La Toile arabe s’attaque au tabou du harcèlement sexuel

violences-femmes-arabes« C’était la fête de l’Eid et [l’homme à tout faire du bureau] est venu me saluer. Je lui ai tendu la main, mais j’ai senti qu’il n’aimait pas cela ou que ce n’était pas assez au regard de tout ce qu’il avait fait pour mon labo (c’était sa tâche).

Il m’a dit : tu penses que je ne peux pas avoir une bise ? Il m’a semblé mal à propos de l’embrasser ou plutôt, je ne voulais pas l’embrasser ! Il a pris ma main, l’a attirée à lui et moi avec. Il a essayé de m’embrasser et en même temps a touché ma poitrine avec son autre main »

 

« Je suis allée au conseil disciplinaire des fonctionnaires où j’ai rencontré une femme […]. Elle a dit : ‘Voulez-vous que votre réputation soit ternie et faire l’objet d’une enquête ? Vous êtes encore une jeune fille !’ Oui, c’est ainsi que l’on gère le harcèlement au Liban !  […] Plus tard, j’ai rencontré le directeur général […] qui a dit : ‘je ne pense pas qu’un homme ne fasse cela sans y avoir été invité' »

 

Le témoignage de MEIBM, déposé sur le site Internet Resist Harassment Lebanon, est l’un des nombreux récits publiés lundi 20 juin à l’occasion de la journée du bloguing et du tweet contre le harcèlement sexuel et les violences faites aux femmes en Egypte, au Liban, en Syrie et au Soudan. Pendant une journée, la Toile s’est mobilisée sur Twitter (#endSH), Facebook et sur les blogs, dans l’espoir de briser enfin les tabous.

 

A l’initiative de cette mobilisation se trouvaient des militantes égyptiennes, parmi lesquelles les fondatrices du site Internet HarassMap. Créé en novembre 2010, HarassMap Egypt recueille les témoignages de femmes victimes de harcèlement sexuel et de violences. Des apostrophes salaces, aux cas d’exhibitionnismes et d’attouchements, jusqu’aux violences sexuelles les plus graves, tous les cas sont signalés sur une carte. Une initiative similaire a été lancée au Liban par Alex Shams, avec le site Internet Resist Harassment Lebanon.

 

Un film sur le harcèlement sexuel à Beyrouth élaboré par Resist Harassment Lebanon.

 

DES CENTAINES DE TÉMOIGNAGES

 

« Etant photographe, je passe la plupart de mon temps à photographier dans les rues et je suis victime de harcèlement sexuel tous les jours, au moins verbalement si ce n’est physiquement. Je veux toujours prendre les transports publics parce que je déteste conduire dans les embouteillages du Caire, malheureusement je ne le fais pas pour ne pas m’exposer au harcèlement sexuel. Le pire est que, même quand je conduis ma propre voiture, je dois fermer toutes les portes et toutes les fenêtres pour éviter d’être harcelée !

Je blâme les personnes qui accusent les femmes d’être entièrement responsables du harcèlement sexuel parce qu’elles, de part leur tenue vestimentaire, encouragent les hommes à les harceler. Si cela était vrai, alors pourquoi les femmes portant le niqab, le hijab et des tenues couvrantes ne sont pas à l’abri du harcèlement ? Même les enfants, surtout les pauvres, qui passent tout leur temps dans la rue, sont victimes de harcèlement sexuel ! Dans les années 60 et 70, les femmes portaient des jupes et des hauts talons, prenaient les transports publics et étonnament, le pourcentage de cas de harcèlement était très bas ». (Maggie Osama, sur son blog The world through Egyptian eyes)

@amrmousa : Une nation où les femmes en sont pas en sécurité lorsqu’elles marchent dans la rue est une nation dont le chemin vers l’avenir n’est pas sûr

 

Je veux marcher au Caire sans avoir à penser en permanence à chaque partie de mon corps qui bouge à chacun de mes pas et à la façon dont le vent fait se mouvoir mes vêtements

 

L’événement a été l’occasion pour des centaines de cybermilitantes de partager le récit tristement ordinaire d’expériences souvent vécues au quotidien dans les rues du Caire, de Beyrouth ou de Damas. Autant de témoignages, en arabe ou en anglais, qui ont été réunis sur une page du site Internet Harassmap Egypt et de Resist Harassment Lebanon.

 

La mobilisation a été particulièrement forte en Egypte, car comme l’affirme l’auteure du blog Blacklisted, « le harcèlement sexuel [y] est endémique. Il est à la fois toléré et perpétré par les autorités, ainsi que par les petits salopards de tous âges que vous croisez aux quatre coins du pays. Si vous avez des seins et que vous marchez dans la rue en Egypte, vous devez être prête à les protèger de garçons de cinq ans comme de 85 ans. Or, tout le monde en Egypte se tait sur la question, agit comme si elle ne se posait pas ou blâme la femme de se vêtir de façon trop provocatrice, au point de susciter le harcèlement […] Ca ne sert à rien d’être couverte de la tête aux pieds, aucune femme n’est à l’abri du harcèlement sexuel ».

 

« Je veux vivre dans un pays où je n’ai pas à m’inquiéter pour ma petite amie, ma femme, ma soeur, ma fille, ma mère ou de ce qu’elles portent »

 

« Je vois des femmes portant le niqab se faire harceler. Rejeter la faute sur les attraits de la femme est faible, peu sincère et perpétue le problème »

 

BRISER LE TABOU DU HARCÈLEMENT

 

En témoignant, ces cybermilitantes caressent l’espoir d’être non seulement entendues mais surtout prises enfin au sérieux. Sur sa page Facebook, l’Egyptienne Yasmin Shehab s’insurge ainsi que « la plupart des hommes que je connais semblent croire que le harcèlement sexuel est un problème mineur que les femmes tendent à exagérer ».

 

Or, si les femmes n’osent pas affronter et dénoncer les hommes qui les harcèlent, c’est, dit-elle, par « peur que l’altercation verbale tourne à l’altercation physique, surtout dans une culture qui loue la virginité des femmes à un degré effrayant et où la viol est une chose qui déshonore toute la famille. Une culture où la police prend part à ces attaques et où le système judiciaire ne la soutient pas. Une culture où prospère la mentalité du ‘les garçons sont ce qu’ils sont’ qui l’a conditionnée à se sentir inférieure vis-à-vis de ses pairs, lui ôtant toute volonté de répliquer ».

 

Le harcèlement sexuel prendra fin en Egypte quand la responsabilité du harcèlement passera de la victime à son instigateur

 

Dans l’ensemble de la société comme chez les victimes, l’opinion semble en effet largement répandue que la faute incombe aux femmes. Samuel Tfikry écrit ainsi sur son blog : « on dit que les femmes sont inférieures à l’homme en dignité et qu’elles sont une créature du Diable destinées à pousser au péché ». En mai 2010, l’auteure du blog Finding Hawwa avait noté, avec écœurement, qu’à la question posée sur Facebook de savoir « quelle est la meilleure façon de lutter contre le harcèlement sexuel ? », la réponse « les hommes devraient se contrôler » ne remportait qu’une courte majorité face à la seconde : « les femmes devraient porter des vêtements plus larges ».

 

Mettre un terme à la ségrégation sexuelle dans les écoles mettra radicalement fin au harcèlement sexuel

 

Qu’est ce qui a changé dans la société égyptienne au cours des 50 dernières années qui puisse expliquer cette dérive morale ?, s’interroge l’Egyptien auteur du blog Rantings of a man from another century. Selon lui, « le problème commence à la maison où les parents appliquent un double standard dans l’éducation des filles et des garçons ».

 

« Ensuite vient le manque de moralité de la société elle-même, estime-t-il. A l’âge où j’ai grandi, […] si un homme apostrophait de façon salace une fille, tout ce qu’elle avait à faire était d’appeler les hommes du quartier et ils se précipitaient pour défendre son honneur. De tels actes de noblesse existent toujours mais sont devenus l’exception ». Il blâme ensuite les médias qui « dépeignent la femme comme un objet » et la crise économique qui empêche des millions d’hommes sans emploi à fonder une famille.

 

Pour beaucoup, les autorités ont un rôle primordial à jouer pour combattre ces phénomènes de harcèlement sexuel et de violences faites aux femmes :

 

Les officiers de la police et de l’armée égyptiens sont ceux qui doivent me protéger des personnes qui harcèlent dans la rue, pas ceux qui devraient me harceler !

 

Bien que les phénomènes de violence contre les femmes soient nombreux, le pire affront qu’ait eu à subir la femme égyptienne à ma connaissance sont les tests de virginité réalisés par l’armée.

Source: Lemonde.fr

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