Confrontation en ligne entre un islamiste et un laïc

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Un récent débat public sur l’Internet a mis aux prises un responsable politique islamiste et un laïc.

Alors que les islamistes célèbrent leurs victoires électorales après le Printemps arabe et que d’autres, au Maghreb, se demandent ce qu’un tel changement politique signifie pour leurs libertés chèrement acquises, des personnalités de partis opposés s’affrontent lors d’un débat sur l’Internet.

Mohamed Ghoulam Ould El Hadj Cheikh, vice-président du Rassemblement national pour la réforme et le développement (Tawassoul) en Mauritanie, a publié un éditorial le 31 janvier dans lequel il célèbre les victoires des islamistes en Tunisie et au Maroc et s’en prend aux perdants. Son éditorial a été publié dans Essirage sous le titre « Les terrifiés ».

Le lendemain, dans un démenti point par point publié par le site web libéral mauritanien Taqadoumy, Abul Abbas Ould Borham, écrivain et universitaire de gauche, a démonté les arguments d’El Hadj, souligné sa duplicité et affirmé clairement que non seulement les laïcs n’avaient pas peur, mais qu’ils avaient des raisons d’être optimistes pour l’avenir.

El Hadj a ouvert le feu pour Tawassoul.

Dans une attaque agressive contre les laïcs, ce responsable politique islamiste les a accusé de réagir au Printemps arabe avec un « esprit d’arrogance ».

« Ils ont été abusés par le fait qu’ils ont contrôlé le destin de nos nations pendant une longue période », a écrit El Hadj.

Il a également suggéré que les laïcs ne sont que de mauvais perdants, qui qualifient les récentes élections au Maghreb d’aberration.

« Quand vous les entendez parler, vous auriez presque le sentiment qu’une armée de djinns et de démons ont attaqué les villes, les villages et les régions rurales, s’emparant des urnes dans les bureaux de vote et les remplissant de bulletins venus d’une autre planète », a-t-il écrit.

Abul Abbas Ould Borham a réfuté l’argument d’El Hadj laissant entendre que la réponse des laïcs aux élections a été marquée par la colère et le ressentiment. Il a ainsi affirmé que loin de rejeter ces élections, « les élites laïques ont accepté les victoires des islamistes et leur ont remis le pouvoir en Tunisie et au Maroc ».

« Cette image démocratique est plus significative et plus importante », a-t-il expliqué, que ce qu’a fait El Hadj, à savoir « critiquer les paroles des « ultra-laïcs ». »

Plus important encore, Ould Borham a affirmé que « la chose à laquelle cet écrivain islamiste se réfère comme un « esprit d’arrogance » ne concerne pas le rejet du scrutin, mais plutôt la manière dont les islamistes considèrent toute critique de leur victoire ».

Et le professeur de poursuivre : « Les élites islamiques doivent comprendre que la démocratie ne signifie pas que le vainqueur ne sera pas critiqué. L’image démagogique qui affirme « laissez-les tranquilles puisqu’ils ont gagné » n’est pas correcte. Il est plus correct de dire « critiquez-les démocratiquement ». »

Critiquer les vainqueurs « fait partie inhérente de la pratique démocratique », a-t-il fait valoir. « Sinon, comment quiconque pourrait-il travailler au sein d’une opposition démocratique ? »

Il s’est ensuite attaché à ce qu’il perçoit comme étant le double langage de cet islamiste : « Cet écrivain islamiste dirige un parti qui reconnaît le caractère démocratique du régime mauritanien, mais il n’arrête pas de le critiquer. »

« Il apparaît donc étrange qu’il critique maintenant les « ultra-laïcs » pour avoir critiqué les islamistes », a souligné Ould Borham.

Les deux hommes de plume se sont par la suite affrontés au sujet du célèbre écrivain et militant égyptien Farag Foda, critique acharné du fondamentalisme islamique.

El Hadj a ainsi écrit : « les laïcs arabes… considéraient Farag Foda comme un intellectuel respectable, bien qu’il se soit enorgueilli d’être l’un des premiers à s’être élevé contre l’application de la charia islamique en Egypte. »

Dans sa critique publiée le lendemain, Ould Borham a interrogé El Hadj : « L’écrivain veut-il dire que les mouvements islamistes envisagent de confisquer la littérature qu’ils ne respectent pas ? »

La critique d’El Hadj envers cet ancien penseur égyptien, aujourd’hui décédé, a fourni à Ould Borham une nouvelle occasion de souligner l’inconsistance intellectuelle de son adversaire : « La chose pour laquelle M. Ghoulam ne respecte pas Farag Foda, à savoir son rejet de l’application de la charia islamique, relève de la même position que celle adoptée par les mouvements islamistes en Tunisie et au Maroc. »

Il a pointé une nouvelle fois les contradictions inhérentes au discours d’El Hadj, soulignant que « en cela, elle ne sont pas différentes de Farag Foda ».

« Je pense qu’une importante personnalité islamiste à la croisée des chemins des mouvements islamistes ne devrait pas jeter des doutes sur les confirmations avancées par les mouvements islamistes concernant le respect de la liberté d’expression ; sinon, ses assurances relatives au caractère démocratique de son mouvement n’auront aucun sens », a ajouté Ould Borham.

Dans une autre critique de la possible désinformation de cet éditorial islamiste, l’écrivain de gauche a ajouté que l’article d’El Hadj « pourrait inciter les lecteurs à penser que les partis islamistes en Tunisie, au Maroc et en Egypte comptent se débarrasser des banques appliquant des intérêts réguliers ».

« Les assurances de ces partis contredisent les suppositions de cet écrivain, et viennent même confirmer leur adhérence au système de marché existant », a poursuivi Ould Borham.

« La même chose s’applique à l’alcool, dont parle l’auteur. Les bars restent encore ouverts au Maroc et en Tunisie », a ajouté cet universitaire mauritanien. « Lorsque j’étais étudiant au Maroc, les islamistes géraient l’une des plus importantes municipalités productrices de vin. Islamistes et bars étaient tout à fait prospères. »

Dans sa critique des laïcs, El Hadj a écrit : « Il existe également une autre chose qui n’est pas importante à vos yeux, l’enseignement de la religion. » Il a accusé également les laïcs de rejeter tous les « programmes islamistes exempts d’intérêt pour les transactions économiques et financières ».

Ould Borham s’est empressé de répondre à ces accusations, affirmant que son adversaire islamiste « critique la laïcité pour ne pas accorder d’attention à l’enseignement religieux ».

Si tel est le cas, a poursuivi le professeur, « nous lui demandons alors : « Où les partisans de l’Islam politique ont-ils obtenu leurs diplômes d’enseignement religieux ? N’était-ce pas dans les écoles religieuses qui étaient financées par des régimes laïcs ?' »

« La laïcité ne signifie pas une interdiction de l’enseignement religieux ; elle signifie plutôt en faire un enseignement universitaire », a-t-il ajouté.

« L’article de cet écrivain était sous-titré « Victoire islamique », comme si elle était décisive et définitive », a remarqué Ould Borham. « Ceux qui n’adhèrent pas à [leur] cercle ne considèrent pas cette victoire comme la victoire décisive du mouvement islamiste. »

En Tunisie, a-t-il écrit, « les islamistes ont remporté moins de voix que les laïcs réunis, et ils ont dû s’allier à deux partis laïcs », tandis qu’au Maroc, a-t-il poursuivi, « les islamistes n’ont pas obtenu plus de 24 pour cent des voix, bien qu’ils aient mené la course ».

« Et à propos, l’expérience électorale marocaine en est presque dans sa troisième décennie, et elle a vu la victoire de plusieurs partis laïcs, avec plus de voix que lors de cette « grande victoire » des islamistes », a souligné Ould Borham.

Il a écrit également que contrairement à ces islamistes qui se vantent, « les islamistes modérés qui ont gagné les élections, comme Rachid Ghannouchi, et particulièrement Abdelilah Benkirane, ont préféré prendre leurs distances avec le langage des vainqueurs ».

« Benkirane s’est attaché à parler des luttes islamistes dans le cadre… du combat pour la démocratie et comme une extension des mouvements gauchistes et libéraux marocains », a-t-il ajouté.

Ould Borham a apporté un dernier argument dans sa critique de la bravade d’El Hadj.

« Je crois que s’attacher au long combat national, comme le font les islamistes modérés, sert ces mouvements bien plus que le langage de la victoire. »

Raby Ould Idoumou

Raby Ould Idoumou est journaliste et analyste du terrorisme de Nouakchott. Il est également directeur de la communication pour l’Association mauritanienne des droits de l’Homme (AMDH)

Source  :  Magharebia le 13/02/2012

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