L’écho de la Libye retentit en Syrie

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A l’heure où les opposants syriens songent à militariser leur lutte, le chaos alarmant qui règne en Libye a de quoi faire réfléchir.

On n’en parle presque plus et on a tort. Non seulement la situation actuelle de la Libye est explosive, mais elle doit aussi faire méditer sur le sort d’autres pays arabes, à leur tour menacés par la guerre civile.

Ce qui se passe entre Tripoli et Benghazi est un cauchemar politique: plus aucune autorité ne règne sur le pays, les milices s’entre-déchirent et le spectre de la partition menace l’unité nationale. Depuis l’élimination de Muammar Kadhafi, le Conseil national de transition (CNT) ne parvient pas à restaurer la paix, ni à élaborer un projet politique viable, ni, a fortiori, à entreprendre la reconstruction. Pour la bonne raison que le CNT ne contrôle rien; comme son nom l’indique, il n’est là que pour une phase transitoire et ne dispose d’aucun pouvoir suffisant pour imposer une politique. C’est si vrai que les brigades qui se sont battues contre l’ancien régime conservent leur armement et pallient les carences du gouvernement, avec son accord. Certaines d’entre elles, à l’inverse, occupent des bâtiments publics au mépris de toute loi et se sont taillé des territoires féodaux, comme à Misrata.

Pire que tout, le 6 mars, les grandes tribus de l’Est, réunies à Benghazi, ont proclamé l’autonomie de la Cyrénaïque et appellent désormais à la constitution d’un Etat fédéral, tel qu’il prévalait en Libye jusqu’en 1963. Surpris et furieux, le CNT a condamné aussitôt les « séditieux », sans disposer pour autant de troupes susceptibles de mater la rébellion. Concrètement, c’est toute la frontière entre la Libye et l’Egypte qui échappe maintenant au gouvernement central. Surtout, la Cyrénaïque concentre sur son sol les quatre cinquièmes des champs pétroliers et des réserves de gaz libyens, ce qui incite ses leaders à se servir, au détriment de l’économie nationale. Le rôle décisif joué par les insurgés de Benghazi dans les événements de 2011 ne les encourage ni à la modestie ni au partage, d’autant plus que leur région a été maintenue, à titre punitif, dans un état de sous-développement par Kadhafi.

Un rapide survol de l’état du pays fait ressortir de toutes parts un chaos alarmant. La capitale, Tripoli, reste en partie aux mains de l’islamiste Abdelhakim Belhadj, qui a fait ses armes en Afghanistan et qui dispose du commandement militaire de la ville. Emprisonné par Kadhafi, il a dû sa capture, en 2004, à un coup de main offert au dictateur par les services britanniques. Autant dire qu’entre Belhadj et les Occidentaux la confiance n’est toujours pas instaurée. Les prochaines élections municipales, le 5 mai, devront redistribuer les cartes.

Vers la partition du pays?

Dans le reste de la Libye, les tribus n’en finissent pas de compter leurs morts, de commémorer leur martyre et de cultiver le ressentiment contre leurs ennemis d’hier. A Misrata, qui a tenu des élections libres, on n’est pas près d’oublier les crimes de guerre commis par les Tawergha, ces Touareg restés fidèles jusqu’à la fin au clan Kadhafi. Les tribus du Sud, dont certaines ne se sont pas encore résolues à la disparition de Kadhafi, pourraient être tentées par un éclatement de type fédéral. Ce schéma pourrait également séduire les Berbères de l’Ouest, le long de la frontière tuniso-algérienne.

L’erreur du CNT a sans doute été de ne pas avoir exclu formellement toute idée de fédéralisme dans une charte originelle, et ce dès le déclenchement de la guerre contre Kadhafi. Moyennant quoi la solution pour la Libye réside probablement dans une sorte de décentralisation effective, sagement négociée afin d’éviter les ravages d’une partition. La prochaine étape, l’élection d’une Assemblée constituante (à la fin juin – normalement), sera à cet égard cruciale.

De quoi faire réfléchir au cas de la Syrie à l’heure où les opposants à Bachar el-Assad se montrent de plus en plus tentés par la militarisation de leur lutte. La distribution des armes ne contient aucune garantie quant à leur restitution.

Christian Makarian

Source  :  L’Express le 14/03/2012

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