Le 11 Septembre éclipsé par le printemps arabe

Si, en Occident, il est impossible de faire l’impasse sur le traitement médiatique des dix ans des attentats du World Trade Center, les pays arabes n’ont montré qu’un intérêt limité pour l’événement.

 

 

 

Pour eux, l’actualité est ailleurs : l’intifada en Syrie, la traque de Kadhafi en Libye, l’annonce prochaine d’un Etat palestinien avec beaucoup d’inquiétude sur l’attitude future de l’Europe… De partout, les informations sont inquiétantes. Au Caire, sous les ventilateurs paresseux du café Horreya, repère d’intellectuels au cœur de la ville, Ihab fronce les sourcils, incrédule : «Pourquoi tu veux parler du 11 Septembre ?» Cet agent immobilier d’une cinquantaine d’années assure n’avoir lu aucun article ni vu aucune émission sur le sujet. Pourtant, il se souvient bien de l’événement. Il était là, assis sur la même chaise en 2001, devant la télévision du café, sidéré comme tous les autres clients par l’image de ces deux avions qui se sont encastrés dans les tours de Manhattan. Il n’y a pas cru et n’y croit toujours pas. «Une cellule comme Al-Qaeda ne pouvait pas faire un truc pareil. Et puis, les tours se sont effondrées comme du sable ! raconte-t-il, en mimant l’attaque avec ses mains. Bien sûr que c’est un complot ! La CIA a toujours fait ça, avant et après la Seconde Guerre mondiale. Comme ça, Bush a pu partir en guerre contre l’Afghanistan et contre l’Irak. Il avait beaucoup d’intérêts là-bas, le pétrole surtout !»

 

Assommée. Fatma Kamel avait 16 ans, le 11 septembre 2001. Elle a passé la journée devant son petit écran, stupéfaite mais pas bouleversée. Aujourd’hui, c’est à peine si cette étudiante en lettres modernes se rappelle le nom de Mohammed Atta. Un Egyptien de 33 ans qui fut le chef d’opération du 11 Septembre et le pilote du premier avion kamikaze. En apprenant la nouvelle, l’opinion publique égyptienne avait été assommée par cette révélation : l’un de ses fils, issu d’une famille de médecins et étudiant en architecture en Allemagne, était le bras droit de Ben Laden.

Fatma, elle, est moins frappée par le 11 Septembre que par «l’image du monde arabe qui en a découlé» et les guerres qui ont suivi. «J’ai été très touchée par l’invasion en Irak. Bagdad est la capitale culturelle du monde arabe. C’était terrible de la voir bombardée et réduite à l’état de chaos.» Elle n’est pas la seule. En mars 2003, des dizaines de milliers d’Egyptiens sont descendus dans les rues pour témoigner de leur hostilité à Bush et de la complicité de son allié Moubarak. L’Egypte n’avait pas connu de telles manifestations depuis 1977.

Pour Moaaz el-Zoughby, 26 ans, chercheur en relations internationales, la raison de ce désintérêt du monde arabe est évidente : «Le 11 Septembre a surtout été dur pour les Etats-Unis. Ils ont été frappés sur leur sol. Les Egyptiens, en revanche, ont été bien plus marqués par la chute de Saddam Hussein. C’était humiliant de voir un pays souverain, un pays frère, agressé pour des raisons fallacieuses.» Si la majorité des Egyptiens fait montre d’une grande méfiance à l’égard de la politique américaine au Moyen-Orient, elle ne se sent pas pour autant proche de l’idéologie d’Al-Qaeda. «Cette organisation ne bénéficie pas d’une grande popularité», précise Moaaz el-Zoughby. L’annonce, le 2 mai, de la mort de Ben Laden a fait la une des journaux, mais sans passionner les foules. Seule une poignée de manifestants salafistes, brandissant des portraits du chef d’Al-Qaeda, a tenté d’organiser un sit-in devant l’ambassade américaine.

«Un exemple». «Le 11 Septembre paraît très loin aujourd’hui. Surtout après les révolutions arabes. Désormais le monde sait que la vision réductrice « musulman = islamiste = terroriste » ne tient pas. Les jeunes Arabes ont montré qu’ils étaient des acteurs plus puissants, capables de faire bouger les choses, sans être forcément des barbus, poursuit le chercheur. Pour lui, le printemps arabe a mis fin à dix ans d’une vision du monde fondée sur l’opposition entre Orient et Occident. Ces mouvements ont été l’acte de décès symbolique de Ben Laden. Il est mort pour de vrai peu après.»

La nuit tombée, le café Horreya s’anime. De jeunes révolutionnaires discutent des derniers rebondissements du procès de Moubarak, de l’iniquité des tribunaux militaires… Pas un mot sur le 11 Septembre. «Ce qui compte, maintenant, c’est la révolution. Le rapport de forces a changé. Regarde les émeutes en Angleterre. L’Europe veut faire comme nous ! Avant, nous, les Arabes, on nous regardait de haut. Maintenant on peut être un exemple !» s’enflamme Mohamed. Il y aura pourtant du monde, vendredi soir, devant les télévisions. Le prince Faysal al-Turki, qui dirigea les services secrets saoudiens, a promis des informations sensationnelles sur le 11 Septembre lors d’une interview sur Al-Arabiya.

Marion Guenard et Jean-Pierre Perrin

Source  :  Libération le 11/09/2011

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