L’Afrique peine, encore, à peser, véritablement, sur le cours des évènements mondiaux. D’éminents intellectuels africains et européens réunis le vendredi 13 janvier 2012 à la Salle 12 des Nations Unies à l’occasion du 7ème anniversaire du magazine panafricain ContinentPremier.Com édité à Genève ont abordé la thématique de « l’Afrique dans la nouvelle géopolitique mondiale : souveraineté et démocratie. ».
Extrait de la communication du Pr Iba Der Thiam, agrégé d’Histoire, Médaille d’Or de l’UNESCO, Commandeur de l’Ordre de la Pléiade de l’Organisation Internationale de la Francophonie.
(…. )L’Afrique a été découpée en morceaux, à Berlin, en 1885. On l’a colonisée. On lui a imposé le travail forcé, les réquisitions et les corvées, les brimades et les humiliations, l’Apartheid, le néocolonialisme, des accords de partenariat économique injustes, fondés sur l’échange inégal, des élites dirigeantes beaucoup plus soumises aux maîtres occidentaux, qui les ont choisis, qu’aux Etats, dont ils sont originaires (…)
Certaines puissances, alliées aux pays colonisateurs, en ont profité pour continuer de considérer que les 54 Etats Africains ne méritent pas de jouer un rôle significatif dans la gouvernance mondiale, si bien que l’Afrique est absente du Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Elle est mal représentée au sein du FMI et de la Banque Mondiale, ainsi que du G8 et du G20, où elle n’occupe qu’un rôle de figurant.
Les règles de l’OMC foulent au pied ses intérêts et privilégient ceux des pays riches.
La Cour Pénale Internationale semble n’avoir été créée, que pour les seuls africains, alors que les tenants de l’Apartheid vivent, voyagent et dorment en paix, comme bien d’autres, dans le reste du monde. Avec un attrait de presse, on a fait de l’Afrique, le continent de la corruption, des élections frauduleuses, de l’incompétence des élites, la patrie du tribalisme, de la dictature, incapable de prendre, seule, en main, son destin..
A la première crise, on fait appel à l’étranger, au nom d’un droit d’ingérence à géométrie variable.
Retard de l’Afrique ?
On spécule sur sa pauvreté, alors qu’elle n’a, jamais, été pauvre, mais appauvrie, par des siècles d’exploitation et de domination et dispose, encore, de ressources en pétrole, en or, diamant, platine, nickel, colton, lithium, cobalt, phosphate, bauxite, plomb, étain, cuivre, chrome, manganèse, fer, sans parler des cultures d’exportation et de plantation, qui ont nom, arachide, cacao, café, banane, bois, hévéa, palmiste, sisal, coton, etc. et des ressource forestières et halieutiques considérables. Si vous exprimez les avis ci-dessus énumérés, on vous accuse, avec mépris, de vous livrer à des lamentations ringardes. Ce terrorisme intellectuel a fini par imposer une culture de la résignation et de l’omerta.
Des Lumières et de la Démocratie ?
On disserte, à tout propos, sur le retard et l’arriération de notre continent, par comparaison avec d’autres, alors que son histoire n’est, en rien, comparable, ni à celle de la Corée du Sud, ni à celle de Singapour, ou de la Thaïlande, ni à celle de tel ou tel Etat d’Amérique Latine, des pays arabes ou d’Europe.
Ce lynchage médiatique a donné naissance à l’afro-pessimisme, si bien qu’on en arrive à gommer, totalement, un fait d’une importance capitale, à savoir que, ce qu’on appelle « Les Lumières, dont le rôle dans les démocraties modernes, est si fondamental, sont apparues en Afrique bien avant l’arrivée de l’Europe. C’est, en effet, dans ce continent, qu’on a trouvé sur un sarcophage royal, cette inscription si pleine d’humanisme : « Je n’ai pas fait pleurer. Je n’ai fait de souffrance à personne ».
Dans le Livre des Morts, on a osé déclarer, au sujet d’un Pharaon ayant vécu 1 500 ans, avant Jésus-Christ : « Il a donné du pain à ceux qui avaient faim et de l’eau à ceux, qui avaient soif. Il a vêtu celui qui était nu ».
Dans la Loi de Maât, citée par Lilian Thuram, « le Pharaon a le devoir de pratiquer la justice, d’apaiser celui qui pleure, de ne pas opprimer la veuve, de ne point chasser une personne de la propriété de son père… Il ne doit point punir injustement ».
En 617, le Prophète de l’Islam (PSL) dit du Négus Nadjachi « qu’il est un Roi juste, qui ne fait de mal à personne ».
En 1236, la Charte du Kurukan Fuga développe un humanisme politique, social et économique et une philosophie du « vivre-ensemble », qui ferait pâlir d’envie, la démocratie post-Athénienne.
Dans le Fouta sénégalais, en 1776, la Révolution Torodo instaure la limitation des mandats, à l’initiative de l’Imam Thierno Souleymane BAAL. Dans le royaume du Walo, le vote était la norme. Une assemblée, dénommée Sébak Bawor, existait et fonctionnait parfaitement. Une Charte des Droits Humains et un Code de l’Etranger peuvent, même, être attestés dans presque toute la Sénégambie et, au-delà, dans tout le Soudan nigérien.
En pays mankagne, l’égalité homme-femme est la règle dans la communauté, jadis, comme aujourd’hui.
On ne dit pas, suffisamment, qu’au 17ème siècle, ce sont les esclaves noirs d’Haïti, qui ont juré, en chœur : « La liberté ou la mort », tandis que le Guadeloupéen Louis Delgrès proclamait, que « la résistance contre l’oppression est un droit naturel pour tout homme ».
La démocratie n’est, donc, pas étrangère à l’Afrique. On peut, même, dire, qu’elle est inscrite dans le code génétique africain, dont toute l’histoire a été une saga, jamais démentie, de résistances acharnées d’un peuple, toujours, debout…
Un monde, qui ignore tout cela, est un monde injuste, un monde de préjugés tenaces, un monde d’exclusion, qui se complait dans la falsification des faits. C’est ce même monde, qui pratique, injustement, une politique des 2 poids et 2 mesures, en instrumentalisant ce qu’elle appelle, la légalité internationale…
De 1960 à nos jours, on lui a, toujours, fabriqué un destin imposé, dans lequel, ses populations ont, rarement, joué le premier rôle. Pour cacher cette conjuration inqualifiable, on essaie de faire croire, que la colonisation est dépassée et que les élites africaines sont seules responsables des contreperformances de leur continent.
Certes, les élites ont commis beaucoup de fautes, beaucoup d’erreurs et, même, des crimes que personne n’oserait justifier, mais, leur comportement a, bien souvent, été la conséquence de la servitude intellectuelle et politique et des traumatismes socioculturels dans lesquels, on les a enfermées depuis des siècles.
Par le Professeur Iba Der Thiam
Source : L’Autre Afrik via afrik.com le 19/01/2012
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