Lô Gourmo : l’armée est en guerre sans l’aval du parlement (interview)

L’attachement de l’opposition mauritanienne aux accords de Dakar « n’est pas un attachement de type fétichiste ni de l’art » selon Lô Gourmo Abdoul, dirigeant de l’UFP.

 

 

 

Pour l’opposition il s’agit de « la crédibilité des hommes et des forces politiques lorsqu’ils prennent des engagements » a affirmé Lô Gourmou dans une interview accordée à Alakhbr.

« Maintenant, on peut actualiser cet engagement-là. Le pôle présidentiel peut, par exemple, dire que les accords de Dakar nous l’avons signé, nous y tenons comme vous, mais des points de ces accords sont dépassés, tel ou tel point nous préférons de les mettre de côté. Là, nous allons discuter. Mais l’accord, en lui-même, on ne peut pas l’écarter » a-t-il ajouté.

En réponse à une question relative au recensement, Lô Gourmo a critiqué « les conditions dans lesquelles ont été formées les fameuses commissions qui officient pour déterminer qui est mauritanien et qui ne l’est pas ». Il a souligné « la disproportionalité dans la représentation des un est des autres (qui) provoque un climat de suspicion défavorable à l’unité nationale ».

Lô Gourmo, un professeur de droit, a particulièrement critiqué « la loi contre la terrorisme ». « Les députés de l’opposition, même d’autres de la majorité et des démocrates simples ont mis en garde contre les dangers que représente une loi dont l’application peut se retrouver contre tout le monde; parce qu’on ne sait pas qui est terroriste » a-t-il affirmé.

L’intégralité de l’interview:

 

Alakhbar: Dans quel cadre constitutionnel pourrait-on placer le dialogue politique?
Lô Gourmo: On peut le poser simplement dans le cadre constitutionnel du pouvoir dont dispose le président de la République de créer les conditions d’un fonctionnement normal de la vie politique du pays, c’est-à-dire, la stabilité des institutions, les relations entre les formations politiques et la création d’un climat favorable à l’application des règles de la démocratie. Donc en fait, le dialogue est, constitutionnellement, une donnée primordiale en ce sens que c’est la constitution qui détermine le contexte d’ensemble de la vie politique et institutionnelle.

Alakhbar : Les conclusions d’un tel dialogue auront-elles une force juridique?
Lô Gourmo: C’est dans un contexte de règlement d’une crise institutionnelle et constitutionnelle d’une extrêmes gravité à la suite d’un coup d’état, qu’un dialogue a été pris en charge et par la communauté internationale et par les forces politiques, et été incorporé comme élément de règlement de cette crise. Or, la démarche qui a été finalement suivie a été de créer ce qu’on a appelé les accords de Dakar, qui, sur le plan juridique, peuvent être considérés comme des accords ayant une valeur constitutionnelle et une force juridique. On va donc rattacher ce dialogue (à démarrer) au processus de règlement de la crise antérieure dans la quelle les partis s’étaient engagés de poursuivre le dialogue au-delà des élections qui devraient avoir lieu. La force constitutionnelle du dialogue à démarrer est donc très évidente. Mais je pense que ce qui leur donnera une force juridique plus évidente, c’est que une fois que les partis en question: le pôle présidentiel et le pôle de l’opposition, auront convenu de quelque chose et seraient tombées d’accord, il est évident qu’il y va y avoir des conséquences constitutionnelle qui vont en résulter.

Alakhbar: Vous rappelez l’accord de Dakar. Pourquoi l’opposition tient toujours à cet accord?
Lô Gourmo: L’opposition tient à ce que les signatures soient honorées. C’est une question de bon sens, je dirais même de l’hygiène politique; quand quelqu’un signe un accord, il doit le respecter, même si cet accord, en lui-même, n’apporte rien de nouveau sur le contenu par rapport à ce qui est convenu comme devant être débattu: la fameuse feuille de route. Ceci dit, l’attachement de l’opposition aux accords de Dakar n’est pas un attachement de type fétichiste ni de l’art. C’est parce que tout simplement il en va de la crédibilité des hommes et des forces politiques lorsqu’ils prennent des engagements. Maintenant, on peut actualiser cet engagement-là. Le pôle présidentiel peut, par exemple, dire que les accords de Dakar nous l’avons signé, nous y tenons comme vous, mais des points de ces accords ou tel et tel points sont dépassés, tel point et tel point nous préférons de les mettre de côté. Là, nous allons discuter. Mais l’accord, en lui-même, on ne peut pas l’écarter.

Alakhbar: Y aurait-il vide juridique si les législatives sont reportées, comme le craint le Chef de l’Etat?
Lô Gourmo: Le Chef de l’Etat a déjà reporté les élections sénatoriales; lui-même se répond en quelque sorte. Il les a reportées, d’ailleurs, de manière unilatérale, même si l’opposition avait dit que ces élections ne devraient pas avoir lieu. Je vous signale d’ailleurs qu’il a déjà fixé un échéancier pour encore de nouvelles élections sénatoriales toujours de manière unilatérale. Ceci dit, le droit est très important, mais le droit est important pour encadrer les activités humaines et pour leur donner des conditions de leur mise en œuvre. Si les parties concernées estiment qu’aujourd’hui les conditions ne sont pas remplies, ou que cela est nécessaire de reporter pour pouvoir trouver un accord entre eux, la constitution le permet. Il n’y a pas de vide juridique. Il n’y a jamais de vide juridique dans ce genre de questions dès lors que les parties sont d’accord. Il y a un vide juridique lorsqu’une partie décide unilatéralement par rapport à l’autre. En effet, il y a là un vide juridique, mais l’échéancier électoral, lui-même, ne peut être un vide juridique. Je vous signale que le plus grand des vides juridiques c’est un coup d’état. Il y a eu un coup d’état. On en est sorti comment? On en est sorti par des procédures qui ne sont pas dans la constitution mauritanienne; puisque c’est avec l’accord de Dakar qu’on est sorti de cette situation. Donc le droit dans ce pays ne doit être instrumentalité ou utilisé selon les circonstances.

Alakhbar: Est-il nécessaire d’apporter de réformes à notre constitution?
Lô Gourmo: Notre problème, comme la plupart des pays africains qui se sont fortement inspirés de la constitution français, c’est qu’ils ont amené une constitution très disproportionnée; qui est à l’appel permanent aux coups d’Etat: c’est une constitution qui donne l’essentiel du pouvoir à un seul homme, le président de la république, chef de l’exécutif, qui finit par incarner l’ensemble du système et même à être le système. Il devient l’homme système. Tout l’Etat c’est lui. Alors cela signifie quoi? Cela signifie que les instances de représentation démocratique, tel que le parlement, seront là uniquement pour accompagner l’action du chef de l’état. Ça veut dire que la justice, qui est si fondamentale aujourd’hui pour la vie de chacun d’entre nous, devient en vérité être un instrument entre les mains de ce même chef de l’état. C’est le système qui est comme ça depuis pratiquement les réformes de Moctar. Mais le système s’est aggravé avec l’arrivé des militaires au pouvoir; parce qu’eux, ils sont venus aussi avec leurs traditions avec leur culture militaire et les « siwilaats » (civile) sont, par force des choses, hors du système. Ils ont donné à ce système, déjà très personnel, un caché militaire. Donc, ce qu’il faut voir dans ce pays c’est le rapport entre les institutions; il faut revoir le système institutionnel dans la constitution. Si on ne réforme pas la constitution mauritanienne, on va revenir, tout le temps, au sujet de coups d’état, entre autres. Il faut revoir le système de fonctionnement de la vie politique, le rôle des partis politiques, par exemple, doit être dans la constitution mieux redéfini. L’exercice des libertés doit être revu de fond en comble. La vie nationale et sociale, c’est-à-dire les rapports entre les communautés, le droit de chacune de nos commutées, les exigences qui découlent de leur vie communautaire, tout ce là doit être revu.
 
Alakhbar: Certains réclament d’ailleurs plus d’équité dans le partage du pouvoir et des richesses du pays.
Lô Gourmo: Nous ne pouvons pas voir ça simplement sous cet aspect; on doit le voir sous l’aspect d’une meilleure respiration de la vie politique et institutionnelle. Le principe de base, c’est le principe de l’égalité entre les individus, mais, en même temps, il y a des droits culturels allant dans l’ensemble des composantes nationales. On doit admettre que dans le pays il y a, en effet, à résoudre le problème de la mise en œuvre des spécificités culturelles de chacune des composantes (sociales). Il est clair que la manière dont on pose aujourd’hui entre langue officielle et langues nationale c’est un piège. Que qu’est ce qu’une langue nationale a côté d’une langue officielle? Qu’est ce qu’une langue officielle à côté d’une langue nationale? Il y a une pagaille constitutionnelle organisée autour de ça qui provoque les crises permanentes dans l’éducation et dans l’enseignement, et qui provoque même aujourd’hui une crise de confiance entre les communautés nationales du pays et l’Etat. On ne sait pas ce dont chacun à droit par rapport à sa participation dans la vie nationale. Vous avez vu cette histoire de recensement, vous avez vu les conditions dans lesquelles ont été formées les fameuses commissions qui officient pour déterminer qui est mauritanien et qui ne l’est pas. Et puis, disproportionalité dans la représentation des un est des autres provoque un climat de suspicion défavorable à l’unité nationale.

Alakhbar: Pourquoi d’autres dénoncent la convention de pêche entre la Mauritanie et les chinois?
Sur le plan économique, je ne sais pas si on peut poser cette question en terme de constitutionalité; parce que ce sont des accords qui ont été conclus avec une entreprise étrangère et l’entreprise en question est une entreprise de droit privé, ce n’est pas l’état chinois. Mais si ce contrat compromet la ressource nationale et met en danger de manière significative cette ressource fondamentale et stratégique qu’est la ressource halieutique, de ce point de vue là, il y est quelque chose qui peut être considérer comme portant atteinte à la souveraineté du pays. C’est là où il y a attachement avec la constitution qui en effet garantie la souveraineté nationale sur nos ressource. Si donc une convention, un contrat ou quelques accords que se soient est de nature à mettre directement en danger cette ressource-là, on peut considérer que ce contrat est contraire à la souveraineté économique.
 
Alakhbar: Il y a encore ceux qui dénoncent la loi antiterroriste
Lô Gourmo: Il est évident que beaucoup des ses aspect remettent en cause les libertés tel que la constitution mauritanienne les garantie, et même d’ailleurs parfois de manière grossière. On va jusqu’à permettre voire autoriser à ce que des enfants puissent être arrêtés d’une manière contraire à la procédure régulière. On va jusqu’à permettre au Procureur de la république qui représente l’exécutif, de mettre en cause des personnes accusées de terrorisme. C’est-à-dire, qu’en réalité, l’Etat apparaît comme juge et partie. Les avocats n’interviennent dans le système pratique pour assurer la défense des gens que bien plus tard lors que, éventuellement, on aura obtenu des informations, par des procédures qu’l’on connaît d’ailleurs, ça peut être la torture ou d’autre manière des pressions psychologiques.

Outre, l’application des mesures dites antiterroristes actuellement débouchent vers une véritable guerre contre la liberté. On l’a dit au parlement. Les députés de l’opposition, même d’autres de la majorité et des démocrates simples ont mis en avant les dangers que représente une loi dont l’application peut se retrouver contre tout le monde; parce qu’on ne sait pas qui est terroriste, et ça peut compromettre la sécurité des gens.

Alakhbar: Que dites des opérations que mène l’armée nationale dans le nord malien?
Lô Gourmo: la constitution dit que la déclaration de guerre et sa poursuite jusqu’à la fin relève de la compétence souveraine de l’Assemblée nationale. Le président de la République, il fait face à une urgence, mais ne peut pas déclencher une guerre. Ce qui est en train de se passer c’est une véritable guerre contre ce qu’on appelle le terrorisme. Des opérations militaires proprement en offensive sur un territoire étranger directement et immédiatement. On est bien dans une posture de guerre. Evidemment, ça ne remet pas en cause le principe opérationnel de la lutte contre le terrorisme. Il est, cependant, du devoir impératif de l’Etat d’être dans son ensemble informé de ce qui est en train de se passer. Il est essentiel que le parlement soit convoqué d’une manière extraordinaire. Il le faut une session extraordinaire pour expliquer à la représentation nationale, voilà ce dont il s’agit, voilà ce que nous avons décidé de faire, et de demander aux députés d’en débattre. Une fois on a débattu, on est bien d’accord que ce qui est en train de se faire se fait dans le cadre de la défense de la souveraineté nationale, et que ce n’est pas du tout entrepris dans quel complexe international pour rendre service à un autre pays. Si tout cela est clair, en ce moment là, on mène la guerre.

Alakhbar: Quelle est la position de l’UFP par rapport au dialogue qui devrait démarrer?
Lô Gourmo: pour l’UFP, nous sommes pour le dialogue. L’option de dialogue est une vision d’ensemble, une vision stratégique. Ceci dit, le dialogue doit être une affaire sérieuse. Ça ne doit pas être une ligne de manœuvre tactique, de manœuvre politique ou une sorte de chiffon que l’on mixite dans le regard des gens en laissant croire qu’on est en train de discuter, alors que rien ne se fait. Cette option du dialogue est une fausse option qui décrédibilise le dialogue aux yeux de l’opinion et décrédibilise toute la classe politique qui va être considérée comme de véritables moulins à parole. Non seulement nous sommes prêts mais nous sommes parmi ce qui animons le processus du dialogue. Mais, encore, ce dialogue doit être entrepris dans les cadres qui soient claire et nets et qui ne sont pas du tout simplement de la poudre aux yeux.

Si les conditions du dialogue ne sont pas réunis, nous nous y irons pas; parce qu’on va aller au mur. On va décevoir le peuple et finalement aller à l’encontre du dialogue. Quand on fait semblant d’aller en dialogue, on tue le dialogue. Le dialogue ne peut se réaliser que quand il est pris en mains par les parties décidées à y aller. Le préalable du dialogue c’est le dialogue lui-même et s’assoir de manière responsable, parce que ce dont il s’agit c’est de la vie du pays.

Source  :  Al Akhbar le 24/07/2011

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