Nouvelles d’ailleurs : Blanchitude…

Va bien falloir que nous le rentrions dans nos crânes de Nous Z’Autres ignares: notre royaume est blanc.

 

 

 

 

Tellement blanc qu’il finit par ressembler à la pub d’une célèbre marque de lessive qui chantait, sur tous les tons de la consommation à grande échelle, «O… lave plus blanc que blanc».
D’accord, je vous concède que notre Blanc à nous a des tendances de blanc un peu basané, égrenant toutes les nuances de cette blanchitude: les Nous Z’Autres, on ne fait jamais comme les autres, non? C’est ce qui nous rend atypiques et si fiers de l’être.
Cela fait cinquante ans et quelques grains de sable plus tard que nos esprits de valeureux Nous Z’Autres, «Mauritaniens, Mauritaniennes, peuple de Héros», issus, tout droit, de la mythologie africaine – et peut être grecque, allez savoir – sont, patiemment et parfois impatiemment – demandez, donc, à nos compatriotes de la belle année 1989 – préparés, que dis-je, lavés et essorés, à ce concept hautement républicain de la notion de «qui est digne d’être mauritanien et qui ne l’est pas». Les sourds à ce message ont été envoyés, soit ad patres, soit ad méditation, dans quelques lieux de retraite spirituelle, entourés de barreaux. Certains ont été – c’était un minimum syndical, n’est-ce pas – envoyés voir, dans le pays voisin, si le soleil y était plus brillant. Pendant que nous étions, si gentiment, rééduqués, par nos autorités toutes plus éclairées les unes que les autres, notre éducation a formalisé le concept, si rimien, de l’Arabité, blanche de préférence, de descendance en directe ligne, sans passer par la case départ, de notre Prophète (PSL) – c’est mieux, sur un CV de mise en conformité avec la loi. Pendant quelques années, on a mis les «Blancs» d’un côté, les noirs de l’autre, partant, sûrement, du principe très sage qu’on ne mélange pas les torchons et les serviettes, sûrement pour éviter que le noir ne déteigne sur le Blanc… Puis nos toujours si éclairées directions nationales ont décrété que Nous Z’Autres avions besoin d’une langue officielle: nous avons donc appris que seul l’Arabe est. Que seul l’Arabe vaut. Que seul l’Arabe peut.
Dans un bel élan de solidarité avec nos têtes pensantes, tout le monde ou presque s’y est mis: notre TVM – poil aux nems – notre radio nationale, nos politiques. Et tout le monde de chanter le saint credo de la Mauritanie nouvelle : nous sommes Arabes, Arabes nous sommes, Arabes nous parlons, sentons, mangeons, forniquons, enfantons, digérons, rêvons, chantons, déclamons, draguons, pleurons, aimons… Petit à petit, nous nous sommes, même, mis à regarder le «monde arabe d’ailleurs», de haut, de très haut, car nous nous sommes persuadés que nous sommes les meilleurs des Arabes, les plus Purs et les plus proches des origines et avons décidé que le Hassaniya, par exemple, était de l’Arabe quasiment pur. Nos historiens politiques ont, même, démontré qu’entre le moment où les conquérants arabes et musulmans ont quitté leur désert arabique et le moment où ils ont trouvé que les femmes du cru de nos espaces sahéliens étaient, en définitive, plus belles que leurs cousines, ils ont gardé, entretenu avec amour, un Arabe Pur, celui que nous parlons. Ces mêmes historiens ont oublié de nous dire comment et par quel miracle, nos anciens ancêtres officiels ont fait pour ne pas se mélanger avec d’autres populations, pendant les six ou sept siècles de voyage vers cet Eldorado de l’Arabité qu’est notre RIM. Pas grave. Nous dirons que ce fut un miracle. Amine. Après ces cinquante ans d’efforts à fonder un peuple nouveau, notre Sultan a décidé qu’il fallait finaliser l’exercice, en nous offrant un petit recensement.
Pour être digne d’être membre de notre club, apparemment très fermé, faut montrer patte blanche – ah, ah, ah, elle est facile, celle là – très blanche. Les Maures s’en sortent plutôt bien: leur sésame d’accession à la nationalité des Nous Z’Autres est la présupposée blancheur de leur peau. Ils se présentent devant les agents recenseurs, sourient de toutes leurs dents et le tour est joué.
Pour les Noirs Nous Z’Autres, c’est un peu plus difficile. Alors nos autorités extraordinaires ont trouvé le moyen de séparer le bon grain de l’ivraie: des questions pour prouver sa mauritanité et accéder à la gloire suprême, être admis dans le club très fermé de la blanchitude. Et moi, je trouve que les questions, adressées aux noirs Nous Z’Autres, ne sont pas assez pointues. Je propose, donc, à nos autorités réfléchissantes, magnifiques et infinies, un exemple de questions à poser à toute cette négritude qui a l’outrecuidance de postuler à la Mauritanie Attitude.
D’abord, faut corser la chose, piéger ces immigrés qui viennent, sûrement, manger notre pain. Moi, si j’étais fonctionnaire, je demanderais, par exemple, des trucs comme ça:
« Candidat noir, pouvez vous me dire où étaient vos aïeux le mercredi 27 Mars de l’an 1327? Candidat noir, pouvez vous me réciter tout le Coran à l’envers, histoire de voir si vous êtes bien musulman? Candidat demandeur d’asile, pouvez vous m’expliquer toutes les différences entre le pluriel et le duel en arabe? Candidat clandestin, pouvez-vous prouver que vous avez, au moins, un ancêtre blanc? Candidat black, pourquoi donc êtes-vous noir? Candidat noir, pouvez-vous prouver que vous mangez du Leksour, tous les vendredis? Candidat misérable, voleur de mauritanité, seriez-vous prêt à dire que vous abandonnez l’idée, farfelue, de vous sentir Soninké, Hapulaar, Wolof et que vous acceptez, enfin, de devenir maure?
Je me regarde attentivement et je me dis que j’ai une chance extraordinaire, d’avoir une belle peau blanche, d’avoir des Ould et des Mint, en veux-tu en voilà, dans ma généalogie, d’appartenir à une tribu estampillée pur blanc hallal, qui a joyeusement, pendant des siècles, gambadé le long des rives du fleuve Sénégal, histoire de faire la chasse aux noirs. Ouf.
Car je serai bien incapable de répondre à la première question: mais que faisait, donc, mon ancêtre, ce foutu 27 mars de l’an de grâce 1327? Je devrais mentir et dire que le zig en question était, sûrement, soit noir soit berbère, tout content de vivre dans un monde où l’Arabité n’avait pas encore pointé son nez et parlant une langue pleine de «Id», de «niaoullé» ou bien, encore, de «halla boni…», etc.
Vive moi! Merci, Mon Dieu, de m’avoir faite Blanche!
Salut

Mariem mint DERWICH

Source  :  lecalame.info le 06/07/2011

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