Ces immigrés «inutiles»

Des ouvriers à Marseille le 10 mai 2011. BORIS HORVAT/AFPLe ministre français de l’Intérieur Claude Guéant souhaite réduire l’immigration du travail et estime que la France «n’a pas besoin de maçons» étrangers. Qu’en pensent les ouvriers du bâtiment immigrés?

Réduire l’immigration du travail. C’est l’un des objectifs du ministre de l’Intérieur, qui a demandé mardi 24 mai 2011 de durcir les conditions d’accès à l’emploi pour les travailleurs étrangers souhaitant venir en France. Quelques jours plus tôt, les paroles de Claude Guéant désignaient des travailleurs inutiles pour la France. «La France n’a pas besoin de maçons ou de serveurs de restaurants» étrangers.

Des ouvriers, tunisiens, algériens, ou maliens répondent à ces mots, sur leur lieu de travail, un chantier de travaux publics à Ville d’Avray, en banlieue parisienne. Ce lotissement de logements sociaux doit être terminé d’ici un mois. Alors, parmi les collines de sables et de gravas, entre les échafaudages et les charpentes, la quinzaine d’ouvriers présents sur ce grand chantier ne s’arrête pas.

Parmi eux, Smaïla Touré, 37 ans. Voilà dix ans qu’il a quitté le Mali pour vivre en France et qu’il y exerce son métier, maçon. Il est en train de «faire des finitions» dans un escalier. «Une des tâches les plus difficiles», répond timidement cet homme frêle et timide.

Smaïla a entendu ce que les travailleurs immigrés valent aux yeux du gouvernement. Il y a d’abord eu les mots de Xavier Bertrand il y a un mois, un ministre du Travail qui préconisait un recours limité à la main d’œuvre étrangère dans certains secteurs. Et là, ceux du ministre de l’Intérieur. Des propos qui font sourire Smaïla:

«Les seuls Français que j’ai vus dans un chantier de construction, ce sont des stagiaires. Ils ne sont jamais plus revenus. Ils démissionnent. Aucun Français ne veut travailler ici. Ils sont mieux dans un bureau assis devant un ordinateur…»

Un constat partagé par ses employeurs. Les chefs de chantier le disent eux-mêmes: la main d’œuvre française se fait trop rare. Les journées de travail sont longues et difficiles. Les Français qui sont venus travailler pour eux s’en sont tenus à une seule mission puis sont repartis aussi sec.

Des ouvriers «contents»

Philippe (le prénom a été changé) est conducteur de travaux chez un grand groupe industriel français. Il reconnaît qu’au-delà du manque de demande française, l’emploi des étrangers dans un chantier l’avantage sur un tout autre plan:

«On ne paie pas au même niveau de rémunération qu’un salarié français. Nos employés eux, ils en veulent, ils ont envie de travailler, même dans ces conditions —qu’on ne leur cache pas par ailleurs. Ils sont de toute façon payés quatre fois plus cher ici que dans leur pays d’origine.»

Sur ce chantier, Smaïla et les autres sont payés 70 euros la journée. Les rares ouvriers français passés par le chantier de Télémaque n’ont pas voulu travailler pour moins de 130 euros.

«Y a pas photo. Ce n’est pas demain que je licencierai ces ouvriers pour convenir à un discours électoral», assure Philippe.

«La fin du bâtiment»

Certains, comme Ali, tiennent un discours apocalyptique en réaction aux propos de Claude Guéant:

«S’il n’y a plus de maçons étrangers, ce sera la faillite, il n’y aura plus de bâtiment.»

Les employés de ce chef de travaux d’origine tunisienne viennent tous du même pays. «C’est plus facile de se comprendre entre nous». Un homme grand et timide, qui se met en colère quand il parle de ce qu’il entend à la télévision ou à la radio:

«Il y a cinq ans, on nous parlait de l’insécurité. Maintenant on nous sert le travail des immigrés. Ce n’est rien qu’un discours électoral qui sert à rassurer les gens. A leur dire que le gouvernement fait tout pour arranger le problème du chômage. Mais tout le monde sait que ce qu’annonce Monsieur Guéant est irréalisable. Tout le monde sait qu’il y a peu de candidats non étrangers pour nous remplacer dans ce secteur.»

Pour Ali comme pour ses collègues, au-delà des incohérences économiques que supposent les paroles du ministère de l’Intérieur, il y a surtout une méconnaissance de la société française «penser que nous empêcher de travailler règlera le problème du chômage en France, c’est vraiment de la poudre aux yeux.»

Emilie Chaudet

Source: slateafrique

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