Editorial du Calame : Sénégal, A la retraite, cher papa !

Le président sénégalais, maître Abdoulaye Wade, a décidé de retirer le projet de loi portant modification de la Constitution, en vue d’instituer un «ticket», pour l’élection, simultanée, au suffrage universel, du président de la République et d’un vice-président.

 

 

Cela s’est passé le jeudi 23 juin, en fin de journée. La décision du chef de cet Etat voisin, fortement lié à la Mauritanie, est intervenue alors que le texte faisait l’objet de débats passionnés, à l’Assemblée nationale, au cours d’une séance plénière sulfureuse à plein nez.
En plus des députés de la frange de l’opposition représentée au Parlement et des Indépendants, la fronde avait, également, gagné plusieurs rangs du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) et de leurs alliés de la majorité, qui affichaient, ainsi et clairement, leur détermination à voter contre le projet de loi. Source du malaise: la frange de l’opposition la plus significative, absente de l’Assemblée nationale, suite au boycott des législatives de 2007, et la société civile, farouchement opposées à la démarche du pouvoir, avaient mobilisé la rue, pour dire non au vote d’une loi classée dans la rubrique des «manœuvres» du président Abdoulaye Wade. Car celui-ci n’aurait, toujours pas, renoncé à sa volonté de dévolution monarchique du pouvoir, en dépit de son silence sur le sujet, interrompu, parfois, par des dénégations un peu trop véhémentes pour réellement convaincre.
Résultats des courses: un jeudi noir, au pays de la Téranga; un jour d’intifada, de violences, de feu et de sang, non seulement, à Dakar mais, aussi, dans plusieurs villes du pays; Alioune Tine, une icône du mouvement de défense des droits humains au Sénégal et en Afrique, lynché par les nervis d’un proche du pouvoir; les domiciles de certains pontes du régime libéral, brûlés, à l’image de celui de Farba Senghor et de maître Abdoulaye Babou; 102 blessés dont 13 parmi les forces de sécurité; des véhicules de parlementaires, incendiés; des interpellations à la pelle; une atmosphère lourde de danger, qui a poussé de nombreux chefs de confréries, très puissantes au Sénégal, à intervenir, pour tenter d’éteindre le feu.
Mais, au delà de l’épisode du jeudi 23 juin, marquée par l’échec de la tentative du pouvoir à faire passer, en catimini, un projet de loi qui aurait complètement changé les règles du jeu, à sept mois de l’élection présidentielle, les Sénégalais vont-ils desserrer l’étau de la colère, autour d’un régime qui a la fâcheuse habitude de manipuler les institutions de la République, au gré de ses petits calculs politiciens? Dix-sept réformes, en dix ans de régime libéral. Une constitution perdant, progressivement, son statut de loi fondamentale, massacrée, découpée comme un saucisson et, finalement, réduite à l’état de vulgaire torchon.
Le contexte actuel est le suivant: les adversaires de maître Abdoulaye Wade ont formé le Mouvement du 23 juin, avec, pour objectif, le rejet de sa candidature, jugée contraire à la Constitution, qui limite le nombre de mandats à deux. Le camp du pouvoir convoque, quant à lui, le principe de la «non-rétroactivité», pour soutenir la validité d’une nouvelle élection de maître Wade, en 2012. Pourtant, le texte dont la non-rétroactivité est arguée, a été adopté en 2001. Comment imaginer, un seul instant, qu’il ne puisse gouverner les règles d’une élection présidentielle organisée onze ans plus tard?
Au delà d’une posture difficilement tenable, au plan juridique, le pouvoir de Dakar développe, sur ce point, un discours qui apparaît comme un défi au bon sens le plus élémentaire. Une nouvelle charge attribuerait, à l’actuel chef de l’Etat, dix-sept ans de règne. Un coup fourré contre l’esprit de la limitation. Un tarif presque équivalent à ceux de Léopold Sedar Senghor et d’Abdou Diouf. Incongruité d’un trop long exercice du pouvoir à laquelle la Constitution de 2001 était, justement, censée apporter correction, selon les avis concordants de nombreux constitutionnalistes. Que dire, alors, de l’absurdité, au plan politique, de la candidature, à une élection présidentielle, d’un homme de 86 ans? Un âge plus qu’avancé qui pourrait expliquer le stupide entêtement à introduire le «ticket».
Du coup, c’est vers le Conseil Constitutionnel que se tournent les regards des Sénégalais et des Africains, pour la bataille de la recevabilité de la candidature, à un troisième mandat, de maître Abdoulaye Wade. Le président sortant, qui aime les manœuvres politiciennes, autant que son «ennemi», Laurent Gbagbo, surnommé «le boulanger des lagunes», se servira-t-il de son ami Cheikh Diakhaté, président de la haute juridiction au Sénégal, dans une démarche identique à celle de l’ancien président ivoirien, instrumentalisant un proche, pour une forfaiture contre la République? Les juges constitutionnels auront-ils peur de cette sentinelle vigilante que représente, désormais, la rue dont la colère a poussé tous les membres du gouvernement Wade à dormir au Méridien-Président, pour raisons de sécurité, la nuit qui a suivi la folle journée? Questions lancinantes, pour le Sénégal, pays de forte tradition démocratique, dans l’espace ouest-africain.
Mais, Seigneur de la sagesse et de l’intelligence, pourquoi cet homme, d’un âge plus qu’avancé, au parcours d’opposant remarquable, arrivé au pouvoir suivant des règles démocratiques, s’accroche-t-il, ainsi, aux commandes, au risque de connaître une triste fin de règne, à l’image d’un Moussa Traoré, d’un Mamadou Tandja, d’un Zine El Abidine Ben Ali, d’un Hosni Moubarak ou d’un Laurent Gbagbo? Parce qu’il est entouré de laudateurs sans scrupules, dont l’effet pernicieux du discours, en forme de diarrhée verbale, est de fabriquer un potentat?
Cher maître, voici le chemin de l’honneur: renoncer à une troisième élection, proscrite par la Constitution et politiquement indéfendable, à votre âge; organiser une élection démocratique, libre et transparente; quitter le pouvoir la tête haute, à l’instar de votre prédécesseur. Ce qui ferait, de vous, un baobab sous lequel viendrait s’abriter les Sénégalais et les Africains, en cas de grosse tempête, et conforterait l’image du démocrate panafricaniste que vous avez, toujours, revendiquée. Une telle attitude gommerait, des esprits, tous les échecs du régime libéral, en laissant intactes les réussites. Paisible retraite et longue vie, cher papa.

Amadou Seck

Source  :  lecalame.info le 28/06/2011

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