Que dis-je, un rythme d’escargot atteint de léthargie. Elle va si lentement que je me suis endormie au passage.
Faut dire que, depuis l’annonce grandiloquente faite par notre Seigneur et Maître, je m’étais, bravement et inconsciemment, érigée en guetteur de la chose. Je m’étais plantée, telle une guerba au bord de la route, et je zieutais la caravane «libéralisation des ondes». Résultats: un engourdissement des sens et une propension, irrépressible, à l’assoupissement.
Je m’étais dit que c’était foutu, «gâté» comme disent nos amis ivoiriens – ils y voient peut-être rien, EUX, mais, EUX, ils ont des radios et des télés libres, depuis belle lurette, EUX! – et que nous n’aurions jamais la joie de pouvoir, dès le saut du lit, choisir entre plusieurs stations de radios ou plusieurs TV autres que la pachydermique TVM, télés autres que ces satanées télés satellitaires arabes qui ont envahi nos maisons et qui diffusent, soit de l’info orientée, soit de la musique abrutissante, soit des feuilletons débiles, soit des documentaires sur la ligue 1 qatari – vachement passionnante – soit des documentaires sur le monde animalier, soit des émissions religieuses au kilomètre où de doctes barbus nous expliquent en long, en large et en travers comment on devient bon musulman sauce Saoudi ou Egypte… Et je ne parle pas des télés africaines: journaux TV qui commencent par le sempiternel « Le chef de l’Etat, Mr X., A entamé une tournée à l’intérieur du pays, entouré par tous les membres du gouvernement. Son Excellence a reçu un accueil triomphal…» etc., etc. Et que dire des chaînes européennes ou françaises: en guise de films, sur TV5 Monde par exemple, on a droit à de vieux ringards que même les français ne regardent pas ou plus, qui ne sortent que dans certains cinés de quartiers spécialisés dans la culture «indergraounde», ma chère. On a droit, aussi, au dinosaure «des chiffres et des lettres». Au journal mixé franco-belge – suis vachement passionnée par la politique belge! – et, sur les chaînes cryptées pour qui on doit payer des droits d’abonnements exorbitants, on a droit à la télé-réalité, au foot français, aux Guignols de l’Info. Sur France24, «vitrine et porte-parole du Quai d’Orsay», c’est journal en boucle, rediffusé toutes les 20 minutes, sans qu’un mot ne change et où le credo c’est: la voix officielle de la France. Désespérée, j’ai même regardé la chaîne érythréenne!
Et, parfois encore plus désespérée, je me suis calée sur une chaîne musicale égyptienne et j’étais vachement contente, grâce à elle, de connaître l’heure de Beyrouth! Vous pouvez me poser toutes les questions possibles et inimaginables sur LA chanson arabe «moderne», je suis au top. Faut dire que la Musique arabe dite moderne c’est «je t’aime, je t’ai aimé, tu m’as aimée, tu m’as trahi, je pleure, tu es mon coeur, ne me quitte pas…». Facile. J’ai, parfois aussi, piqué des crises de jalousie, devant toutes ces cantatrices et « cantateurs «au physique de bombe»: blondes, seins siliconés, brushing impeccable, lèvres douteuses de tant de perfect attitude, yeux de chattes, jambes kilométriques, appartements et voitures de luxe. Moi, j’étais en voile, transpirante et suante, quelques – beaucoup! – de kilos en trop, yeux noirs et cheveux idem, arabe qui s’ignore et africaine qui ne s’ignore pas. La ménagère de moins de 50 ans devant sa télé: le cliché dans toute sa splendeur, quoi! J’ai même regardé les télés-achats qui nous viennent des pays du Golfe et j’ai bavé d’envie devant plein de choses. J’ai appris que je pouvais commander des trucs supers, indispensables à ma beauté intérieure et extérieure, des trucs qui se mangent, qui se fixent sur la peau, qui se greffent, qui font transpirer…
J’ai aimé, passionnément, les diverses météos qui me vengeaient des températures: lorsque nous lévitions, à 35°, je raillais ceux, dans les pays du Golfe, qui se tapaient 47°! Bref, tant de cultures, dans une si petite boite…
Pour rompre tant de beauté audiovisuelle il m’arrivait de taper «1». LA touche magique. THE touche. The only one. THE best. Celle qui nous envoie directement sur TVM et Compagnie. J’en ai passé des heures, à regarder défiler nos paysages. Ces rushs sur nos sables mériteraient une étude sociologique: ils sont tous formatés sur le même moule et ont des thèmes récurrents: l’eau, la verdure, les animaux. Parfois un technicien farfelu le fait dans le désordre: la verdure, les animaux, l’eau. Tout notre inconscient de bédouins réuni dans une seule télé! Pendant la sieste, ou après selon vos habitudes, aux heures où personne ne regarde la télé – style 17, 18 heures – émissions en langues régionales où l’on passe des danses soninkés aux musiques pulaars, entrecoupées de journaux-éclairs sur «c’estkoiquisepassedans notrepaysadoré », avec intercalations de sommités villageoises qui chantent les louanges de notre toujours Adoré Seigneur et Maître.
Le in, le must de notre TVM, c’est le Vendredi: émissions religieuses, encore émissions religieuses, commentaires religieux, prière, re-commentaires religieux, concours de récitations du Coran, ligne ouverte entre croyants et spécialistes religieux, avec, en toile de fond, la mosquée de Chinguetty, mosquée première entre toute et éliminant toutes les autres mosquées. Faut dire que nous sommes, apparemment, terre en voie d’islamisation, que nous ne connaissons rien, à cette nouvelle religion, que nous avons besoin de cours et «d’édification», afin d’être de parfaits musulmans.
Bref. La libéralisation arrive. Elle a quitté son port d’attache. Elle navigue lentement. Mais elle navigue. Prions que nos autorités, quand ils lâcheront, enfin, la bride, ne nous raccourcissent pas les libertés que nous sommes en droit d’espérer. Je vous parie combien que le cahier des charges sera si énorme qu’il n’y en aura pas beaucoup, de radios ou de télés qui pourront suivre! Nos Edificateurs/Rectificateurs vont bien nous mettre de la morale à respecter, de l’intégrité territoriale à respecter, des valeurs à respecter, etc. Cela finira par ressembler à… la TVM. Mais ne râlons pas trop, soyons positifs: la caravane avance…
Salut !
Mariem mint DERWICH
Source : lecalame.info le 24/08/2011
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