Ould Moine au ministre de la Justice : « Il faut que le peuple retrouve son régime et ses fondements démocratiques »

Le député Yaghoub Ould Moine du RFDLe député du RDF M. Yacoub Ould Moine s’est livré à une analyse sans concession du pouvoir mauritanien. Indépendance de la justice, écoutes téléphoniques, amendements constitutionnels, vassalisation des députés…le député de l’opposition n’a pas fait dans la dentelle… Taqadoumy, Kassataya et For-Mauritania  vous livrent une transcription en français de l’intervention de M. Ould Moine.

Merci infiniment Monsieur le Président, Bienvenue à Son excellence Monsieur le Ministre de la Justice et à la délégation qui l’accompagne. Je voudrais évoquer le décès du jeune Mohamed Abderrahmanne Ould Dadde, que Dieu ait son âme, devant le Palais Présidentiel. Certains disent qu’il s’était immolé par le feu, d’autres affirment qu’il a été tué par balle. J’ai été saisi par les syndicats de l’Enseignement et des parents de la victime. Ils réclament une enquête impartiale. Je vous transmets la requête. Surtout qu’il y a les caméras de surveillance du Palais présidentiel, celles de la Banque Centrale et  des témoins oculaires. Nous voulons connaitre les tenants et les aboutissants de cette affaire et pouvoir les expliquer aux syndicats de l’Enseignement et à la famille de la victime. Merci d’avance et nous vous souhaitons toute la réussite dans le rôle qui est le votre.
Par ailleurs, des amendements constitutionnels ont été introduits lors de la dernière session. Je voudrais m’exprimer sur certains articles.
L’Article 3 des amendements constitutionnels criminalise les coups d’Etat. Il les considère comme étant un crime imprescriptible. Quand j’ai demandé à Sidi Mohamed Ould Maham, en sa qualité de juriste, si Mohamed Ould Abdel Aziz avait commis un coup d’Etat, il me répondit que la loi n’est pas rétroactive. …
D’autre part, il existe en Mauritanie des sociétés de gardiennage  qui emploient un très grand nombre de travailleurs. Une loi a été votée qui stipule que les sociétés de gardiennage doivent être dirigées par des retraités de l’Armée. Toutes les anciennes sociétés de gardiennage ont alors été dissoutes. C’est donc bien une loi rétroactive. Je ne sais ce que signifie cette rétroactivité qui s’applique à des sociétés qui emploient plus de 3 mille travailleurs… En fin j’aimerais comprendre cette rétroactivité. Pourquoi, Monsieur le Ministre, a-t-on donné la loi du gardiennage à l’Armée et pourquoi a-t-on dissout toutes ces sociétés qui employaient tant de monde ? Pour quelle raison ?
L’Article 4 de ces amendements constitutionnels ressemble beaucoup à une régression. Il parle de l’égalité d’accès des hommes et des femmes aux fonctions politiques et parlementaires. Avant le Dialogue, la loi offrait un quota de 20% aux femmes  qui est maintenant retombé à 13,7%. Il y a une contradiction entre ce qui est écrit… sans intérêt… et ce qui est traduit dans la réalité sous forme de  décrets d’application qui vont régir les prochaines élections en ce qui concerne les quotas des femmes.
L’Article 5 dit : « l’Etat protège la dignité, l’intimité et la vie du citoyens et notamment en ce qui concerne l’intégrité de sa personne, de son habitat et sa correspondance … ». Or je dispose d’informations concordantes qui prouvent qu’il existe, à la Présidence de la République, une cellule supervisée par un conseiller du Président de la République, dont le rôle est l’écoute des citoyens, des conversations téléphoniques des citoyens. Cela est contraire à la loi et nous demandons à Monsieur le Ministre d’enquêter à ce propos. Ceci est en contradiction avec cette loi constitutionnelle… On est écouté, nos téléphones sont sur écoute… et tout cela sous la supervision d’un conseiller du Président de la République. J’ai le nom du conseiller en question et je connais les personnes qui y travaillent. Ils sont d’ailleurs connus par tous. Ils organisent aussi des piratages de sites électroniques qui ne leur sont pas favorable comme, par exemple, le site de Taqadoumy. Et pourtant il y a cet Article 5 de la Constitution…
J’en arrive à l’Article 7. Cet article dit « le Premier Ministre, après sa nomination par le Président de la République et dans un délai d’un mois, doit présenter le programme de son gouvernement devant le Parlement qui l’entérine…». Or j’ai, en ma possession, un décret publié le 28 janvier 2012, après le Dialogue, et adopté en Conseil des Ministres, signé par le Président de la République et qui précise vos prérogatives à vous les Députés en ce qui concerne les passeports diplomatiques. Que dit-il ? Il dit : « Le Président de la République, le Premier Ministre, le Président de l’Assemblée Nationale » et il  poursuit l’énumération jusqu’au Directeur de Cabinet du Président de la République et son adjoint, le Directeur de Cabinet du Premier Ministre et son adjoint, les Conseillers et Chargés de mission à la Présidence. Puis il continue jusqu’au Chefs des Etat majors, les diplomates… Tout ce monde a le droit à un passeport diplomatique, eux, leurs conjoints et leurs enfants de moins de 18 ans. Quant à vous, les Députés, qui allez voter le programme du Premier Ministre, établissant ainsi une certaine subordination de ce dernier à l’Assemblée, vous êtes relégués à l’article 21 que je cite : « les Parlementaires (Députés et sénateurs) ainsi que les conseillers et chargés de mission auprès du Premier Ministre », vous êtes placés au même niveau que les conseillers du Premier Ministre et il a mis avec vous le Commissaire Adjoint chargé de la sécurité alimentaire, je lis bien Adjoint !, le Directeur de l’Etat Civil, les fonctionnaires conseillers au Ministère des Affaires Etrangères et un directeur adjoint du secteur des Affaires Etrangères… Voici le niveau diplomatique auquel vous situe le Président de la République. Vous n’êtes pas au niveau du Président, ni au niveau des Ministres alors que le Règlement intérieur de l’Assemblée vous donne rang de ministre parce qu’il vous situe dans la catégorie A. Vous êtes juste bons à vous aligner sur le niveau des conseillers du Premier Ministre. Vous venez, vous conseillez le Premier Ministre… C’est ainsi que vous voit le Président de la République. La Majorité, pour lui, s’est révélée incapable de défendre son programme… et je la comprends, tellement cette politique est indéfendable.
Quant à l’Opposition, elle dévoile la vérité. Il [le président de la République]l’a prive de ses droits et vous, vous avez pourtant demandé mais vous êtes seuls, vous n’y pouvez rien et je vous comprends… Vous ne pouvez pas défendre cette politique, cette injustice… c’est ainsi qu’il vous regarde. Tout cela est en contradiction flagrante avec l’Article 7 des amendements constitutionnels qui laisse à croire que le Premier Ministre sera désormais subordonné au Parlement. Ce décret a été signé le 28 janvier 2012. Je le tiens à votre disposition et il montre clairement l’estime dans laquelle le Président de la République vous tient.
Allons maintenant à l’Article 11 : « Le Président de la République est le garant de l’indépendance de la justice ». Or d’après les informations concordantes qui sont en ma possession, le Président, lors d’une séance du Conseil Suprême de la Magistrature (CSM), dont il est aussi le président, avait interpelé le Ministre de la Justice, les membres du Conseil et  les juges en ces termes : « je ne vous ai jamais dit de démettre le juge Mohamed Lemine Ould Nenni. Je vous ai juste dit de le sanctionner » ! Que veut dire « sanctionner » ? Y a-t-il un interventionnisme plus grand ? « Je vous ai demandé de le sanctionner, parce qu’il avait fauté » ! Le Président de la République est à la tête du CSM mais il en garantit l’indépendance, y compris par rapport à lui-même. Devant les yeux de tout le monde « je ne vous ai jamais dit de démettre le juge Mohamed Lemine Ould Nenni. Je vous ai juste dit de le sanctionner », avec toute la bassesse du monde. Mais tu n’as pas à dire ni l’une ni l’autre, mon ami ! Il y a des institutions, un Conseil pour trancher ces affaires et les discuter…
Tout cela est en contradiction avec l’Article 11 qui renforce celui qui le précède.
Je passe maintenant à l’Article 15 qui est nouveau et qui nous est parvenu aujourd’hui. Cet article 15 est vraiment le pompon. C’est l’article qui gâche tout le reste. Le mandat des Parlementaires de l’Assemblée Nationale est de 5 ans. Le nouvel article dit que « la durée du mandat des Parlementaires sera précisée par une loi réglementaire ». Or les lois réglementaires sont   inférieures à la Constitution et cette dernière a déjà précisé la durée de ce mandat qui est de cinq ans. Comment une durée d’un mandat déjà précisée par la Constitution pourra-t-elle être déterminée par une loi réglementaire qui lui est inférieure ? Franchement je ne comprends pas. Il y a quelque chose qui cloche et j’aimerais bien que Monsieur le Ministre nous commente et nous explique cet article 15 nouveau qui est contraire à la Constitution.
Enfin, certains de nos collègues prétendent qu’il n’y a pas de crise et que tout cela n’est qu’un dialogue et un enracinement des pratiques démocratiques. Mobutu était le président du Zaïre. Son gendre avait dit, sur les ondes d’une radio française, qu’il ne savait pas qu’il y avait une crise au Zaïre. Un jour, sortant d’un cinéma à Cannes, il voulait retirer de l’argent avec sa carte bleue. C’est constatant que sa carte ne passait plus et que ses comptes étaient bloqués qu’il se rendit à l’évidence que quelque chose ne tournait pas rond. Le Zaïre a disparu, il a changé de nom et est proie à une guerre civile qui continue de nos jours… mais lui, il ne s’est jamais rendu compte qu’il y avait la moindre crise. Il était rendu aveugle par le pouvoir et l’argent. Ceci dit, je me demande, pour ce qui vous concerne, où est le pouvoir et ou est l’argent qui vous rendent aveugles, vous ? Vous n’avez ni l’un ni l’autre. Je me demande qu’est ce qui vous rend aveugles. La Mauritanie vit une vraie crise. Il y a un vide constitutionnel. Cette institution, par l’aveu du Président de la République et ce sera l’une des rare fois où je serai d’accord avec lui, est hors la loi. Il l’a dit lors de sa visite, il y a deux semaines, à l’Hôpital. Cette institution est paralysée ou empêchée. Vous aviez dit, en son temps, que cette institution légalisait le Coup d’Etat ; aujourd’hui elle est hors la loi.
L’opinion publique n’est pas amnésique. Rappelez-vous les jours de « la motion de  défiance ». M. Sidi Ould Cheikh Abdallahi avait paralysé l’institution parlementaire et empêché le travail constitutionnel et devait être écarté. Pour moi personnellement, Sidi,  Mohamed Ould Abdel Aziz, Moawya ould Sid’Ahmed Taya, Mostapha Ould Salek ou Mohamed Khouna Ould Haidalla appartiennent tous au même régime. Ce que va amener ou enlever Mohamed Ould Abdel Aziz sera toujours le même régime militaire, quelle que soit sa façade. Que tu sois avec ou contre, il faut intégrer cette donnée. Le régime lui-même est bâti sur l’Armée. Il faut que le peuple retrouve son régime et ses fondements démocratiques…

Source: Kassataya avec Taqadoumy et For-Mauritania

 

 

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