De squats en squats, la situation inextricable des expulsés de la barre Balzac à La Courneuve

Les familles ont jusqu'à fin février pour quitter l'appartement qu'elles occupent.  E. RATSIMBAZAFY POUR LEMONDE.FRAprès sept mois à la rue, 26 adultes et 9 enfants ont trouvé un refuge provisoire aux 4 000.

Comme souvent à la cité des 4 000, le digicode ne marche pas : la porte d’entrée, ouverte à tous les vents, dévoile une quinzaine de boîtes aux lettres défraîchies.

Toutes portent un nom, sauf une, qui en porte… cinq. Après sept mois à la rue, 26 adultes et 9 enfants occupent depuis le 11 novembre 2011 un appartement de cet immeuble vétuste. En toute illégalité.

Ce sont des anciens squatteurs de la barre Balzac de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Le 8 juillet 2010, 190 adultes et 49 enfants, Ivoiriens pour la plupart, étaient expulsés par les CRS du vieux HLM promis à la démolition.

Hébergées par la préfecture dans des hôtels pendant l’hiver, quelques familles avaient ensuite obtenu des logements. Mais 72 adultes et 36 enfants ont été remis dehors sans solution au printemps 2011. Avec de trop petits salaires pour louer dans le parc privé, et pour certains, sans-papiers, ces hommes et ces femmes n’ont d’espoir que dans les demandes de logement social qu’ils ont déposées. Epaulés par l’association Droit au logement (DAL), ils ont décidé de lutter ensemble en venant vivre sous des tentes, place de la Fraternité, au beau milieu de la cité des 4 000.

Ils y vivront dans des conditions très précaires jusqu’à leur nouvelle expulsion, le 7 novembre 2011 (Le Monde du 9 novembre). Ce matin-là, quand les CRS ont encerclé la place à 9 heures, ceux qui étaient présents ont été embarqués dans des cars. D’autres étaient déjà au travail. C’était le cas de Sidiki Diallo, 35 ans, et de sa femme. Cet agent de sécurité payé au smic nous accueille ce soir-là dans leur nouveau squat de La Courneuve.  » C’est ma femme qui m’a averti. Quand je suis arrivé sur place, l’endroit était barricadé, on n’a pas pu y avoir accès. Nous les avons vus emmener les autres, nous sommes restés sur place « , raconte-t-il.

Il pensait avoir été chanceux. Mais ceux partis en car, comme l’hiver précédent, se sont vus proposer des chambres d’hôtel aux frais de la préfecture, quand eux sont restés à la rue.  » Nous n’avions plus de tentes. Les centres d’hébergement d’urgence n’avaient pas de place. Il y avait des enfants, il faisait froid. Une personne de bonne volonté nous a indiqué qu’un appartement était libre à quelques pas de la place – de la Fraternité – . La porte était ouverte. Nous nous sommes installés « , explique-t-il.

 » Nulle part où aller « 

Depuis, ils y ont fait rebrancher le gaz, l’électricité, une box Internet, et payent chaque mois leurs factures à EDF, GDF et SFR. L’appartement compte six pièces, trois chambres pour les couples, deux pour les femmes seules avec enfants, une pour les hommes célibataires.

Sur la table, plusieurs lettres d’huissier. Mi-janvier, ils ont dû se présenter au tribunal d’instance d’Aubervilliers. Sans avocat : leur demande d’aide juridictionnelle n’a pas abouti. La juge a décidé leur expulsion.  » Même si la situation des défendeurs est incontestablement difficile, il est tout aussi incontestable que de nombreuses familles se trouvent dans des situations tout aussi difficiles et qu’il ne peut être admis que ceux qui forcent une porte se retrouvent dans une situation privilégiée du fait de leur action forcée « , lit-on sur la décision, fidèle à la position de la préfecture.

Rappelant que contrairement à d’autres communes en Ile-de-France, elle respecte largement le quota de 20 % de logement social imposé par la loi SRU, la mairie (PCF) de La Courneuve n’a pas non plus voulu ajouter ceux-là à sa longue liste de 2 000 demandeurs de logement.

Les squatteurs ont jusqu’à fin février pour partir.  » Pour aller où ? Nous n’avons nulle part où aller « , explique Sidiki. Ils s’attendent donc à se voir chasser par les CRS un matin prochain. Mais restent sereins, résignés :  » On a l’habitude, ça va faire quatre fois ! « 

Sidiki répète ce que les expulsés disent depuis un an et demi :  » Nous travaillons. Nous ne demandons pas la pitié, juste un logement que nous pouvons payer. Ma femme est en contrat à durée indéterminée, elle a des papiers ; à nous deux, nous gagnons 2 500 euros par mois. Mais nos demandes de logement ne passent pas. « 

Un an et demi après, le problème reste donc entier, pour les nouveaux squatteurs comme pour ceux qui vivent à l’hôtel : la préfecture ne paiera pas des chambres indéfiniment.

Il est 19 h 30, on sonne à la porte. Un autre des expulsés de Balzac passe avec ses enfants. Eux sont logés à l’hôtel dans les Yvelines. Le père commence son travail à 6 heures chaque matin dans le Val-de-Marne. Ses enfants sont scolarisés à La Courneuve… Tous les jours, les enfants se lèvent donc à 4 heures pour qu’il ait le temps de les déposer chez une Courneuvienne compréhensive avant de partir travailler et de les récupérer en toute fin de journée. L’aîné, en CE1, écoute le récit de son père.  » Pas trop fatigué ? « , lui demande-t-on.  » Non ! « , répond-il souriant. Une des femmes lance :  » Il a le choix ? « 

Aline Leclerc

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