Le Calame: Le COllectif des REscapés Militaires (COREMI) n’est visiblement pas satisfait du déroulement du règlement du passif humanitaire, notamment du volet qui les concerne. Pouvez-vous nous en dire les raisons?
Sall Abdallah: Le mécontentement du collectif des rescapés militaires (COREMI) ne date pas d’aujourd’hui; il est antérieur à l’exécution du volet actuel du passif humanitaire. En effet, c’est depuis le début du processus – l’indemnisation des ayant-droits des victimes de torture, dans différentes casernes de l’armée – que nous avons dénoncé l’opacité dans laquelle était gérée le dossier. Nous avons pensé que, pour la suite du processus, les erreurs enregistrées n’allaient pas se répéter, hélas, elles se sont, même, aggravées. L’indemnisation des rescapés militaires se déroule actuellement sans nous, COREMI, alors que nous sommes les principaux concernés. Nous sommes marginalisés et c’est d’autres intermédiaires qui parlent en nos noms. Lors du démarrage du COVIRE, dont le rôle se limitait, juste, à accompagner les travaux et doléances des collectifs qui le composent, dont le COREMI, il existait un principe d’accord aux termes duquel chaque collectif devait gérer son propre dossier, c’est-à-dire, y être impliqué. Mais nous sommes au regret de constater, au vu de ce qui se passe, que tout a été fait par-dessus nos têtes, comme lors du traitement du dossier des veuves dont une cinquantaine a été déclarée, par le COVIRE, inéligibles aux indemnisations. Le COREMI a été mis sur la touche, depuis le début du processus. Comme vous le voyez, nous ne pouvons, donc, pas être satisfaits de la manière dont se gère le dossier.
Pour en revenir au volet actuel, nous ignorons jusqu’à la composition de la commission de liquidation. Or, avant d’arriver à cette ultime phase de paiement, le COREMI avait travaillé, au sein d’une commission centrale, pour dresser les états de paiement des rescapés. Un document, bien ficelé par COREMI, fixait les montants d’indemnisation entre 5 et 13 millions, selon les grades et la durée de service. Ce document a été remis au COVIRE pour le transmettre à qui de droit.
Quelques semaines après, une assemblée générale a été convoquée pour un compte-rendu des démarches en cours. Au cours de cette rencontre, il a été rapporté, aux rescapés, que le président de la République – nous le remercions, au passage, pour avoir décidé de trouver avec les intéressés, une solution consensuelle – a déclaré qu’aucune virgule ne serait changée dans notre document et que les responsables de COREMI seraient impliqués dans l’exécution des décisions.
Aussi grande fut notre surprise quand nous avons entendu le ministre de la Défense lire, le 2 juin, un décret qui fixe à 974, le nombre de rescapés concernés et les montants de leurs compensations. Il s’est avéré, plus tard, que le nombre déclaré publiquement par le ministre et envoyé à COVIRE ne comporte que 701 personnes. Nous avons été indignés et outrés, au COREMI, de ce que les noms de dix victimes déjà indemnisées figurent sur cette liste. C’est moralement et religieusement inacceptable, parce qu’ainsi, certains responsables véreux ont sali la mémoire de ceux qui dorment dans les fosses communes, en cherchant à en tirer profit, pour se refaire une santé financière, sur le dos des ayant-droits des victimes. En plus de cette anomalie, 283 noms ont été omis, dans la liste officielle. A cela s’ajoutent 50 veuves dont les maris ont été abattus, comme des lapins, dans la vallée du fleuve Sénégal. Nous n’y comprenons rien. Aussi demandons-nous, avec insistance, l’intervention du président de la République, pour tirer les choses au clair. Je vous signale, à ce propos, que nous avons introduit une demande d’audience, auprès du président de la République, pour lui exposer les faits, car nous ne pouvons pas comprendre que des rescapés, ayant été arrêtés et torturés, par les mêmes auteurs, dont Ely Ould Dah, soient différemment traités, par une commission où nous ne sommes pas représentés; qu’on donne, à certains, des pensions et qu’on en prive d’autres figurant sur la même décision de libération. Nous ne pouvons pas comprendre que des gens déjà indemnisés réapparaissent sur la liste de la commission de liquidation. Il ne s’agit pas, là, d’erreurs mais de fautes graves dont il faut situer les responsabilités. Il faut rappeler que plus de 1.600 rescapés, avec leur dossier respectif de libération, avec, pour seul motif, «mauvaise manière de servir», ont été recensés. On peut citer ceux de la 6e région militaire et d’autres cas isolés, libérés par décisions individuelles.
– Qu’entendez-vous faire pour que les rescapés et les veuves laissées en rade soient rétablis dans leurs droits ?
– La position de COREMI est claire. Nous entendons nous battre pour que l’ensemble des rescapés omis et les 50 veuves soient rétablis dans leurs droits. Personne ne doit rester sur le carreau. C’est l’engagement du président de la République, il doit se concrétiser. Nous espérons le rencontrer rapidement, pour clarifier la situation. Nous allons continuer, aussi, à exiger notre implication, dans la gestion du processus de règlement du passif humanitaire afin de défendre les rescapés, parce que le COVIRE n’a reçu aucun mandat pour parler et signer quoi que soit, au nom des victimes que nous sommes. Sachez que le COREMI représente 80% des membres du bureau de COVIRE. Nous n’acceptons pas que des officiers, qui n’ont jamais rien fait pour défendre les intérêts des rescapés, récupèrent, aujourd’hui, notre cause. Où étaient-ils, pendant que le régime d’Ould Taya pourchassait les Négro-mauritaniens et que les sous-officiers et hommes de troupe, radiés arbitrairement de l’armée, se battaient, à leur risque et péril, pour mettre en place le COREMI? Ont-ils eu le courage, la témérité et la détermination de l’adjudant Lô Moussa Mama qui a été sur tous les fronts, pour défendre la cause des rescapés, alors que le pouvoir d’Ould Taya s’obstinait à tout nier? Certains se la coulaient douce à l’étranger. Curieusement, cet ex-adjudant qui a été à Vienne, à Bruxelles et en Gambie est exclu de la liste des rescapés. C’est incompréhensible.
Je rappelle que, lors d’une audience, le président de la République nous avait laissé entendre, que, pour le règlement de ce dossier, il n’a subi aucune pression, ni de la communauté internationale, encore moins d’un quelconque parti politique; qu’il l’a traité en collaboration avec le COVIRE; qu’à son avis, toutes les victimes ont été indemnisées, exceptés celles qui ne se sont pas présentées, et que, d’après les investigations du COVIRE, les cinquante veuves ne peuvent prétendre à aucune indemnisation. Membre du bureau du COVIRE, je n’ai, pourtant, jamais eu vent de telles investigations. Donc, ces assertions n’engagent que ceux qui les ont tenues. Je dois préciser, à l’intention de l’opinion, que le COREMI n’a jamais, tout au long de son combat, mis en avant le traitement social du dossier, c’est-à-dire, les indemnisations, parce que nous sommes convaincus que l’argent ne rachète pas les morts. Nous nous battons pour recouvrer notre dignité, pour avoir appartenu à l’armée nationale et défendu la Patrie, pour la mise en place d’une justice traditionnelle qui va de la réparation au pardon. Nous nous inscrivons dans la logique du CNDH dont le président Koïta avait déclaré qu’il serait institué une justice transitionnelle, en Mauritanie. COREMI estime que, pour évacuer complètement ce dossier, il faut que le gouvernement aille jusqu’au bout et achève l’œuvre qu’il a entamée. Il faut qu’il abroge le décret de 2005, promulgué par Ely Ould Mohamed Vall, second responsable du génocide, après Ould Taya, car ce décret stipule, en son article 5, que tous les faits antérieurs à 2005 sont amnistiés et que leurs auteurs ne peuvent être poursuivis par la justice. Ce décret inique est toujours en vigueur et nous nous battons pour son abrogation. Je profite de l’occasion pour vous annoncer qu’Initiative Contre l’Impunité (ICI), que nous avons mise sur pied, œuvre à l’institution d’un tribunal spécial, pour juger Ould Taya et Ely Ould Mohamed Vall. Je signale, enfin, que cette initiative, apolitique, entreprend, depuis quelque temps, le recensement des pèlerins volontaires pour le voyage vers Inal, en novembre prochain. Les intéressés peuvent s’inscrire en appelant au 37 30 13 07.
Propos recueillis par Dalay Lam
Source : lecalame.info le 21/09/2011
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