Les Algériennes se refont une virginité

We will stay forever, by muslim page via Flickr CCEn Algérie, les futures jeunes mariées sont de plus en plus nombreuses à se faire recoudre l’hymen, un business juteux pour les médecins mais aussi les escrocs du secteur.

Des klaxons ininterrompus trouent le silence relatif d’une ville déjà en vacances. Non, ce n’est pas un classique problème d’embouteillage dû à l’infernale circulation d’Alger, ville étriquée autant géographiquement —car bâtie sur un escarpement— que moralement —car construite sur de la fausse pudeur.

Une caméra surgit du toit d’une des voitures, et des youyous, cris féminins qui marquent la joie autant que le deuil, fusent des autres véhicules. C’est l’un des nombreux cortèges de mariage qui passent, réveillant la ville endormie par la chaleur. Dans la voiture de tête, une femme, émue et paralysée par l’émotion est voilée de blanc et attend son sort; c’est la jeune mariée. Elle se dirige vers la salle des fêtes, où le mariage aura lieu, très méditerranéen, avec foule d’invités, gâteaux, méchouis et parades avec diverses tenues vestimentaires. La suite est connue: nuit de noces, puis réveil dans un nouveau statut, celui de femme mariée.

Tout est réglé jusqu’au moindre détail, et pourtant, ce n’est pas aussi simple. Depuis quelques années, les hommes sont de plus en plus nombreux à exiger la virginité de leur épouse. Quand ils ne le font pas, ce sont leurs parents qui demandent un certificat de virginité à leur future belle-fille, étant dans l’impossibilité de vérifier par eux-mêmes. «On est plus modernes, explique en souriant un jeune marié, avant, on devait sortir les vêtements tâchés de sang de la femme sitôt l’acte accompli.»

Cette pratique a disparu mais les blocages restent tenaces. Heureusement, la médecine est là, pour soulager la souffrance des femmes.

Haute-couture ou prêt-à-porter

L’hyménoplastie, acte chirurgical qui consiste à recoudre l’hymen avec les muqueuses vaginales est une pratique illégale, sauf en cas de viol, mais courante. Plusieurs forums sur Internet en parlent ouvertement et les nombreux cabinets de chirurgie plastique qui ont éclos à Alger le font souvent, même s’ils le nient officiellement car ils risquent la prison, tout comme les quelques avorteurs qui opèrent dans la clandestinité mais qui eux, risquent des peines beaucoup plus lourdes et une radiation à vie du corps médical. Certains hôpitaux publics pratiquent aussi l’hyménoplastie et il suffit généralement de connaître un médecin et de le convaincre que c’est une question de vie ou de mort —ce qui est d’ailleurs parfois réellement le cas.

L’opération, qui dure moins d’une heure, coûte entre 100 et 500 euros, et, selon la qualité de l’intervention, la membrane reconstituée ne tient pas longtemps; quelques heures voire quelques jours avant la pénétration. Le docteur Osmane*, l’un des pionniers de la chirurgie plastique à Alger avertit les femmes des risques et complications liés à cette opération souvent faite par des amateurs ou des rebouteux dans la clandestinité.

«En général», explique-t-il, l’opération mal faite «consiste à faire des points de catgut sur les reliquats hyménaux pour recoudre l’hymen la veille de la nuit de noces.» Cette technique «ne répond pas aux principes de la chirurgie», ajoute le plasticien, «et elle est souvent vouée à l’échec».

Même son de cloche chez cet autre professionnel:

«L’hyménoplastie, ici comme dans le monde entier», explique le docteur Sadji, chirurgien plastique qui reçoit des dizaines de clientes désespérées chaque semaine en ce moment, «est une véritable opération de chirurgie qui doit être effectuée par un chirurgien qualifié, dans des conditions spécifiques d’hygiène et de sécurité, dans un bloc chirurgical.»

En dehors du risque médical pur (infection ou hémorragie), les complications sont souvent liées la membrane qui se déchire sur un simple faux mouvement ou pire, à ces fils qui ne se résorbent pas assez vite et qui sautent aux yeux du jeune marié trop regardant. La complication n’est plus médicale mais devient juridique. En général, l’affaire se termine en divorce sur le délit de «tromperie sur la marchandise».

La virginité pour toutes les bourses

Tout le monde ne connaît pas de médecin et chacune n’a pas forcément les moyens de se payer ce genre d’opération. Souvent aussi, par pudeur, les femmes préfèrent ne pas recourir à cette manœuvre «humiliante», là où un faux acte de virginité peut suffire.

Pour 50-100 euros, on peut s’en procurer un auprès des nombreux faussaires installés dans le secteur dès l’approche de l’été, ou directement chez certains gynécologues, tolérants et compréhensifs, ou simplement attirés par l’appât du gain facile. La pratique est devenue tellement courante que d’après le quotidien Echorouk, une enquête vient d’ailleurs d’être ouverte par les services de sécurité sur le sujet, liée aux cas de plus en plus nombreux de demandes de divorce sur constat de non virginité (avec faux certificat).

Pour les plus pauvres des pauvres et celles qui n’ont aucunement l’envie de passer par un médecin ou un faussaire, heureusement, la nature est bien faite et les hymens ne sont pas les mêmes. Fins, solides, saignants ou bien cuits, il y a autant d’hymens que de femmes et les hommes savent que tout n’est pas standardisé dans l’anatomie féminine.

«On s’entaille l’anus avec une lame», explique Sarah, une jeune femme qui a eu recours à ce procédé. «Avec la pression de la pénétration, ça saigne et l’homme n’y voit rien, il préfère d’ailleurs ne pas trop voir cette partie de notre corps.»

Mariée depuis quelques mois, elle explique que l’on «peut aussi se couper le doigt et se toucher au bon moment». Les risques sont différents, «il faut être discrète et aimante, ou alors paniquée et incohérente». Il y a bien sûr d’autres méthodes non chirurgicales et non bureaucratiques, la plus courante étant d’attendre le moment de ses règles pour convenir du premier rapport sur le mode «non chéri, je ne suis pas encore prête». Là aussi, il faut avoir affaire à un homme inexpérimenté.

L’hymen est-il sacré? Pas vraiment, mais il faut faire semblant, explique encore Sarah:

«Il y a ce plaisir d’offrir mais aussi le fait qu’il n’est pas simplement question de virginité, donc de passé, mais aussi de futur. Une femme qui n’est pas vierge au mariage peut être potentiellement tentée par d’autres aventures après le mariage.»

L’hymen est donc une garantie de mariage heureux. Qu’en pensent les femmes? Toutes ne sont pas évidemment pas d’accord avec cette exigence d’un autre âge. «Si mon fiancé me demande ça», explique une future mariée, je le quitte.» Et s’il ne demande pas? Elle sourit, «je lui ferais quand même croire qu’il est le premier, même si ça ne se voit pas. L’amour est aveugle.»

Chawki Amari

* Le nom des chirurgiens plasticiens ont été changés

Source: Slateafrique

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page