A Lausanne, hier, neuf témoins syriens de la révolution, vivant en Suisse, ont décrit la brutalité du régime de Bachar al-Assad. Arrivé il y a trois jours à Genève, Sayer al-Doumi*, 25 ans, est très inquiet pour l’avenir des proches laissés au pays. Il a pénétré en Suisse clandestinement par la France après un périple de vingt jours à travers le sud de l’Europe. Cet ingénieur a quitté la ville de Douma (15 km au nord de Damas) prise sous le feu de l’armée syrienne, qui réprime dans le sang en toute impunité. Il livre un témoignage poignant.
«Je suis arrivé en Suisse il y a trois jours. Je suis encore sous le choc car le voyage a été rude. Sincèrement, je n’ai jamais pensé que j’y arriverais. J’ignore de quoi demain sera fait. Je suis perdu. Traumatisé. Je n’arrive pas à dormir. Je pense à ma famille qui a été disloquée. Je ne me suis même pas présenté devant les autorités helvétiques. J’ai encore peur de la Syrie.
Devenu cyberactiviste
»En Syrie, j’étais cyberactiviste. Je filmais la révolution et je collectais des images prises dans ma région pour qu’elles soient diffusées sur le net. Je filmais des images des manifestations, les funérailles, les exactions de la police, les militaires qui envahissent les quartiers et commencent à déporter les jeunes. Ceux qui résistent sont tués sur le champ. Les chars détruisent les maisons des personnes recherchées. Je filme avec mon téléphone portable. Puis rapidement, je sauvegarde les images sur une disquette qu’une personne récupère rapidement. On regroupe nos images sur une carte mémoire. Un militant transporte le document à Damas, où la connexion internet est toujours disponible, pour les mettre en ligne. Ceux qui filment les manifestations sont la cible des snipers. Le régime ne veut plus que nos images circulent sur le web. Du coup, il liquide les témoins.
Coupés du monde
»Dans ma localité de Douma, il n’y a ni électricité, ni internet. Nous sommes coupés du monde. Pour sortir de Douma, il faut passer plusieurs barrages de sécurité. Il nous est arrivé de cacher les cartes mémoires et nos téléphones dans des cargaisons de fruits et légumes qui alimentent les marchés de Damas. Il y a même des gens au pouvoir qui nous aident. Ils ne peuvent pas se rallier à la révolution mais utilisent leur poste officiel pour laisser des moyens de communication et des vivres arriver à la population. Chaque jour, il y a des déserteurs de l’armée qui rejoignent la révolte.
Blessés exécutés
»Aujourd’hui, ma famille vit l’errance en Syrie. Elle a fui notre domicile, détruit par la police. Mon frère de 22 ans a été touché par une balle dans la tête lors d’une manif. Moi, je suis recherché. Ma famille se cache pour sauver mon frère. Elle ne peut pas le transporter à l’hôpital: les autorités l’achèveraient, lui et les membres de ma famille. Il y a une règle aujourd’hui en Syrie: chaque blessé est directement exécuté et sa famille déportée. J’aurais tellement souhaité fuir avec mon frère pour le ramener en Suisse et le soigner. Mais avec son état de santé, je savais qu’il n’allait pas tenir le choc du périple.
»J’ai beaucoup souffert avant d’arriver à Genève. J’ai failli mourir. J’ai traversé clandestinement plusieurs pays en prenant beaucoup de risques. Il y a vingt jours, j’ai quitté la région de Rif Dimachq. Je suis arrivé en Turquie après une traversée de la Syrie qui a duré plusieurs jours. Je suis resté à Istanbul deux jours, le temps que l’opposition syrienne me procure de faux papiers européens et me donne des adresses en Europe, particulièrement en Suisse où je peux trouver refuge et de l’aide. J’ai passé par la Grèce puis, directement, par l’Italie. Et me voici à Genève. Ici, je n’ai ni famille, ni amis, juste quelques adresses d’associations des droits de l’homme. On m’a dit qu’à Genève, ils ont une longue tradition dans l’accueil des réfugiés.
Le régime tue et déporte
»Je ne pouvais pas rester en Turquie, parce que le régime de Bachar y traque les opposants. Il récolte leurs données puis persécute leur famille en Syrie en guise de représailles. Ce régime tue sans pitié. En Turquie, au Liban, en Irak, même en Europe, tu risques gros si tu parles. Ce régime déporte, tue et torture.
»Même loin de la Syrie, je fais des cauchemars. J’ai peur que les «chabihas» (brigades civiles du régime) ne s’attaquent à mes proches. Je souhaite que les autorités suisses me respectent et me traitent avec humanité. Je sais que je ne devais pas entrer comme ça chez vous. Mais que voulez-vous? Parfois, on n’a pas le choix. On est obligé de fuir la mort et la terreur.
»Je suis aujourd’hui dans un état dépressif. Alors qu’un destin radieux m’attendait au sein d’une famille syrienne sunnite qui n’a jamais fait de l’activisme politique. Ni ma mère, ni mon père ne se mêlaient de politique. Ils savaient bien que le régime est dangereux. C’est mon frère et moi qui les ont mis dans ce sale pétrin. Nous étions membres du comité de la révolution de notre région.
Pratiques nazies
»Depuis un mois, je n’ai plus de nouvelles de ma famille. Je ne sais pas si mon frère vit toujours avec sa balle dans la tête. Je suis sans nouvelles également de mon père et ma mère, mes cinq sœurs et de mon petit frère. Les «chabihas» nous recherchent. Ils touchent plus de 1000 dollars s’ils arrêtent ou éliminent des acteurs de la révolution. La Syrie de Bachar est un état mafieux avec des pratiques nazies. J’attends la chute du régime. En Syrie, c’est le point de non-retour. J’ai encore dans la tête les chants de la révolte: «Le peuple veut la chute du régime et la guillotine pour Bachar.» Les Syriens ont découvert finalement qu’ils sont solidaires. La révolution nous a soudés contre ce régime.
Plus de 10000 morts
»J’étais un ingénieur en électromécanique. Aujourd’hui, mon avenir est détruit. En sortant le premier jour pour filmer les manifestations dans Rif Dimachq, j’étais conscient du risque. Aujourd’hui, la révolte contre Bachar a fait plus de 10000 morts alors que les ONG parlent de 3000. On ne comprend pas la monstruosité de ce régime. On le savait intraitable, mais pas à ce point.» I
* Pseudonyme utilisé pour la révolution
Demandes en hausse
PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-ANDRÉ SIEBER ET SID AHMED HAMMOUCHE
Chef de l’information à l’Office fédéral des migrations (ODM), Michael Glauser confirme l’augmentation des demandes d’asile de citoyens syriens en Suisse.
Combien de nouvelles demandes sont déposées par mois en Suisse?
Michael Glauser: Nos statistiques du mois de septembre 2011 montrent que l’Office des migrations a enregistré 98 demandes d’asile émanant de requérants de ce pays. A la même période de l’année 2010, nous avons reçu 35 demandes. Le nombre a donc triplé. Au total, la Suisse héberge 1606 réfugiés syriens, dont plus de 600 personnes admises provisoirement.
Etant donné la situation explosive en Syrie, la Suisse leur accorde-t-elle un statut spécial?
Chaque demande d’asile est examinée individuellement. L’ODM prend sa décision en conformité avec les principes juridiques applicables. Et les mesures concernent les personnes dont la vie est en danger. Dans ce cas, la Suisse leur offre une protection et l’asile.
Y a-t-il eu des renvois?
Il est trop tôt pour faire une évaluation. Nos statistiques montrent que les demandes d’asile augmentent ces derniers mois. Il y a aussi des cas de non-entrée en matière qui ont connu une petite hausse. Ces personnes doivent quitter le territoire. Comme on ne connaît pas le nombre de personnes qui ne s’enregistrent pas et disparaissent dans la nature, c’est impossible de donner des chiffres.
Peut-on s’attendre à un flux migratoire important encore ces mois à venir?
Impossible de dire comment la situation va évoluer en Syrie. Une prédiction ne serait que pure spéculation. Par contre on s’attend à ce que les choses bougent comme l’afflux massif des Nord-Africains sur Lampedusa. Ou les 50000 réfugiés qui ont fui la Libye. Personne ne sait quand la vague déferlera.
Escalade de la répression: 35 civils sont tués
ATS/AFP/REUTERS
La Syrie a connu hier l’une des journées les plus violentes depuis des semaines, avec 35 civils tués. Les forces de sécurité ont tiré à balles réelles pour disperser des manifestations réclamant une zone d’exclusion aérienne au-dessus du pays. La plupart des victimes sont tombées dans les régions de Homs et de Hama, deux foyers de la contestation dans le centre du pays, selon des militants.
«Douze civils ont été tués dans divers quartiers de la ville de Hama, 20 autres dans la ville de Homs et un civil à Qousseir, dans la région de Homs», théâtre depuis plusieurs semaines d’opérations de l’armée, a annoncé l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Deux civils ont également été tués et dix autres blessés par les tirs des forces de sécurité à Tsil, dans la province de Deraa (sud). Depuis le 15 mars, la répression a fait plus de 3000 morts, selon l’ONU.
Comme chaque vendredi depuis le début de la contestation contre le régime du président Bachar al-Assad, de nombreuses manifestations ont eu lieu à la sortie des mosquées, après la grande prière de la mi-journée. A Homs, près de 20000 personnes ont défilé en réclamant la chute du régime, selon des militants. Ces derniers avaient appelé sur leur page Facebook à manifester en faveur d’une «zone d’exclusion aérienne», à l’image de la Libye, «afin de permettre à l’«armée syrienne libre» d’œuvrer avec plus de liberté».
L’Armée syrienne libre est une force d’opposition armée dont la création a été annoncée en juillet par le colonel Riad al-Asaad, qui a déserté et s’est réfugié en Turquie. Les défections et les affrontements entre soldats de l’armée régulière et déserteurs se sont multipliés ces dernières semaines.
Selon l’OSDH, des affrontements ont lieu à Hama entre des déserteurs présumés et des membres des forces de l’ordre. Dans le nord-ouest, les forces armées et de sécurité ont procédé à des perquisitions dans le village de Kafrouma, dans la province d’Idleb, près de la frontière turque. Elles ont arrêté treize personnes dont une femme et son fils de 12 ans, a ajouté l’OSDH, basé au Royaume-Uni.
A Damas, des dizaines de jeunes ont défilé pour la liberté dans le quartier de Barzé, malgré un déploiement massif des forces de sécurité, qui ont procédé à plus d’une quarantaine d’arrestations, toujours selon l’OSDH.
L’ambassadeur de France à l’ONU, Gérard Araud, a déclaré jeudi que les quinze pays membres du Conseil de sécurité pourraient se retrouver pour une nouvelle action contre la Syrie. Début octobre, le veto de la Chine et de la Russie avait pourtant empêché une résolution menaçant Damas de «mesures ciblées». La Lituanie a annoncé hier avoir interdit le survol de son territoire par des avions syriens à destination et en provenance de l’enclave russe de Kaliningrad, craignant qu’ils ne soient utilisés pour transporter du matériel militaire.
Enfin, l’Espagne a convoqué hier l’ambassadeur de Syrie à Madrid pour dénoncer le harcèlement et les intimidations dont plusieurs opposants syriens vivant en Espagne se disent victimes de la part de l’ambassade.
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