Un expert français sur le trafic de drogue au Sahel : « 

« Des hommes d’Etat, hauts gradés et proches de présidents impliqués ».

 

 

 

 

Alain Antil, chercheur et spécialiste de l’Afrique subsaharienne à l’Institut français des relations internationales (Ifri) nous livre son analyse sur la trafic de drogue en Afrique de l’Ouest.                                                                                
La zone du Sahel est devenue depuis quelques années maintenant la plaque tournante du trafic de drogue en provenance de l’Amérique latine. Qu’est-ce qui explique cela ?

 Le Sahel est un vaste espace dont le contrôle effectif échappe souvent aux pays de la zone. Les narcotrafiquants profitent donc de cette faiblesse pour transiter leurs produits. Avant 2005, les saisies annuelles de cocaïne avoisinaient la tonne dans toute l’Afrique mais depuis, ce trafic a pris une tournure galopante avec notamment 46 tonnes de saisies entre 2005 et 2008 à destination de l’Europe. Aujourd’hui, pas moins de 50 tonnes de cocaïne transitent tous les ans par ce canal, soit un tiers de la consommation annuelle en Europe.

Quels sont les pays les plus touchés par ce trafic?                                                

 

Il y a la Mauritanie, la Guinée-Bissau, le Mali, la Guinée, le Ghana et le Nigeria qui sont les plus touchés.                                                                                            

Qui sont les acteurs du trafic de drogue en Afrique de l’Ouest?             

 

Beaucoup d’acteurs de nature différente participent à ce crime. Il y a les cartels colombiens, la mafia italienne Cosa nostra et certaines organisations criminelles du Nigeria et du Ghana. Cependant, on a remarqué ces trois dernières années qu’il y a aussi des mafias locales qui voient le jour notamment dans les pays où l’autorité de l’État est faible.                                      

On note également l’implication d’hommes d’État, de hauts gradés de l’armée et des proches de certains présidents que je ne peux citer pour des raisons de sécurité. Il est important de souligner que la diaspora des pays concernés, notamment le Mali et aussi le Cap vert, joue un rôle accru dans ce trafic. C’est donc un phénomène qui gangrène actuellement cette région.                                                                                  

Existe-t-il un lien entre ce trafic et le terrorisme qui sévit dans la région ?       

 

Oui, il y a bien sûr un lien, Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique, ndlr) est impliquée. Une part de ce trafic alimente le budget du groupe terroriste. Mais à une différence près, Aqmi ne vend pas officiellement de la drogue mais assure la protection de la marchandise dans la zone du Sahel contre de fortes sommes d’argent pour financer son mouvement dans la région.                                                                        

Quel est son impact sur la zone du Sahel?                                                                

 

Dans les pays sahéliens en particulier, ce trafic représente une menace pour la paix et par conséquent une source de déstabilisation, de conflit et de crimes organisés. Et le conflit libyen vient encore aggraver la situation car des armes de tout genre circulent librement dans la région aujourd’hui. C’est un trafic qui crée un véritable problème de sécurité nationale aux pays concernés. De même, il détruit l’économie de ces pays déjà pauvres.                                                    

Que faire pour lutter efficacement contre ce crime ?                                  

 

Les pays concernés doivent unir leurs efforts pour renforcer le contrôle de la région du Sahel.            Actuellement, il y a des coopérations entre eux mais il faudrait que cela soit sérieux et bien suivi. C’est vrai que les États-Unis et l’Europe proposent aussi des aides dans ce sens mais il est primordial que les États concernés prennent conscience du danger lié à ce crime en vue d’une lutte musclée. 

Roland Somani Amoussou

Source  :  Le Républicain via MaliWeb le 06/07/2011

Alain Antil est chercheur et responsable du programme Afrique subsaharienne à l’IFRI. Il enseigne à l’Institut d’Etudes Politiques de Lille et à l’Institut Supérieur Technique Outre-Mer (ISTOM). Par le passé, il a été chercheur associé au Laboratoire d’Etude du Développement des Régions Arides, chercheur associé à l’IRIS, collaborateur d’International Crisis Group, contributeur régulier de la revue Sciences Humaines. Il a enseigné à l’université de Rouen et l’université Versailles Saint-Quentin en Yvelines.

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