inal et mieux, personne ne sait le montant qui a été attribué en contre partie du prix de Weimar. C’est l’occasion de demander aux autorités allemandes d’édifier l’opinion Mauritanienne et internationale sur les montants versés à notre organisation. Avec quel argent, le président a pu construire une maison, acheté un véhicule de l’extérieur et continuer d’entretenir une vingtaine de personnes par jour sans compter les enveloppes qui sont distribuées à tour de bras. Tout cela à quand même un prix. D’où lui vient cet argent, si ce n’est celui de l’Ira?
L’opinion doit sérieusement être édifiée en dehors de tout esprit partisan. Personnellement, je n’étais plus prêt à vivre dans un tel environnement en contradiction avec mes convictions. Je m’insurge, la conscience tranquille. Aujourd’hui, ce sont ses anciens amis qui habitent encore Nouakchott et d’autres qui servent à l’intérieur du pays qui me tendent la main pour m’encourager. Ils me soutiennent pour aller de l’avant dans la quête de la vérité dans la gestion de notre organisation. Ce nouveau combat est désormais engagé pour faire toute la lumière sur la gestion morale et financière de l’Ira. Qui se sent morveux, se mouche, dit le vieil adage.

QDN : Que reprocheriez-vous à la gestion de Biram?

H.D : Ecoutez, et je parle sous le contrôle du Bureau exécutif mis en place en mai 2010 qui était composé de 15 membres, tous encore vivants, dont certains n’ayant pas vu clair dans cette gestion ont quitté sans faire de bruit parce qu’ils ne se retrouvaient plus dans l’orientation et les stratégies de l’Ira. D’ailleurs ils sont partis avant moi parce qu’ils ne se reconnaissaient plus dans ce mouvement devenu l’apanage d’une seule personne qui s’entoure de garde-du-corps qu’il entretient personnellement. Mais où sommes-nous ? Aujourd’hui, toute la gestion de l’organisation est monopolisée par le président. Il fait et défait les choses sans aucune concertation avec les autres membres. Les exemples sont légions et tous les militants qui évoluent au sein du mouvement savent en âme et conscience que ce que je suis en train de dire est la stricte vérité car beaucoup l’ont déjà évoqué avec moi. Des décisions influant notre mouvement avaient été prises par le président à titre personnel sans se référer à ses collaborateurs. Je pense notamment à son initiative de prendre contact avec Limam Chaavi qui ne saurait être qu’une initiative malheureuse qu’il n’a d’ailleurs pas expliquée au fond, ni pour l’Opinion publique nationale, encore moins pour l’Opinion internationale. Aujourd’hui, il faut faire le rang pour le rencontrer alors qu’il est encore président d’une organisation des droits de l’Homme. C’est vous dire qu’il se croit dans une tour d’ivoire. Les membres et les militants avertis se rendent compte de la gravité de telles dérives liées à la personnification de l’action de l’organisation et de sa politisation. Certains responsables des organisations internationales basées à Nouakchott avec qui j’échange n’hésitent plus à indexer Biram comme un activiste politique et non plus comme un militant sincère des Droits de l’homme. Aujourd’hui, il pousse son hystérie jusqu’à surveiller les entrées et les sorties de mes bureaux pour voir qui me fréquente encore de l’Ira. Mais il n’a pas compris que certains éléments se préparent déjà à jeter l’éponge parce qu’ils ne supportent plus d’être en permanence sous son joug.
Autre exemple du déficit de transparence que nous déplorons, et ce n’est certainement pas des moindres : d’où proviennent et où vont les fonds collectés au nom de l’Ira? C’est la nuit et le brouillard alors que jusqu’au moment où je vous parle, le black-out total est fait sur l’origine et l’affectation des ressources que seul lui semble en droit de manipuler. Pourtant, Ira a obtenu et j’y insiste encore une contrepartie financière pour le prix Weimar fruit du combat de tous les militants du mouvement. Où est passé cet argent ? Nous cherchons encore des réponses à ces questionnements. Si la gestion n’était pas opaque on aurait su d’où proviendrait tout cet argent. Mais voilà, les faits sont là. Sans trop m’étendre sur tous les détails de nos reproches, ces raisons assemblées ont fait qu’on ait décidé de nous opposer à la poursuite de la dictature d’un homme fusse-t-il un compagnon d’armes. En dehors de ceci, il existe des cas avérés d’esclavage qui ont été étouffés dans l’œuf en contrepartie de l’argent. Au moment opportun, des gens prendront la parole pour confirmer ce que je dis à sujet. Nous venons de l’apprendre. Biram n’est donc plus blanche neige ! On finit par se demander si la lutte contre la tare de l’esclavage est devenue une ressource, une matière première comme le pétrole qui est exploitée par certains comme une tribune pour se hisser une place dans le monde au détriment du véritable combat de tous les jours et des droits des victimes de violations des droits humains.

QDN : Aviez-vous tenté de trouver un compromis sur ces questions avec Biram avant de décider de lancer cette dissidence ?

H.D : Beaucoup de compagnons en sont témoins. Celui-là n’est pas de nature à accepter la contradiction. Il tient tout ce qu’il dit pour vérité inébranlable et tout le monde doit se plier à ses exigences. Et c’est là aussi un terrain sur lequel je me suis toujours opposé à lui notamment quand il a tenté de me bâillonner pour m’interdire de m’expliquer sur certaines questions pendant l’assemblée générale dont il se souviendra pour longtemps encore.
Des élus et des amis ont tenté pour que je revienne mais moi quand, je tourne le dos je reviens plus car ce combat est celui des hommes et femmes qui croient que les problèmes du pays doivent être résolus dans la plus grande détermination en prenant en considération l’intérêt suprême.
Nos visions divergeaient et ce n’était plus conciliable. Plusieurs d’entre eux savent que cette gestion hégémonique dirige l’organisation va droit vers le mur. Si aujourd’hui, c’est moi qui ais dit « non », demain d’autres vont probablement se révolter contre sa tyrannie. Il n’y a aucune raison de continuer de subir le diktat d’un homme qui croit que « Ira », c’est lui et lui seulement. Je continuerai, avec d’autres amis, et avec les mêmes convictions, le combat des Droits de l’Homme qui est le nôtre. Il peut continuer dans la ligne qu’il s’est tracée, libre à lui d’en décider, mais il n’usurpera plus le travail et le militantisme de tout un groupe.

QDN : Pourtant, Biram ne semble pas perturbé par votre départ. Il en parle comme d’un non événement.
H.D :
Il faut avoir la mémoire courte pour ne pas savoir que le départ d’un groupe qui était au centre d’un dispositif ne peut qu’être un événement de taille. Vouloir le minimiser, c’est reconnaitre implicitement une défaite. Mais l’on revient toujours à la psychologie de l’homme. C’est comme je vous disais tantôt, pour lui «Ira », c’est lui et personne d’autres. Sans vouloir vraiment verser dans ces supputations de bas étage, je rappelle juste que je suis élu comme secrétaire général de l’Ira, en Assemblée générale en mai 2010 dans les locaux de ma structure IPT qui a hébergé pendant sept mois le mouvement contre vents et marées, et que juridiquement, aucun texte n’est venu, au moment où je vous parle encore, me destituer de ce poste.
Je ne peux donc m’attarder sur les déclarations fantaisistes et sans aucun fondement statutaire. Je vous renvoie également aux 15 membres du bureau exécutif qui peuvent infirmer ou confirmer ces assertions. Mais une fois de plus, il veut confondre l’Ira à sa personne et c’est là l’origine de nos incompréhensions et d’autres suivront le chemin que j’ai déjà emprunté. Mais il n’y a plus de confusion possible. Allez chercher dans les documents de reconnaissance auprès des autorités et au niveau des archives de la presse et des ambassades qui ont encore copie du premier communiqué que j’ai dressé de mes propres mains au su et au vu de tous les militants. Ainsi, vous verrez qui dit et qui prend ses fantasmes pour réalité.
Je profite de cet entretien pour lancer un appel à tous les citoyens mauritaniens pour s’impliquer dans cette nouvelle dynamique que nous avons mise en place à travers ce programme qui a été exprimé dans la troisième déclaration de la dissidence du mouvement Ira.

Propos recueillis par Jedna DEIDA

Source  :  Le Quotidien de Nouakchott le 14/03/2012

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