La présidence du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union Africaine (UA), aura permis à Mohamed Ould Abdel Aziz de se retrouver au premier poste dans la diplomatie de règlement des conflits dans notre région. Il n’a pas non plus raté une occasion de partager un moment avec ses pairs africains : il a été à toutes les investitures, à toutes les commémorations, à toutes les réunions en Afrique.
Le lien retrouvé avec l’Afrique rompt la diplomatie d’enfermement dans laquelle s’est retrouvé le pays sous Ould Taya qui avait fini par bouder toutes les réunions africaines. Tandis que les rencontres arabes …le boudaient. En réalité, la pauvreté du pays lui donnait des complexes face aux frères arabes, le dédain affiché l’empêchait de traiter avec les frères africains. Et c’est comme ça que la Mauritanie est devenue cet «orphelin de la géopolitique régionale», comme disent les spécialistes, de ces temps derniers. Désertant sans raison l’espace CEDEAO donc ouest-africain, n’ayant pas les moyens d’investir l’espace maghrébin, la Mauritanie a perdu la confiance des uns et des autres.
Cette présence marquée de Ould Abdel Aziz partout sur la scène africaine est certainement le signe évident de rupture avec la logique diplomatique qui a prévalu jusqu’à son coup d’Etat en août 2005. Les tergiversations qui ont suivi et qui ont abouti à la crise politique de 2008, ont empêché d’y voir plus clair. Il faudra attendre son élection et surtout la normalisation avec l’UA, organisation qui a été aux devants dans l’opposition au coup d’Etat qui l’a amené au pouvoir, pour voir Ould Abdel Aziz s’engager fermement dans la reconquête de la scène africaine.
Du temps de Moktar Ould Daddah, il y a donc bien longtemps, la Mauritanie jouait les rôles les plus grandioses sur cette scène-là. Amenant les frères africains à rompre leurs relations diplomatiques avec Israël et à soutenir résolument la cause palestinienne. On se souvient encore de ces instants où Ould Daddah, président l’organisation de l’unité africaine (OUA, ancêtre de l’UA), avait obligé le Conseil de sécurité des Nations-Unies à tenir la session consacrée à la situation en Afrique australe, à Adis Ababa et non à New York ou à Genève. Ce fut l’unique fois où ce conseil tint une session en Afrique (1969). On se souvient des engagements pour l’émancipation du continent au moment des grands combats de la libération.
Puis vint la période de reflux. Les militaires, au pouvoir à partir de 1978, ont été incapables de restaurer cette dimension de terre de convergence et de trait-d’union entre les deux mondes auxquels nous appartenons. Le plus long règne, celui de Ould Taya, donnera cette situation de «ni, ni» (ni africaine, ni arabe).
Président du CPS pour un mois, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz dirige deux panels : le premier consacré à la crise postélectorale en Côte d’Ivoire, le second à la Libye.
Avec ses pairs du Tchad, de l’Afrique du Sud, du Burkina Faso et de
Tanzanie, Ould Abdel Aziz tiendra deux sommets dont l’un à Nouakchott. Ensemble, ils se déplaceront en Côte d’Ivoire où ils rencontreront les deux parties : le camp Ouattara et celui de Gbagbo. Après la deuxième rencontre à Adis, ils réussissent à faire bouger les choses. En avril, le Président Ould Abdel Aziz s’entretient avec Gbagbo qui accepte de reconnaitre solennellement son vis-à-vis en contrepartie d’un traitement qui lui sauvera la face. Ce que Ouattara accepte de l’autre côté.
Alors que le panel prépare les modalités de l’accord et de sa mise en application au terme d’un déplacement sur place, l’interférence française accélère les choses. Ce qu’on croit être la solution finale est lancée. L’opération militaire conjointe – France et ONU – aboutit à l’arrestation de Gbagbo et à l’investiture de Ouattara. Sans pour autant faire grand cas des 48% d’Ivoiriens qui ont voté Gbagbo et dont les représentants refusent aujourd’hui de composer avec le nouveau pouvoir.
Pour la Libye, la Mauritanie se retrouve avec l’Afrique du Sud, le Congo, l’Ouganda et le Mali. Deux sommets à Nouakchott vont permettre de rendre publique une position africaine commune sur la question. Elle se distingue par la nécessité de trouver une solution négociée à la crise libyenne. Une feuille de route est présentée aux belligérants à Tripoli puis à Benghazi.
La feuille de route comprend le principe d’un cessez-le-feu immédiat et sans conditions, la mise en place de couloirs humanitaires pour permettre de venir en aide aux populations meurtries par les combats, l’ouverture d’une transition consensuelle qui devrait aboutir à l’instauration d’une démocratie pluraliste. L’originalité, c’et bien cette position qui refuse de s’aligner sur les grandes puissances. C’est une première qui permet au continent de s’assumer sur le plan diplomatique, quelle que soit par ailleurs l’issue de la démarche.
Le déroulement des deux médiations permet à Mohamed Ould Abdel Aziz, et donc à la Mauritanie, de revenir au centre de la scène diplomatique africaine.
Servie par la conjoncture actuelle, la Mauritanie pourrait retrouver pleinement la place qui fut la sienne. Avec la crise qui la déchire, la Libye sera absente durant les décennies prochaines de la scène africaine. Kadhafi avait conquis l’Afrique à coup d’investissements et de dons. La diplomatie folklorique du Guide avait perturbé les «courants traditionnels» d’échange. Dont celui qui passait par la Mauritanie.
L’autonomie du sud Soudan et la transition égyptienne qui sera apparemment longue, tout cela participe au renforcement de la position de la Mauritanie sur l’échiquier arabo-africain. Saura-t-elle en profiter ? On semble comprendre là-haut que l’urgence est à «la reconquête des cœurs des africains, longtemps boudés par la Mauritanie».
Ould Oumeir
Envoyé spécial à Addis-Abebba
Source : La Tribune n° 551 du 30/05/2011