‘’Le processus démocratique a été biaisé, détourné, depuis la première heure’’

Dr. Yacoub Ould Moine, député RFD, n’est plus à présenter. Il est parmi les députés vedettes de la législature qui se termine.

 

 

 

 

Ses interventions, qui dérangent souvent l’exécutif, constituent également une source de satisfaction pour tous ceux qui dédaignent la pensée unique. Un parlementaire, qui aime fouiner dans les grosses affaires. C’est un politique, c’est vrai, mais le matheux, en lui, le rattrape, à chaque fois qu’un ministre se hasarde à parler chiffres.
Dans cette interview, le député nous parle de cette législature, particulièrement mouvementée, du dialogue, de l’exécutif et de ses ratages, du parlementarisme, de Moulaye El Arbi et l’affaire SONIMEX/ BCM…

BILADI : Vous venez de clôturer la dernière session parlementaire ordinaire de votre législature. Une législature, un peu particulière, dit-on. Vous avez assisté à la succession de trois chefs d’Etats, dont deux militaires, et deux présidents, disons, élus ? N’est-ce pas, un peu surréaliste ?

Yacoub Ould Moine : – Absolument ! C’est surréaliste, voire chimérique. Sans vouloir rentrer dans les détails, le processus démocratique a été biaisé, détourné, depuis la première heure. La véritable démocratisation se renvoie toujours aux calendes. Un renvoi qui a engendré tous ces épisodes, autre versant de l’instabilité structurelle de nos institutions. Ce phénomène grave comporte des risques et périls, hypothéquant le devenir de notre pays.

BILADI :- Est-ce que le dialogue qui refait surface ces jours-ci pourrait contribuer, selon vous, à une démocratisation fiable ? Comment vous voyez ce dialogue et quels en sont les fondements ?
Y.O.M : En ma connaissance, on ne peut pas parler de dialogue. Néanmoins, on peut parler de contacts entre le chef de l’Etat et le président de l’Assemblée nationale. Il serait naïf et même risqué d’imaginer l’instauration, dans pareille circonstance, d’un dialogue sérieux capable de produire des réformes consensuelles et ramener le pays à une atmosphère de sérénité et de stabilité. En l’absence d’un esprit positif chez nos gouvernants ; un esprit nouveau qui les oblige à respecter l’autre et à cesser d’instrumentaliser les institutions de l’Etat au profit d’un seul clan, voire d’un seul homme, toute évocation de dialogue demeure une forme absurde de tentative de légitimation du statu quo.

BILADI : Il semble que votre parti, le RFD, exige déjà, comme préalable, une ouverture des médias.
Y.O.M : En effet ! La TVM et la Radio de Mauritanie sont des institutions publiques sous un monopole déplacé. C’est une chose regrettable. Mais, moi, je serais plus exigent. Car, je trouve insensé qu’on ait voté une loi sur la libéralisation de l’espace médiatique et qu’on continue indéfiniment à bloquer, par des tracasseries administratives, genre décret d’application et arrêté de publication au journal officiel…
Revenant à votre question, je tiens à rappeler que cette exigence n’est pas l’unique et elle n’est non plus propre à mon parti ; la Coordination d’Opposition Démocratique (C.O.D, ndlr) exige, entre autres, comme référence les accords de Dakar ainsi que la liberté de manifester.

BILADI : Au terme de la présente législature, quelle appréciation faites-vous de la performance de l’institution parlementaire ?
Y.O .M : Cette expérience me réconforte quelque part dans l’idée que le parlementarisme est le rempart devant la tyrannie et le despotisme. D’autant plus qu’il est en parfaite harmonie avec le principe de la Choura ; principe bien ancré dans notre conscience collective. La plus belle chose dans le parlementarisme réside dans le fait qu’un homme qui dit vrai, constitue, à lui seul, une majorité. C’est vrai que notre exécutif n’a pas été, hélas, au niveau.

BILADI : Vous pouvez nous fournir un exemple, ou deux ?
Y.O.M : Je pourrais vous en fournir plusieurs.  Deux collègues ont interpellé le Premier ministre qui ne s’est jamais présenté devant l’Assemblée Nationale. Il ne se considère pas, pour des raisons personnelles, peut-être, responsable devant l’institution parlementaire. J’ai convoqué, moi-même, en faveur d’une enquête parlementaire, des hauts fonctionnaires qui ont refusé de se présenter devant la commission parlementaire, sans mesurer les poursuites judiciaires qui en découlent. Cet acte est un outrage à la Constitution qui nous donne un pouvoir de contrôle sur l’exécutif. Grave encore, si l’on sait que ce refus dissimule une volonté évidente d’occulter la vérité autour du dossier de la SONIMEX/ BCM ?

BILADI : Justement, on a beaucoup dit sur ce dossier ! Y’a-t-il, en vrai, une vérité sur ce cette affaire ?
Y.O.M : C’est une affaire claire. Tout simplement, une instrumentalisation de la justice contre un individu. Un homme debout qui a refusé, quand d’autres se sont aplatis, de trahir sa conscience et de brader les biens de la société. Ce qui lui a créé des inimités avec des, soi-disant, gros bonnets. Il paie de sa liberté et se retrouve iniquement incarcéré.
C’est une affaire gravissime, une injustice criante. Le cas Moulaye El Arbi rappelle un peu ces affaires séculaires qui ternissent, pour longtemps, l’image d’une nation entière. C’est une affaire qui convoque le cas Dreyfus et le redit mystérieusement dans nos contrées. Elle est tout comme. On assiste à une mobilisation de la République ; de son président, de sa police, de sa justice, de sa presse, et j’en passe, contre un simple citoyen, dont l’intégrité est prouvée par les différents documents de passation ainsi que les enquêtes sérieuses de la banque centrale, le ministère du commerce, l’Inspection Générale de l’Etat et les conclusions de deux commissaires aux comptes et un prestigieux bureau d’audit international.

BILADI : Pourtant, le rapport de Gaudino attribue à Moulaye El Arbi arnaque et complicité, favorisant une banque privée au détriment de la BCM.
Y.O.M : Il faut être sot pour prendre au sérieux ce personnage. Je souligne que ce Monsieur de Gaudino n’est pas un auditeur, son nom ne figure sur aucun ordre d’experts comptables. En réalité, il dirige un sombre bureau de détective privé, spécialisé dans l’intelligence économique. C’est un peu le genre qu’on recrute pour des sales besognes : prouver l’adultère d’un conjoint dérangeant, colporter quelques potins à l’encontre d’un adversaire…etc. Dans son site web : http://www.cgiesa.com/, il propose à ses clients ‘’les moyens de mettre en place une stratégie défensive, offensive et une voie de négociation.’’ On peut dire de prime à abord que Monsieur de Gaudino se (com)plait à merveilles à tout et à son contraire.
Le prendre au sérieux, et feindre ignorer tous les autres, relève d’un complexe d’infériorité doublé d’un désir ardent de nuire à un innocent. Il y a lieu de signaler que les experts, les vrais, ceux qui ont examiné ce dossier dépassent de loin le niveau académique et professionnel de ce personnage. Parmi eux, des experts sortants de prestigieuses universités françaises que Monsieur de Gaudino n’ose espérer s’y inscrire, lui, qui a suivi une formation sommaire en cours du soir.
Dire que Moulaye El Arbi ait favorisé Ould Noueiguedh, sans le prouver, renvoie à l’esprit qui commande généralement le manichéisme mafiosi. J’aimerais révéler, ici, pour l’histoire que Moulaye El Arbi a refusé d’acheter un stock de riz altéré auprès de Ould Noueiguedh ; et ce malgré les instructions insistantes des autorités d’alors. Ce qui n’a pas empêché le commissariat à la sécurité alimentaire de racheter ce même riz et payer l’intégralité de la facture aux établissements Noueiguedh avant même la livraison effective.

BILADI : Reprenons une question latente dans cette affaire. Où sont passés les cinquante millions de dollars qui représentent tout de même le quart des réserves de la banque centrale ?
Y.O.M : Il est utile de rappeler ici que ce montant des fameux cinquante millions de dollars, soit 11.598.220.361, 38 ouguiyas, a été  mis, à la disposition de la SONIMEX, par la BCM, sous forme de lettre de crédit pour importer des produits alimentaires, dans le cadre du PSI., Dans son rapport, Gaudino se livre à l’amalgame, en mettant tout sur le dos de Moulaye El Arbi. Or, Moulaye n’a engagé que le montant de 9.048.139.449, 38 ouguiyas. Au jour de son limogeage, Moulaye a déjà réceptionné la valeur de 6.6 milliards d’ouguiyas, dont il a vendu pour le montant de 4.9 milliard d’ouguiyas ; et il n’a encaissé que 599.718.000 d’ouguiyas. Pour honorer son engagement vis-à-vis de la BCM et afin d’éviter de devoir faire supporter à la SONIMEX le frais de retard, il a ordonné le paiement de la première tranche par le chèque de trésor numéro 034575, d’un montant de 1.884.894.363 d’ouguiyas.
Je reviens à la méthode Gaudino qui a sciemment occulté de faire mention de ce paiement. Cela se comprend bien, car Gaudino a construit toute son intelligence, dans ce dossier, dans le but de nuire à une personne et non de rétablir la vérité.
Selon les conclusions du rapport  intitulé Mission d’Audit Diagnostic des Importations financées par la BCM, on peut énumérer les données suivantes :
–    La BCM a bien continué à financer la SONIMEX, jusqu’à 2.550.080.912 ouguiyas, après le départ de Moulaye El Arbi. Ce qui prouve qu’il a laissé la SONIMEX dans une situation de solvabilité avérée.
–    Ce même rapport indique que la SONIMEX, pendant les quatorze mois, qui ont suivi le départ de Moulaye El Arbi, a dépensé 5.1 milliards d’ouguiyas, dans les charges de fonctionnement, dont 3.7 milliards soutirés sur les ventes des produits BCM. Rappelons que le fonctionnement, sur une année de  Moulaye El Arbi, ne dépasse 693 millions d’ouguiyas. Et, comme il a été limogé, en octobre, il n’a dépensé que 579 millions d’ouguiyas.
–    Le même rapport rapporte ceci :’’ Ces recettes ( les recettes de vente des produits BCM, ndlr rapport) ont servi également à l’ouverture de nouvelles lettres de crédits sur les banques primaires pour l’importation du riz et du blé, en 2009 ( après le départ de Moulaye El Arbi, limogé le 26 octobre 2008). Ces  importations qui ont concerné 22 mille tonnes de blé ( BCI), 5 mille tonnes de riz (BCI), 20 mille tonnes de riz (BNM) ont dégagé une perte totale de 3,3 milliards d’ouguiyas.’’
–    Le même rapport parle de créances sur l’Etat de l’ordre de 2.4 milliards d’ouguiyas
–    Le rapport fait état d’une quantité de stock de la valeur de 2.4 milliards d’ouguiyas
Une simple opération arithmétique d’addition nous ramène à une enveloppe de 11.8 milliards d’ouguiyas. Ce montant englobe les fameux cinquante millions de dollars de la BCM.
D’autres rapports, dont celui du cabinet international AE2L ainsi que le rapport annuel du commissaire aux comptes et les procès verbaux de passation de service, attestent la véracité des données ci-dessus.
Cette affaire est une injustice flagrante. J’ai déjà demandé aux collectifs d’avocats de Moulaye El Arbi de porter plainte contre la tromperie de Gaudino, devant une juridiction française. Hélas, j’ai tendance, pendant les temps qui courent, à croire beaucoup plus à une justice d’un pays étranger, qu’à celle de mon étrange pays.

BILADI : Dans son discours, prononcé devant les populations de Kiffa, lors de sa récente visite en Assaba, le président de la République a rappelé que la lutte contre la corruption est irréversible.
Y.O. M : Cette lutte manque de sincérité, de rectitude. Elle fonctionne, malheureusement, en deux temps, deux poids deux mesures. Des personnes sont arrêtées, sans preuves, comme l’est Ahmed Ould Khattry. D’autres arrêtées suite à des mises en demeures, tandis que d’autres qui ont sur le dos des mises en demeure, aussi bien de l’IGE que de la cour des comptes, occupent des grandes fonctions, incluses celles de contrôle de la finance publique. Je l’ai déjà dit, je le répète, une lutte contre la corruption doit se faire d’une manière institutionnelle et impersonnelle.

Propos recueillis par AVM

Source  :  RMIBiladi le 31/07/2011

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