Dialogue : L’heure des vérités

Le dialogue politique en Mauritanie entre la Majorité présidentielle composée d’une soixantaine de formations politiques, et quatre partis d’opposition (APP, Al Wiam, Hamam et Sawab) amorce son dernier virage.

Trois semaines durant, ceux qui ont choisi l’option du dialogue n’ont pas encore réussi à convaincre qu’ils ont fait le bon choix. Sauf qu’ils ont quand même essayé ! L’échec du dialogue est une probabilité très forte. Elle tien au fait que le dialogue prévu, pour durer dix jours, est entré dans sa troisième semaine ! Preuve certes qu’il y a débat sur les questions abordées au niveau des six ateliers, mais aussi que les représentants de la Majorité et de l’opposition ne parviennent pas encore à arrondir les angles pour arriver à un accord sur l’essentiel.

Si l’on convient que les parties en discussion ont réussi à sauver les apparences, en tenant à chaque fois une conférence de presse commune où les sujets débattus étaient exposés à l’opinion publique nationale et internationales en  » deux versions  » qui s’apparentent, on ne peut cacher, non plus, que les divergences sont énormes.

La Majorité continue à défendre, avec bec et ongles, les prérogatives – énormes – de son Chef (le président de la République), le rôle de l’armée (que l’opposition veut éloigner, coûte que coûte, de la politique et la sécurité de la Présidence. Cette dernière doit-elle être ramenée à la gendarmerie nationale, comme au bon vieux temps, et comme le réclame l’opposition, ou bien faut-il maintenir le BASEP (Bataillon pour la sécurité présidentielle) qui se confond aujourd’hui avec la personnalité de l’actuel président et qui, dans une véritable démocratie, n’a certainement plus aucun rôle à jouer. Sauf si – et c’est un argument de poids entre les mains du pouvoir – la menace terroriste présente à tout instant commande d’avoir des unités d’élite capable de sécuriser la présidence de la République qui est l’un des plus forts symboles de l’Etat et de son Autorité.

Pour le reste, on peut dire que les deux parties en discussion ont tout intérêt à accorder leurs violons pour parvenir à un accord. Personne ne peut contester, en effet, que la bonne gouvernance est une demande nationale, que l’alternance pacifique sur le pouvoir est la meilleure voie pour mettre un coup d’arrêt aux coups d’Etat, pratique  » infamante «  par les temps qui courent et qui a permis à la Mauritanie d’être citer au palmarès des pays où l’on ne peut accéder au pouvoir que par une révolution de palais.

La question des élections municipales et législatives revient, elle aussi, au devant de la scène, avec cet impondérable : Quand, comment et qui ? L’ajournement de l’échéance initialement retenue par le gouvernement était une condition de l’opposition pour venir au dialogue, mais on ne peut pas remettre indéfiniment à plus tard ce qui est une nécessité pour la bonne marche des institutions de la République. Maintenir pour une  » longue durée «  des élus, c’est priver d’autres aspirants à profiter d’une situation politique qui peut leur être profitable. C’est un problème sérieux qui rappelle également que le tiers du Sénat devait être renouvelé, il y a plusieurs mois, et que le gouvernement bute toujours sur cette question du dialogue entre Majorité et Opposition. Avec toutes les ambigüités que cela entraîne ! L’opposition demande le report, le ministère de l’Intérieur affiche une fin de non recevoir puis, finalement, il y a quand même report ! L’opposition indexe l’UPR (qui n’est pas suffisamment préparée pour faire face à des divergences internes) alors que le gouvernement affirme, lui, avoir accepté une requête de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) !

Dans ce jeu au chat et à la souris, il y a de fortes chances que le dialogue en cours déçoive. On n’est même pas assuré que le courant continue à bien passer entre le président Aziz et Messaoud, que l’on dit être le principale artisan de ce dialogue à minima avec le pouvoir. Quand le second demande au premier d’ordonner l’arrêt du recensement en cours, la réponse ne tarde pas à délimiter le champ de  » l’acceptable  » pour le pouvoir. Oui, quand il s’agit de prendre une position qui permet de diviser l’opposition en  » participationniste «  et  » boycotteuse « , avec le confort que cela donne à un gouvernement qui fait face à mille et un problème au quotidien. Non, quand il s’agit de remettre en cause des décisions importantes qui ont été prises par le Raïs lui-même. Demander la suspension de l’enrôlement des populations, l’arrêt de la  » guerre  » contre AQMI (Al Qaeda au Maghreb Islamique) ou le confinement des militaires dans leurs casernes, c’est comme si on demandait à Aziz de remettre en cause tout ce qu’il avait mis en avant, en août 2008, pour destituer le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi !

C’est d’ailleurs pour ces considérations, apparemment sans importance, que le dialogue pourrait ne pas aboutir à autre chose que l’organisation des élections municipales et législatives. Tout ce qui touche à la nature même du pouvoir, à travers les aménagements constitutionnels en place, ne sera revu et corrigé que dans le sens d’une plus grande affirmation du rôle du Raïs. On peut, par contre, accepter que les femmes – ou les jeunes – aient une présence plus fortes au Parlement, que les médias d’Etat soient  » ouverts «  à l’opposition ou que la bonne gouvernance devienne un credo commun à la majorité et à l’opposition, sans que cela sorte du cadre d’une théorie brumeuse et d’une application à géométrie variable. N’est-ce pas ce qu’on entrevoit aujourd’hui avec le cas d’hommes arrêtés puis libérés, dans le cadre de marchandages politiques, et celui d’autres (Ahmed Ould Khattry, Mohamed Lemine Ould Dadde, Cheikh Ould Maouloud, Moulay El Arbi, etc) qui sont maintenus en prison en attendant que  » l’opportunité «  de les libérer se présente !

La même praxis vaut aussi pour ce qu’on appelle communément ici l’exercice de la démocratie. Tout est dans les formes, pas dans les contenus, qui restent attachés à ce que des hommes et femmes ont toujours dit – ou fait – depuis que la Mauritanie a pris son destin en main. La tribu, l’argent et le savoir étaient et restent encore le tercet gagnant que la pratique politique dans le pays. Taya l’avait compris, après avoir voulu créer une sorte de  » révolution «  à la Atatürk. Son retour au Système lui a assuré la tranquillité vingt ans durant avant qu’il ne soit victime d’une énième révolution de palais en Mauritanie. Son tombeur, l’actuel président, suit, lui aussi une démarche similaire en voulant  » réformer  » non pas l’Etat, mais les esprits ! Un effort qui, en deux ans de pouvoir, commence déjà à s’estomper. Et à faire douter sur la capacité d’un dirigeant, aussi décidé soit-il, à amener les hommes politiques mauritaniens à changer.

Sneiba Mohamed

Source  :  L’Authentique le 06/10/2011

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