Incertitudes sur la présidentielle sénégalaise

Après une décennie de pouvoir, Abdoulaye Wade remet son mandat en jeu en février 2012. Mais beaucoup d’incertitudes planent sur la présidentielle avec un chef d’Etat vieillissant qui fait face à des contestations tous azimuts.

Qui pour succéder à Abdoulaye Wade à la prochaine élection présidentielle sénégalaise prévue en février 2012? C’est la question à mille balles à laquelle bien des analystes, des observateurs et surtout des chancelleries établies à Dakar aimeraient trouver une réponse.

Pour le moment, la tâche semble ardue tant l’incertitude plane sur cette échéance décisive pour l’avenir du Sénégal. Au pouvoir depuis 11 ans, Wade s’est déclaré candidat à sa propre succession. Mais s’il avait pu l’emporter sans coup férir en 2007 avec une nette victoire au premier tour (55,90% des voix), il en est autrement cette fois-ci tant les obstacles qui se dressent sur son chemin sont nombreux —à commencer par son âge.

En 2012, Wade aura «officiellement» 86 ans, ce qui en fera l’un des doyens des chefs d’Etat de la planète, avec le dictateur zimbabwéen Robert Mugabe. En outre, beaucoup de ses compatriotes contestent la légalité d’un troisième mandat de Wade à la tête du pays et restent suspendus à la décision du Conseil constitutionnel, juridiction habilitée à valider ou invalider sa candidature et… présidée par un de ses proches. D’où la crainte exprimée par ses opposants d’un «syndrome Paul Yao Ndré», du nom du président du Conseil constitutionnel ivoirien pro-Gbagbo dont la décision de reconnaître la victoire de ce dernier avait précipité le pays dans la guerre.

Plus fâcheux pour Wade, la période de grâce semble être terminée depuis longtemps, avec des contestations tous azimuts de son régime. A commencer par le divorce avec les jeunes, qui avaient largement contribué à son avènement au pouvoir. L’image de Sénégalais fuyant la misère en s’entassant par milliers sur des barques de fortune pour trouver un hypothétique eldorado sur les plages espagnoles a fortement écorné l’image du chef de l’Etat.

Tribun populiste hors pair, Wade avait su trouver la bonne formule, en 2000, en demandant à des milliers de chômeurs de lever la main et de leur promettre un emploi. Une décennie plus tard, la désillusion chez cette couche de la population est grande comme en atteste l’irruption tonitruante sur la scène médiatique du mouvement «Y en a marre». Composée pour l’essentiel de rappeurs dont le fameux Fou Malade, ces activistes sont en train d’inciter des milliers de jeunes à s’inscrire sur les listes électorales en vue de sanctionner le pouvoir. Le régime prend très au sérieux cette menace en multipliant les manœuvres d’intimidation à l’endroit de «Y en marre».

Bâtisseur d’infrastructures, destructeur d’institutions

Pourtant, le bilan de Wade n’a pas été que négatif. Volontariste, il a initié une politique de grands travaux qui a doté le Sénégal d’infrastructures modernes dont le pays était dépourvu sous le régime socialiste.

De nombreux lycées et collèges sont sortis de terre sous son règne et des moyens colossaux ont été investis dans le secteur de la santé avec notamment la prise en charge gratuite des personnes du troisième âge grâce au plan Sésame. Mais en dépit de ses efforts, le pouvoir se heurte à une très forte «demande sociale» dans ce qui reste un pays pauvre très endetté.

«C’est un bâtisseur d’infrastructures et un destructeur d’institutions», résume Alioune Tine, patron de la Raddho, une organisation de défense des droits de l’homme très influente.

La crise énergétique, avec les nombreuses coupures d’électricité qui ont conduit à de  émeutes récurrentes dans les centres urbains, est une bombe à retardement à laquelle le très impopulaire Karim Wade, le fils du président, en charge de ce secteur, n’arrive pas à trouver une solution. Pis, après avoir promis de régler la crise casamançaise «en 100 jours», Wade père n’arrive pas à faire face la crise qui sévit au sud du Sénégal depuis 30 ans maintenant. Les maquisards séparatistes du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance ont repris du poil de la bête avec la recrudescence des embuscades meurtrières tendues à l’armée régulière.

«Si nous perdons, nous irons tous en prison»

Face à tant de ratés, le doute commence à s’installer chez de nombreux partisans du chef de l’Etat. A commencer par son porte-parole Serigne Mbacké Ndiaye, qui a averti son camp dans une saillie qui a fait tilt au sein de l’opinion publique:

«Si nous perdons, nous irons tous en prison»

Face au président sortant, une armée de jeunes loups prête à en découdre. A commencer par ses deux anciens Premiers ministres Idrissa Seck et Macky Sall, tombés en disgrâce et qui ont quitté le parti démocratique sénégalais pour se mettre à leur compte. Ils ont été rejoints dans leur dissidence par Cheikh Tidiane Gadio, l’ancien ministre des Affaires étrangères «défenestré» pour avoir refusé de cautionner ce qu’il appelle «le projet de dévolution dynastique du pouvoir» au profit de Karim Wade.

Regroupée au sein de la coalition Bennoo Siggil Senegaal, l’opposition, qui a envoyé un sérieux coup de semonce en remportant la majorité des grandes villes lors des dernières locales, peine cependant à trouver un candidat unique et aucune figure consensuelle ne se dégage pour porter l’estocade à Wade. Une situation qui ajoute à l’incertitude qui plane sur la tenue même de l’élection, beaucoup d’analystes soupçonnant Wade de préparer un de ses coups fourrés.

En Conseil des ministres, Wade a proposé un énième projet de loi visant à instaurer un «ticket» pour la prochaine présidentielle. Une énième réforme constitutionnelle qui survient après la création en 2009 d’un poste de vice-président… demeuré vacant!

Un des rares pays du continent à n’avoir jamais connu de coup d’Etat et qui a longtemps demeuré un îlot de stabilité dans la sous-région tourmentée d’Afrique de l’Ouest, le Sénégal est aujourd’hui à la croisée des chemins. Et même les observateurs les plus avertis se gardent de faire un pronostic. «Tout peut arriver au Sénégal», estime le politologue Albert Bourgi, dans un entretien accordé au quotidien L’Enquête. On ne saurait mieux dire.

Barka Ba

Source: slateafrique

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