Maurice Freund, voyagiste engagé : cap sur l’oasis de Faya-Largeau

Maurice Freund en 2010 (David Servenay/Rue89)Depuis plus de trente ans, Maurice Freund invente un tourisme différent, responsable et solidaire en Afrique, aujourd’hui menacé par les prises d’otages et les attaques d’Aqmi, la branche sahélienne d’Al Qaeda. A 68 ans, Maurice Freund ne jette pas l’éponge sans un dernier combat : il met le cap sur Faya-Largeau et le nord du Tchad, à l’écart de la zone d’activité d’Aqmi.

Flashback. J’ai connu Maurice Freund au début des années 80, alors qu’avec Le Point Mulhouse, flibustier du transport aérien, il cassait le monopole exhorbitant d’UTA (aujourd’hui avalé par Air France) entre la France et le continent noir. Pour un prix dérisoire, il amenait son DC-8 à Ouagadougou, permettant aux immigrants africains de revoir leurs familles, et aux haricots du Burkina Faso de gagner le marché français.

Nous sommes devenus amis à une époque où l’Afrique bougeait pas mal, où Thomas Sankara inventait les « hommes intègres » dans sa Haute-Volta rebaptisée Burkina Faso, avant de mourir sous les balles de ses camarades. Sa fidélité l’a conduit à accompagner l’aventure de Rue89 dont il a été actionnaire minoritaire jusqu’à il y a quelques jours… Cet article porte donc sur un ami personnel et un ami de Rue89 ; il n’en est pas moins un récit honnête d’une démarche positive.

Tourisme non prédateur

Je l’ai retrouvé dans les années 90, tombé puis redressé, alors qu’avec sa nouvelle aventure, le Point Afrique, une Scop (société coopérative) basée, ça ne s’invente pas, à… Bidon, en Ardèche. Il faisait poser ses avions là où aucun vol régulier n’allait : dans le nord du Mali, le nord du Niger, le centre du désert mauritanien.

Le Point Afrique y menait, souvent dans la foulée des accords de paix avec les rébellions touaregs qui ont durement marqué ces régions déshéritées du Sahel, un tourisme non prédateur, l’antithèse de la bulle occidentale en goguette.

Je m’y suis rendu une fois, avec mes enfants, dans les années 90, sans prévenir Maurice… De Gao à Tombouctou par la piste infernale, le retour sur le fleuve Niger, en dormant à la belle étoile, mangeant ce qu’on pouvait trouver sur notre route, une chèvre dans un village, un poisson directement acheté aux pêcheurs, un solide guide touareg pour nous accompagner, et une découverte réelle d’une région, d’un peuple, d’une culture.

Depuis deux ans, l’extraordinaire organisation du Point Afrique s’est effondrée, sous le coup d’Aqmi, des prises d’otages, de la peur. Maurice Freund a vu son espace se retrécir pour finalement disparaître, l’obligeant à supprimer les dizaines d’emplois qu’il avait créés dans une région privée de développement.

Dans une lettre à ses sociétaires, Maurice Freund s’insurge :

« Si Point Afrique pour des raisons sécuritaires a connu un tel effondrement, je souffre encore plus pour ces centaines de familles là-bas qui se trouvent actuellement totalement dépourvues de ressources. Je me sens responsable d’avoir voilà 15 ans initié ce tourisme qui a créé tant d’espoir ! Je ne pouvais imaginer qu’une poignée de terroristes issus des troubles algériens des années 90 parviendrait à transformer la zone saharo-sahélienne en Far West !

Aujourd’hui, à Gao des gamins de 15 ans, armés de Kalachnikov, font la loi. Cela me révolte… mais devant mon impuissance je m’interroge et une profonde tristesse m’envahit. Je pensais faire du tourisme “une arme pour la paix”, aujourd’hui nos compatriotes et autres ressortissants européens servent d’otages et de monnaie d’échange ! »

Objectif Faya-Largeau

Au bord de l’asphyxie, Maurice Freund refuse d’accepter la défaite. Il a tourné son regard vers le Tchad, resté à l’écart de l’activité d’Aqmi, rejeté par les habitants du nord tchadien. Avec le feu vert des autorités françaises et tchadiennes, et un maximum d’assurances sécuritaires, il s’apprête à lancer, à partir du 21 février, son avion en direction du nord du Tchad.

Faya-Largeau… Ce nom a un parfum colonial évident (Etienne Largeau était un colonel français…), mais c’est d’abord une magnifique oasis au milieu du désert tchadien. Aucun avion civil ne s’y rend jamais, et les populations du nord restent largement oubliées de tous, y compris dans leur propre pays.

Je m’y suis rendu en 1983 avec les forces rebelles de Goukouni Weddeye, le leader des Toubous du Tibesti, qui venaient de capturer l’oasis avec le soutien actif de Kadhafi. J’y suis retourné quelques semaines plus tard avec l’armée tchadienne qui avait repris la région avec le soutien actif de l’armée française…

Faya-Largeau est une vaste palmeraie où vivent quelque 15 000 personnes, au milieu d’un désert montagneux exceptionnellement beau, porte du massif du Tibesti rendu célèbre dans les années 70 par la prise d’otage de l’archéologue française Françoise Claustre, les expéditions de Raymond Depardon (« La captive du désert »), les négociations secrètes avec Hissène Habré

C’est aussi une région où la vie est ingrate, aux rites immuables même si le pick-up Toyota a bien souvent remplacé le chameau, et la kalachnikov la machette…

Créer à Faya-Largeau et dans cette région un flux touristique respectueux de la nature et de ses habitants, c’est l’objectif du Point Afrique et de son fondateur.

Certes, il y a la nature contestable du régime tchadien d’Idriss Deby, il y a la politique africaine de la France qui maintient un contingent militaire à N’Djaména. Mais au-delà de ces interrogations légitimes, il y a aussi des populations otages d’enjeux auxquels elles sont étrangères. Et c’est en pensant à elles que Maurice Freund a choisi d’aller à « Faya ». Il mérite de réussir.

Source: Rue89

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