Famine en Afrique : le monde arabe à la traîne

Les Nations unies ont un message clair à l’adresse du monde arabe : faites preuve de plus de générosité à l’égard des victimes de la famine de la Corne de l’Afrique. « 

 

Pour mobiliser les ressources nécessaires le plus rapidement, il faut se tourner vers les Etats du Golfe. C’est le seul endroit où se trouve l’argent aujourd’hui », expliquait Jeffrey Sachs, conseiller principal du Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, aux membres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

Une situation « catastrophique », selon Ki-moon qui appelle les dirigeants arabes à fournir une aide humanitaire immédiate pour les victimes de la famine en Somalie, en Ethiopie, en Erythrée, à Djibouti et au Kenya. Ki-moon a téléphoné au roi Abdallah d’Arabie Saoudite pour le remercier des 60 millions de dollars octroyés par son pays à la Corne de l’Afrique, via le Programme alimentaire mondial de l’ONU… mais également pour lui réclamer davantage d’aide. Des appels téléphoniques similaires ont été délivrés aux souverains des riches Etats pétroliers du Golfe, notamment au Koweït, au Qatar et aux Emirats arabes unis.

A ce jour, les donateurs des pays non arabes se sont engagés à fournir une aide estimée à
1,1 milliard de dollars, selon le Bureau des Nations unies pour la Coordination des Affaires humanitaires. Si l’Arabie Saoudite constitue le premier fournisseur d’aide humanitaire du monde arabe, les autres pays de la région commencent à peine à mettre à contribution leurs richesses au service des victimes de la pire sécheresse et de la plus grave famine qui a frappé de plein fouet la Corne de L’Afrique en 60 ans.

Les Émirats arabes unis ont dépêché cette semaine une équipe de quatre personnes à Mogadiscio afin de coordonner les fournitures de vivres, d’eau potable et de médicaments. L’émir du Koweït, cheikh Sabah al-Ahmad al-Sabah, a déjà promis 10 millions de dollars à la Somalie, via le Croissant-Rouge. Même le Soudan, pourtant en tête de liste des pays destinataires de l’aide humanitaire internationale avec 1,3 milliard de dollars en 2010, a fait don de 178 000 dollars aux victimes de la sécheresse.

Des promesses de dons insuffisantes

Cependant, de nombreuses voix se sont se sont élevées contre des promesses trop faibles. Pour beaucoup, la mobilisation reste insuffisante. « Intellectuels et dirigeants musulmans et arabes dénoncent régulièrement l’ingérence occidentale dans leurs sociétés. Or, la plupart des organisations humanitaires qui tentent aujourd’hui de sauver des vies somaliennes sont occidentales. Il est temps que les gouvernements et organisations musulmanes et arabes intensifient leurs efforts pour lutter contre cette catastrophe humanitaire », écrit Afshin Molavi, chercheur à la New America Foundation.

L’Organisation de la Coopération islamique (OCI), basée en Arabie Saoudite, est intervenue en Somalie et dans d’autres régions, pour distribuer des vivres. En particulier, depuis que les Shebab, une milice islamiste somalienne, préfère l’aide islamique à celle de l’Occident. Mais la détérioration de la situation est telle que plus tôt ce mois-ci, les Shebab se sont résignés à lever une interdiction de deux ans imposée sur l’aide étrangère.

Avant cette semaine, les bailleurs de fonds arabes n’avaient fait état que d’une petite quantité d’aide humanitaire octroyée à la Corne de l’Afrique, selon Global Humanitarian Assistance (GHA), un groupe britannique de surveillance de dons.

L’Arabie Saoudite constitue le principal donateur, en dehors des pays développés, avec 258 millions de dollars, offerts l’année dernière. Soit une hausse sensible de 82 millions de dollars par rapport à 2009, selon le GHA. A titre comparatif, les Emirats arabes unis ont offert 38 millions de dollars en 2010. « Les pays donateurs arabes, tels que les Émirats arabes unis, se présentent comme des bailleurs de fonds, mais leurs méthodes pour promouvoir leurs aides différent de celles des autres pays non membres du CAD (Ndrl : le Comité de l’aide au développement de l’OCDE) », écrit Kerry Smith dans le dernier rapport sur la Corne de l’Afrique. « Il y a une forte culture de dons dans les pays musulmans. D’ailleurs, environ 2,5 % des salaires vont souvent vers des organismes caritatifs. Cependant, discuter du montant de ces dons ne fait pas partie de leur culture », indique le rapport.

« En 2011, les contributions des donateurs arabes à la crise humanitaire résultant des soulèvements du printemps arabe sont relativement faibles », affirme Smith à The Media Line, ajoutant que seul le Yémen a bénéficié d’une certaine aide.
« Aucune aide humanitaire arabe n’a été signalée à destination de l’Egypte, de la Syrie, de la Libye et du Bahreïn », déplore Smith avant de poursuivre : « Malheureusement, nous ne connaissons pas la véritable étendue de l’aide humanitaire des donateurs arabes, car toutes les contributions ne sont pas répertoriées. »

Des dons de cœur ou d’intérêt ?

L’Arabie Saoudite contribue à hauteur de 80 % aux cotisations du monde arabe avec un total de 2,1 milliards de dollars d’aide, dans la dernière décennie. D’autre part, la hausse des prix du pétrole, conséquence du printemps arabe, a permis d’emplir les caisses de l’Arabie Saoudite et d’autres pays exportateurs de pétrole, et de leur permettre de débloquer des fonds pour leurs alliés. Sur le front intérieur, Riyad s’est engagé à consacrer 125 milliards de dollars à la création d’emplois mais aussi à d’autres projets susceptibles d’apaiser les frustrations du peuple. L’Arabie saoudite a également offert des milliards de dollars à la Jordanie, à l’Egypte et à la Tunisie pour soutenir leurs régimes, en proie à des révoltes populaires sans précédent.

« Les principaux Etats arabes ont octroyé des aides massives à l’Egypte, en proie à de lourdes difficultés sur le plan économique, suite à la révolution. La crise en Somalie, bien plus grave, exige l’attention urgente du monde entier. En particulier du monde arabe et musulman qui se doit de se situer à la pointe du combat », a déclaré Molavi.

Selon Theodore Karasik, directeur de recherche à l’Institut basé à Dubaï pour les questions militaires au Proche-Orient et dans les pays du Golfe, les motivations incitant aux dons relèvent autant d’enjeux géopolitiques pour les pays du Golfe comme l’Arabie Saoudite qu’humanitaires. Les pirates somaliens multiplient les assauts contre des pétroliers en provenance du Golfe. « Le Soudan, comme la Somalie, ont une grande importance pour les pays du CCG (Ndrl : Conseil de Coopération du Golfe). D’une part, en raison de la situation dans le Sud-Soudan, et d’autre part, des problèmes de piraterie en Somalie. Les ressources énergétiques dont disposent les deux pays représentent également un facteur d’intérêt certain. Des éléments qui incitent les pays du Golfe à commencer à envoyer une aide humanitaire à ces deux Etats », souligne Karasik.

Molavi délivre une analyse similaire. « Les pays arabes devraient montrer la voie aux autres pays de la région, notamment en raison des conséquences de l’instabilité de l’Est de l’Afrique sur ses voisins. Et les menaces des pirates en Somalie constituent un exemple phare de cet impact négatif. »

Et de conclure : « Voila une occasion pour la Ligue arabe et l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) de faire preuve de leadership dans une grave crise qui secoue leur voisinage direct, au lieu d’attendre passivement l’intervention honnie de l’Occident et des Nations unies ».

Arieh O’Sullivan

Source  :  Jerusalem Post le 09/08/2011

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