Zeinabou Mint Taleb Moussa, présidente de l’AMSME :

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« On a mené des actions pour un changement de mentalité, car les femmes violentées sont culpabilisées par la propre famille. La femme est toujours victime ici. »

Sage-femme de formation, Zeinabou Mint Taleb est engagée contre la violence subie par les femmes en Mauritanie. Elle a travaillé au ministère de la santé au service de communication, avant de se tourner vers la société civile, convaincue qu’elle peut contribuer au développement de son pays par la promotion de la santé de la mère et de l’enfant. Cette militante à l’origine de la marche pacifique du 8 mars révèle que la femme mauritanienne a acquis une maturité, un acquis qui sera confirmé lors de la journée Mondiale de la femme. Entretien avec une femme engagée, multiculturelle.

Comment et pourquoi avoir créé l’AMSME?

En 2000, avec quatre sages-femmes on a décidé de créer une association pour l’éducation à la santé au sein de la société civile. À ce moment, on a plaidé pour la santé reproductive en tant que droit : c’était l’occasion de sensibiliser les femmes sur leurs droits en matière de santé reproductive.

Après cela, nous sommes parties sur le terrain, où notre première cible était les femmes. Nous sommes arrivées avec un programme mais la population avait d’autres préoccupations. En tant qu’acteurs de l’éducation pour la santé, nous étions confrontées sur le terrain à la violence sexuelle subie par les filles et les femmes.

Durant cette période, il nous fallait prouver l’existence de cette pratique. On a donc mené des investigations pour mesurer l’ampleur du phénomène. Et ce n’était pas facile d’aborder ce problème qui était et demeure encore un tabou dans notre société.

Personnellement j’étais très engagée à en parler, car j’ai vécu l’histoire d’une amie qui a été victime d’un viol d’un proche parent à elle. On l’a tout de même marié à ce type par arrangement. Chaque fois qu’elle voyait ce monsieur, mon amie pensait à un lion elle me disait qu’elle avait l’impression que ces enfants n’étaient pas d’elle, elle n’arrive pas à accepter et à concevoir que ce monsieur est son mari. J’ai été tellement touchée par cette histoire que je me suis engagée à l’aborder lorsque le besoin se ferait sentir. Nous sommes engagés à en parler dans un contexte socioculturel, pour faire entendre la voix de ces femmes pour promouvoir leur prise en charge psychologique.

Comment les femmes ont-elles adhéré à cette cause?

Vu que ce sont des doléances de la population, on a voulu sensibiliser les victimes à travers une base documentaire conçue pour le plaidoyer qu’on a appelé «le centre El WafA». Pour l’écoute et la prise en charge, on a créé un partenariat avec les commissariats pour inciter les victimes à nous rencontrer pour témoigner. Notre objectif était de promouvoir la prise en charge, le plaidoyer, l’acception de l’existence de ce problème pour briser les tabous. Au bout de trois ans, cela a été une grande réussite.

On a commencé un très grand combat qui n’est pas du tout facile. Maintenant on est entrain de voir comment on peut améliorer la législation, avec les avant-projets de lois qui serviront de supports pour des projets de lois qui pourront être adoptés. On a mené des actions pour un changement de mentalité, car les femmes violentées sont culpabilisées par la propre famille. La femme est toujours victime ici, c’est ça le problème; sans oublier que le viol a des conséquences sanitaires, psychologique entre autres.

Quelles difficultés personnelles avez-vous rencontrées?

L’action n’a pas été menée sans obstacles : j’ai eu des problèmes au niveau de la famille, car elle ne comprenait pas pourquoi c’est moi qui m’engageait et pas les autres. J’entendais beaucoup de choses, ce n’était pas facile. Je pense que c’est le degré d’engagement qui m’a permis de surmonter les obstacles socioculturels. La marche du 8 mars est un des aboutissements de cet engagement.

Pourquoi le choix du thème de la violence faites aux femmes pour cette marche du 8 mars?

C’est une occasion de dénoncer ouvertement et publiquement les problèmes dont souffrent les femmes ici. Les violences faites aux femmes mauritaniennes sont un nouveau phénomène, une atteinte aux droits de l’homme. On voit que des femmes sont tuées, battues; la femme se sent en danger maintenant, elle a peur souvent de se promener dans certaines rues car elles ne se sentent pas en sécurité. Je pense que c’est un problème d’éducation.

Ce thème il faut qu’il soit abordé, car c’est un thème d’actualité. Toutes les femmes en souffrent, elles subissent une violence psychologique, morale, conjugale ou violées au quotidien dans les écoles, dans la rue, lors de manifestations, au marché, dans les foyers etc…

Si rien n’est fait, le problème restera tabou, c’est pourquoi j’ai proposé qu’on fasse pour la première fois une marche de ce genre pour dire non à la violence. Cette marche s’inscrit dans le cadre de la campagne du Secrétaire Général des Nations-unies, lancée en 2009 et 2010 sous le thème «Tous unis pour éliminer la violence faite aux femmes». Ban Ki-Moon avait demandé à toutes les femmes de sortir pour réclamer leur droit et dire non à la violence.

Il y a des marches un peu partout dans le monde et notre pays n’est pas en reste, les femmes vont sortir pour adhérer à cette campagne mondiale avec nos propres problèmes pour attirer l’attention de l’opinion publique, celle de nos décideurs pour dévoiler la souffrance dont les femmes sont victimes.

Propos recueillis par Awa Seydou Traoré

Source  :  Noor Info le 07/03/2012

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