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Le comédien d'origine mauritanienne Omar SyIntouchables, le film réalisé par Eric Toledano et Olivier Nakache, est le plus grand succès de 2011. Avec ses 17 millions d’entrées, il se place actuellement derrière le phénoménal Bienvenue chez les Ch’tis de Dany Boon sorti en 2008.

Si le second reposait sur un duo talentueux (Dany Boon et Kad Merad), le premier use du même dispositif narratif : un couple d’acteurs attachants (François Cluzet et Omar Sy) slalomant entre satire sociale et quête de soi. Dans cette  comédie douce-amère, la lutte des classes n’aura pas lieu car le personnage incarné par Omar Sy (notre photo) traverse et retraverse les frontières sociales le temps de nous arracher des larmes et des fous rires. Tous les observateurs l’ont noté, le colosse est le grand gagnant de l’année. La preuve, il vient de rejoindre Yannick Noah et Zineddine Zidane dans les coeurs des Français qui n’aiment rien moins que surprendre.Mieux, en déclinant une invitation venue de l’Elysée, le très souriant comédien a fait d’une pierre deux coups :  consolider sa côte de sympathie auprès des jeunes et moins jeunes tout en renvoyant l’homme des charters et du karcher à ses soliloques en ces temps d’angoisse pré-électorale.

Omar Sy ne manque ni de talent ni de finesse. Il crève l’écran à chaque plan, et pourtant son partenaire est tout sauf médiocre. Rappelons pour ceux qui n’auraient encore vu le film que notre bonhomme joue le rôle de Driss, une petite frappe de banlieue devenue le domestique de Philippe, un milliardaire tétraplégique. Si la France se tord de rire devant son petit écran tous les soirs, elle le doit aux sketches de Fred & Omar (Service après ventes, Canal +). Ce success story n’est pas sans rappeler celui de Jamel Debbouze. Ca tombe bien, Omar et Jamel sont amis d’enfance. Nés à Trappes comme le rappeur La Fouine ou Nicolas Anelka, l’ex-king des surfaces de réparation en partance pour Shanghai. A ce stade, on se dit que tout est plus facile aujourd’hui pour les gosses blacks et beurs des cités. La France qui se pare de couleurs cathodiques fut hier tout sauf accueillante. Nous assisterions donc à une petite révolution silencieuse et c’est tant mieux. Un petit retour en arrière pour apprécier le chemin parcouru.

Prenons Félicité Wouassi (notre photo), elle a l’âge de la mère d’Omar Sy. Cette comédienne française d’origine camerounaise a débuté dans la vie dans un salon de coiffure que sa mère tenait dans les années 1970, et bien entendu c’était le seul salon afro-parisien situé dans le Ve arrondissement. Jeune, elle y a vu défiler tous les grands acteurs français originaires d’Afrique ou des Caraïbes : Darling Légitimus, Toto Bissainthe, Sidiki Bakaba, Douta Seck, Marpessa Dawn ou la lumineuse Alpha Jenny disparue en 2010 à 100 ans. Avec un brin d’amertume, elle a raconté au journaliste du Monde 2 son parcours et sa filiation : « C’est une génération arrivée en France dans les années 1930. Ils parlaient un français extraordinaire. Aimé Césaire et Jean Genet avaient écrit La Tragédie du roi Christophe et Les Nègres pour eux, mais le reste du monde faisait comme s’ils n’existaient pas. Le cinéma ne voulait pas d’eux. Douta Seck, qui apparaît en arrière-plan, jouant du tamtam, dans la fameuse scène de danse de Brigitte Bardot dans Et Dieu… créa la femme (1956), l’a très mal vécu. Marpessa Dawn, l’Eurydice d’Orfeu Negro, de Marcel Camus, est devenue folle de désespoir, on ne lui offrait aucun rôle. Orfeu Negro avait remporté en 1959 la Palme d’Or au Festival de Cannes. Ensuite, rien » (1).

Par pudeur, Félicité Wouassi n’insiste pas sur les rôles infâmes qu’on lui propose souvent. Ce n’est pas l’expérience qui lui fait défaut. Elle fut remarquée dès 1986 dans Black Micmac de Thomas Gilou. Imaginé de bout en bout par Mamadou Konté, l’infatigable promoteur des musiques, ce film n’a pas eu le succès de La vérité si je mens décliné par le même Gilou en trois lucratifs volets. Et pourtant Black Micmac s’appuyait sur la crème de comédiens noirs des années 1980 dont le génial Isaac de Bankolé parti travailler à New York avec Jim Jarmusch et consorts faute de rôles dignes de son talent. Ou le regretté Sotigui Kouyaté remarquable dans les dramaturgies de Peter Brooks aux Bouffes du Nord.

Félicité Wouassi tire le diable par la queue. Boudée par le cinéma français comme ses compères. Une poignée d’apparitions (de La Haine de Mathieu Kassovitz en 1995 à Cliente de Josiane Balasko en 2008), quelques miettes au théâtre : c’est trop peu pour une carrière. Cette comédienne, née à Yaoundé en 1961 et formée au Conservatoire, a eu droit à un premier rôle à la mesure de son talent… qu’en 2008. A 47 ans elle a pu enfin remercier François Dupeyron pour lui avoir confié le magnifique personnage de Sonia dans Aide-toi le ciel t’aidera. Omar Sy, Jamel Debbouze, Thomas N’Gijol et autres Fabrice Eboué ont bien de la chance. Et ils le savent au plus profond d’eux.

(1) Le Monde 2, 29/11/09, pp. 54-55.

Par: Abdourahman Waberi

Source: SlateAfrique

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